''25% DES ENTREPRISES APPUYÉES SONT DEVENUES DES EXPORTATRICES''
IBRAHIMA DIOUF, DIRECTEUR DU BUREAU DE MISE A NIVEAU
Le Bureau de mise à niveau (Bmn) organise les 28 et 29 octobre prochain à Dakar, la troisième édition des journées de mise à niveau. Dans cet entretien, le directeur du Bmn, Ibrahima Diouf, revient sur l’objectif de ces journées, l’importance de la mise à niveau des entreprises dans la politique d’émergence, le bilan du Bmn et les actions devant mener à cette émergence.
Quel bilan faites-vous de la mise en place du Bureau de mise à niveau ?
Le Bureau de mise à niveau (Bmn) vient de boucler ses dix ans d’existence. Le premier constat, c’est que les chefs d’entreprise sénégalais commencent à intégrer la mise à niveau dans leur démarche. Ils sont en train d’acquérir une culture de la mise à niveau. C’est un atout que (dont) le programme peut se prévaloir. Le deuxième aspect, c’est sur le plan quantitatif.
Le programme a per- mis d’accompagner 115 entreprises dans pratiquement tous les secteurs, à l’exception du commerce. Ces 115 entreprises représentent 71 milliards de FCfa d’investissement projetés dont 60 milliards approuvés par le Bmn. Ce qui a donné quelque chose comme 14 milliards de FCfa de primes octroyées dont 7 milliards de primes effectivement décaissées au profit des entreprises bénéficiaires.
C’est soit pour accompagner leurs investissements matériels, soit pour accompagner leurs investissements immatériels. C’est dire qu’en termes d’indicateurs macroéconomiques, le programme a impacté considérablement la compétitivité des entreprises bénéficiaires.
D’ailleurs, au cours des journées sur la mise à niveau, on va avoir la restitution d’une étude sur l’impact du programme sur les entreprises et sur l’économie. Ce qu’on sait déjà, c’est que les entreprises qui ont bénéficié du programme ont amélioré leurs performances économique et financière.
Aussi, 25 % de ces entreprises sont devenues des exportatrices nettes. C’est un bilan satisfaisant mais qui doit être amélioré, compte tenu des enjeux nouveaux que constituent le Plan Sénégal émergent (Pse) et l’entrée en vigueur prochaine des Accords de partenariat économique (Ape).
Après la phase pilote débutée en 2004 et celle commencée en 2007, qu’en est-il de la phase de pérennisation entamée depuis 2011 ?
De manière générale, le programme vise à améliorer la compétitivité des entreprises du secteur industriel. L’année 2011 marque la mise en œuvre du programme de mise à niveau des entreprises.
C’est la date à laquelle les volets environnement et efficacité énergétique ont été introduits dans le programme. C’est aussi l’entrée en scène de l’Union européenne. Avant, c’était l’Agence française pour le développement (Afd) qui a été le principal bailleur avec un montant de 11,9 millions d’euros, soit un peu près de huit milliards de FCfa, avec l’assistance technique de l’Onudi.
A partir de 2011, on a constaté qu’il y a beaucoup d’entreprises qui avaient des soucis de réaliser des économies d’énergie, un poste qui constitue une charge assez lourde pour l’entreprise. Le fait de réaliser des investissements qui tiennent compte de ce besoin en économie d’énergie a fait entrer la délégation de l’Ue dans le financement du programme.
Il y avait ensuite les aspects liés au respect de l’environnement. Très souvent, la production de certaines industries est polluante. Pour les aider à la mise en place de stations de prétraitement de leurs eaux usées qui nécessite d’importants investissements, l’Afd et l’Ue ont mis en place une ligne verte domiciliée dans une banque de la place.
Les entreprises, qui avaient dans leur politique les volets environnement et efficacité énergétique, peuvent solliciter cette ligne à des conditions très douces en taux d’intérêt et de durée de remboursement. Ce qui a véritablement changé en 2011, c’est l’introduction des volets environnement et efficacité énergétique comme fonction essentielle.
Quelles sont les conditions qu’une Pme doit remplir pour bénéficier du financement du Bmn ?
Le Bmn n’est pas une structure de financement. C’est un élément du dispositif d’appui non financier aux entre- prises. Nous combinons une approche opérationnelle technique avec une approche financière. Il y a une structure qui s’appelle le Fonds de mise à niveau qui a été mis en place par l’Etat du Sénégal et les Partenaires techniques et financiers (Ptf) en 2009.
Ce fonds apporte son concours pour les primes que l’on octroie aux entreprises. On regarde l’éligibilité de l’entreprise en fonction des critères qui sont retenues notamment son niveau d’activité, sa taille et surtout l’existence d’états financiers certifiés pour s’assurer que l’entreprise est en bonne santé.
La mise à niveau, c’est important de le souligner, n’est pas un processus d’industrialisation. Elle concerne des activités déjà existantes et évoluant dans des secteurs ouverts à la concurrence internationale. Ce sont ces entreprises- là qu’on met à niveau, elles ont du potentiel mais il faut renforcer leur capacité productive pour leur permettre de faire face à la concurrence internationale.
Maintenant, une fois que l’entreprise est éligible, on lui fait un diagnostic stratégique pour ressortir ses forces, ses faiblesses, ses menaces et ses opportunités. Ainsi, on élabore ce qu’on appelle un plan de mise à niveau, lequel prévoit les investissements à réaliser. Une fois réalisés, ces investissements donnent lieu à des primes. C’est cela le schéma, l’entreprise a trois ans pour réaliser ces investissements.
Il est vrai que durant la phase pilote, 2005-2010 et la phase de pérennisation 2011-2015, les entreprises qui ont bénéficié du programme de mise à niveau ont été des entreprises d’une certaine taille.
Elles ont démontré la pertinence de ce programme compte tenu des résultats qu’elles ont réalisés en chiffres d’affaires, d’emplois créés, de productivité du travail, de productivité du capital investi.
L’impact pour toucher davantage d’entreprises ne pourra être obtenu que si le programme s’oriente vers la cible Pme. L’offre doit être adaptée. Nous allons alléger les règles de procédure pour toucher la Pme et réduire les délais de réalisation des plans d’investissement de la Pme.
De façon globale, qu’est-ce qu’une Pme gagne en allant vers le Bmn ?
Il y a aujourd’hui des enjeux liés à l’ouverture des frontières. C’est irréversible ! Un autre enjeu de taille, c’est le contexte du Pse, notamment l’axe stratégique N°1, c'est-à-dire la transformation structurelle de l’économie et la création de richesse.
Comme toutes les économies africaines, la nôtre est caractérisée par une dualité économique, c'est-à-dire un secteur formel et un autre non formel. La coexistence de ces deux secteurs fait qu’aujourd’hui les performances véritables dont on attend d’une économie dynamique ne sont pas atteintes. Une part des activités économiques sont souterraines. Ces activités ne sont pas prises en compte dans la comptabilité publique.
Une Pme gagnerait d’abord à être structurée et organisée avec une ambition de gravir les échelons, c'est-à-dire quitter la petite entreprise, aller à la moyenne puis à la grande et plus tard devenir un champion. L’adhésion au programme est volontaire.
Le Bmn appuie les entreprises en manuels de procédures, en modernisation de l’outil de production et surtout en plan marketing qui puisse lui permettre de se positionner sur un secteur auquel il n’avait pas naguère accès.
On est dans un espace économique régional qui a ses exigences et ses contraintes mais également dans un pays qui a sa politique économique nationale, je pense notamment à la Sca et au Pse, dans votre politique. Comment faites-vous pour vous retrouver dans toutes ces contraintes ?
L’appartenance à un même espace communautaire dicte aujourd’hui les politiques nationales à mettre en œuvre en cohérence avec la politique sous-régionale. Le Sénégal, et c’est un des rares pays en Afrique de l’Ouest, dispose d’un programme de mise à niveau des entreprises. Il doit y avoir une complémentarité entre les stratégies nationales et la stratégie communautaire, mais il ne doit pas y avoir de neutralisation.
Sous ce rapport, le Sénégal qui ambitionne d’avoir un taux de croissance de 7 à 8 % pour les dix prochaines années afin d’atteindre un taux de croissance à deux chiffres à partir de 2035 – qui est l’horizon temporel pour le Pse – doit se doter de stratégies et de programmes nationaux aptes à faire émerger un tissu performant de Pme qui soient à l’origine d’une productivité du travail améliorée, d’une compétitivité des services et produits « Made In Senegal ».
Vous posez, en quelque sorte, la question de l’intégration de nos économies. En filigrane, les stratégies nationales doivent être orientées pour plus d’intégration avec ce qui se fait dans les autres pays de l’Uemoa.
C’est cela aussi le défi avec l’avènement du Tarif extérieur commun (Tec). Les entreprises des pays de la sous-région pourront librement venir s’installer au Sénégal ou bien exporter leurs productions au Sénégal sans connaître des distorsions.
Si l’on revient à la célébration des troisièmes journées du programme de mise à niveau, le thème de cette édition est « Compétitivité et émergence ». Pourquoi le choix de ce thème ?
Très souvent, on ne fait pas la corrélation entre la compétitivité et le processus de croissance. Pour émerger, il faut auparavant un tissu de Pme particulièrement innovantes, compétitives et assez agressives pour conquérir de nouveaux marchés. Ces Pme seront favorisées par une politique d’investissement.
Et c’est la le cœur de métier d’un programme de mise à niveau : booster les investissements matériels et immatériels afin de rendre l’outil de production plus performante et permettre une productivité améliorée du travail mais aussi de l’investissement pour aboutir à plus de croissance.
Si cette croissance est obtenue et qu’elle est maintenue sur une période de dix ans, on a les germes d’une émergence. Maintenant, il ne faut pas dissocier ces politiques vertueuses de performances avec les autres politiques sectorielles notamment la politique de la formation professionnelle.
La productivité est aussi fonction du niveau de qualification des hommes et des femmes qui travaillent dans l’entreprise. La productivité est aussi dépendante du niveau de performance bancaire et financière du pays.
Les entreprises qui ont des besoins de financements doivent trouver sur le marché, les réponses à leurs besoins. C’est aussi et surtout une administration performante et compétitive qui doit se mettre certes au service des populations mais aussi de l’entreprise. Sans compter maintenant la politique des infrastructures.
Le programme de mise à niveau est en grande partie financé par les partenaires techniques et financiers. Qu’est-ce qui est fait concrètement pour sa pérennisation au cas où ces partenaires se retiraient ?
Le premier panel, après la cérémonie d’ouverture, va porter sur une table ronde des bailleurs de fonds sur la mobilisation des ressources en vue de pérenniser le programme. La phase pilote a donné des résultats probants qui ont poussé les autorités à envisager une phase de pérennisation. Mais ce sont les mêmes bailleurs qui sont restés et qui continuent à accompagner l’Etat du Sénégal.
Toutefois, l’Etat a pris quand même le soin, et il faut s’en féliciter, de prendre en charge le budget de fonctionnement du Bmn depuis sa création mais aussi d’augmenter sa contribution au fonds de mise à niveau qui est passé de 250 millions en 2009 à un milliard de FCfa depuis 2013.
Maintenant, quand on ambitionne de mettre en œuvre un plan aussi stratégique comme le Pse, de faire face à l’arrivée massive de produits et services d’entreprises européennes plus performantes, d’ouvrir son espace à d’autres pays, il faut doter le programme de mise à niveau de moyens suffisants et d’un mécanisme de financement pérenne.
Certains pays de la sous- région ont commencé à montrer leur ambition. Le Burkina a mis dix milliards de Fcfa dans son programme, la Côte d’Ivoire une centaine de milliards. Nous sommes le premier pays à avoir un programme de mise à niveau en Afrique au Sud du Sahara.
A l’heure où l’on parle d’entrée en vigueur du Tec et des Ape, quels sont les enjeux que la mise à niveau des entreprises peut avoir ?
Le concept de mise à niveau des entreprises a été développé par l’Onudi et appliqué pour la première fois au Portugal en 1988 lorsque ce pays entrait dans l’Ue. C’était une économie désarticulée par rapport à celles des pays de l’Ue à l’époque. Les pays de l’Union ont apporté une assistance au Portugal pour que son économie comble le gap.
Au bout de huit ans, l’économie portugaise s’est régénérée avec une création massive d’emplois et un tissu industriel reconfiguré et apte à faire face à la concurrence des produits des autres pays. C’est fort de ce succès que lorsqu’en 1996, les pays du Maghreb avaient décidé de signer un accord de libre échange avec l’Ue, que les programmes de mise à niveau se sont développés dans cette partie du continent, notamment en Tunisie.
Aujourd’hui, face aux produits et services européens, les pays du Maghreb sont en train de faire face à l’entrée illimitée des produits et services européens.
L’Afrique de l’Ouest est un marché de 300 millions de consommateurs. Si nous renforçons notre tissu économique, transformons au moins 30 % de notre production sur place, menons des politiques vertueuses de formation professionnelle avec identification des besoins dans les domaines scientifiques, avons une politique au service de l’entreprise avec des taux acceptable du loyer d’argent, si nous menons des programmes de mise à niveau spécifiques en ciblant la Pme qui constitue l’ossature de nos entreprises avec des approches allégées et une administration au service de l’entreprise, nous pouvons faire face aux Ape, d’autant plus que ces accords comportent des avantages.
Ce ne sont pas que des menaces. Il faut mettre en place une législation qui oblige à transformer une partie des ressources sur place. Cette politique de transformation de nos produits à partir des lieux de production peut être une piste pour l’amélioration de l’offre de produits et de services.
C’est toute l’importance d’un programme de mise à niveau face à des échéances qui comportent des menaces mais qui peuvent constituer aussi des opportunités pour nos entreprises.