AMSATOU SHOW SIDIBÉ
Si les propos du leader de Car/Lennen choquent, c’est à cause de sa posture de ministre-conseiller censé être solidaire au gouvernement et partager les politiques mises en place par le chef de l’État
Le 5 août dernier, dans le quotidien L’AS, le professeur de droit Amsatou Sow Sidibé, ministre-conseiller du président de la République, avait cloué au pilori la sortie du chef de l’État à l’Ucad avant de l’inviter à lui prêter davantage oreille. «Si le président de la République avait consulté ce ministre-conseiller (elle parle d’elle-même) qui a enseigné pendant 35 années à l’université, qui connait ses réalités, il y aurait une autre approche… Je lui (ndlr : Macky Sall) aurais conseillé de faire mener des recherches approfondies sur la situation à l’Ucad ou alors d’adopter une autre démarche de visite, clame-t-elle. L’Ucad est un espace à température variable. Il faut connaitre la bonne température pour y mener quelque activité que ce soit. Le dialogue avec l’ensemble des acteurs doit être permanent… Je souhaite que le Président m’écoute davantage.»
Après ces violences dans l’espace du campus social, l’attitude responsable et cohérente que l’on attendait d’un membre de la mouvance présidentielle, c’est d’apporter publiquement un soutien moral au Président rudement caillassé par des étudiants forcenés, mais pas pour rejeter de façon subtile la responsabilité sur le manque de clairvoyance du chef l’État en ayant bravé l’interdiction des étudiants au péril de recevoir un déluge de projectiles.
Dix-neuf jours après cette sortie au vitriol, le leader de Car/Lennen revient à la charge toujours par le canal médiatique. Elle pilonne le Plan Sénégal émergent (PSE) en le qualifiant de canular et remet en cause l’impartialité de la justice dans la traque des biens mal acquis. «Le Sénégal est bloqué. L'émergence est devenue une sorte de canular, a-t-elle déclaré dans l’émission Opinion de Walf TV. Pourquoi ? Parce qu'il n'y a pas de stabilité politique et sociale. La stabilité doit passer par la justice, l'impartialité. S'il y a d'autres personnes qui doivent être attraites devant les juridictions, il faut que la justice se presse de juger ces cas. Sinon, ce qui risque de se passer, c'est de dire qu'on n'avait besoin que du cas Karim Wade. Je ne veux pas que la montagne accouche d'une souris. Si ce n'est que Karim Wade qui est jugé, il faut le laisser partir.»
Paroles acerbes ne sauraient être plus graves que celles-là ayant émané par le canal médiatique de ce ministre censé conseiller le Président sur les problèmes du pays. Dire sans aménités que le PSE est un canular, c’est-à-dire une mystification dans l’intention de tromper les Sénégalais, alors que c’est le programme économique de son employeur, c’est prendre ce dernier comme imposteur qui tire des plans sur la comète.
Si les propos d’Amsatou Sow Sidibé choquent et exaspèrent, c’est à cause de sa posture de ministre-conseiller censé être solidaire au gouvernement et partager les politiques mises en place par le président de la République.
«Un ministre, ça ferme sa gueule ou…»
En vérité ce qu’Amsatou Sow Sidibé dit de l’émergence économique et de la marche de la justice du Sénégal est partagé par des millions de Sénégalais mais sa posture de ministre-conseiller du président l’astreint à une obligation de réserve sur des questions relatives à la politique gouvernementale. Par conséquent si elle sent que ses idées ne sont pas prises en charge par le Président qui l’a engagée pour un tel service, elle doit rendre le tablier au lieu de s’enrichir illicitement. «Un ministre, ça ferme sa gueule, et si ça veut l'ouvrir, ça démissionne», disait Jean-Pierre Chevènement, l’alors ministre français de la Recherche démissionnaire du gouvernement de Pierre Mauroy, en mars 1983 pour protester contre la «parenthèse libérale» opérée par le régime socialiste mitterrandien. Autrement dit, Amsatou Sow Sidibé doit démissionner puisque dans un gouvernement, il n’y a qu’une seule politique.
Il est avéré, comme elle l’a évoqué dans sa première sortie dans le journal L’AS, que l’éducation se drosse sur l’écueil des échecs répétitifs du fait des multiples grèves d’enseignants et du ponce-pilatisme du régime en place concernant le respect des accords signés avec les syndicats. L’économie ne connait pas un meilleur sort puisque la deuxième alternance n’a pas encore produit une croissance distributive procurant aux 13 millions de Sénégalais de meilleures conditions de vie. L’image de la justice de notre pays a été sérieusement écornée avec le procès de Karim Wade qui laisse à bon nombre de Sénégalais qu’il a été victime d’une injustice parrainée par un régime vindicatif. Ce qui veut dire que dans le fond, le professeur Amsatou Sow Sidibé peut avoir raison. Mais la forme utilisée (le canal médiatique) ne sied pas pour porter de telles revendications.
Si aujourd’hui elle ne se comptait plus parmi les collaborateurs du Président, elle lui serait loisible de remettre en cause, voire de flétrir, les politiques engagées par l’actuel régime.
Quand le professeur Malick Ndiaye, alors ministre-conseiller de Macky Sall, a fustigé dans un ouvrage les errements et carence du gouvernement, le Président n’a pas hésité un tantinet à signer le décret 12324 du 1er août 2014 pour mettre fin à sa mission de ministre-conseiller. En dehors de l’espace présidentiel, Malick Ndiaye, libéré des chaines de la présidence, enchaîne les diatribes contre le régime de Macky Sall. Les Sénégalais épris de liberté d’expression et démocratie trouvent normal que ce dernier ait des opinions critiques subjectives ou objectives contre le régime de Macky Sall.
Lorsque Moubarack Lô, directeur de cabinet adjoint du Président, n’a pas apprécié les critères de choix concernant les élaborateurs du PSE, il a tiré sa révérence pour radicaliser son discours dans l’opposition contre ses anciens alliés de la mouvance présidentielle.
Par conséquent si Malick Ndiaye a fait les frais de sa liberté d’expression, on comprend difficilement pourquoi à ce jour le président de la République n’a pas encore pris un décret limogeant son bavard ministre-conseiller dont les sorties médiatiques vitriolées n’ont pas fini d’importuner ses alliés du pouvoir.
Amsatou Sow, première femme sénégalaise agrégée en droit, chercherait-elle à se faire limoger pour en tirer des dividendes politiques ou au contraire ses agissements ne sont-ils que l’expression d’une revendication sibylline à un poste ministériel avec portefeuille, qui correspondrait avec son profil intellectuel. Surtout qu’il y a dans l’actuel gouvernement des ministres dont le niveau intellectuel est au ras de pâquerettes ?
Après les actes I et II, on attend l’acte III d’Amsatou-Show pour appréhender les véritables motivations des sorties médiatiques acerbes du leader de Car/Lennen si, entre-temps, le Président ne biffe pas son nom du gotha de ses innombrables ministres-conseillers.