ANIMAUX POLITIQUES, DOMESTIQUES ET SAUVAGES
Une civilisation est une concentration humaine complexe, l’établissement de règles qui rendent le vivre ensemble possible et de plus en plus supportable – Par Babacar Diop Buuba
Second Souffle
Les êtres humains lucides perçoivent le lien qu’il y a entre nous et le reste des animaux. Les puristes wolof savent que noppu jaboot, l’oreille des parents, désigne le singe, golo en langue prosaïque et les linguistes peuvent accepter que le radical «gr» ou «gl» renvoie dans beaucoup de langues africaines au singe ou à l’être humain.
«L’emploi et la création de moyens de travail, quoiqu’ils se trouvent en germe chez quelques espèces animales, caractérisent éminemment le travail humain. Aussi Franklin donne-t-il cette définition à l’homme : l’homme est un animal fabricateur d’outils.» (Karl Marx, le capital, livre I, tome1, p.182, ES)
Civilisation et culture politique
L’un des plus grands penseurs de l’Antiquité, Aristote, avait bien perçu que l’homme est un animal politique. Il était conscient de la progression qu’il y a entre la dimension physique de l’occupation urbaine (astu en grec) et la dimension politique (la polis).
Beaucoup de langues parlées dans le monde indiquent cette vérité : une civilisation est une concentration humaine complexe, l’établissement de règles qui rendent le vivre ensemble possible et de plus en plus supportable.
Dans cet espace qu’on peut appeler ville ou village, quelle place est réservée aux animaux ?
Mon propos n’est pas de reprendre l’exégèse de l’expression «encombrement humain» de l’ancien Président Léopold Sédar Senghor, ni de lister tous les encombrements.
De Boroom Saret à la Rue Publique en passant par Contrast City, je m’offusque, comme beaucoup de patriotes, comme beaucoup de résidents de nos villes et villages, de ce spectacle décrit par Baye Ibrahima Diagne du CNP : «Dakar, ancienne capitale de l’AOF, est aujourd’hui en 2014, l’une des villes non seulement les plus sales d’Afrique, mais également les plus ruralisées. Les ruraux amènent avec eux leurs outils de travail (charrettes, foins sur les artères…) en ville. Tout y passe, nos ronds points sont ornés d’ordures et non de fleurs, sans oublier les mendiants sénégalais et de la sous-région.» (Enquête du 10 Octobre 2014)
Du coté des communautés rurales, le spectacle peut être plus dramatique. La presse s’est fait l’écho, en octobre 2014, de la psychose et de l’angoisse des populations de Tiwaawon Pël où un chien mystérieux a tué six (6) personnes.
Combien de Sénégalais ont perdu des parents ou des amis victimes directes ou indirectes de la divagation des animaux ?
Qui n’a pas constaté la montée des périls lorsque des propriétaires des animaux abandonnent les villes pour leurs villages, laissant le peu de garde qui leur reste, ou lorsque les édiles ou les préfets ou les politiciens ou gendarmes ferment les yeux, alors qu’ils voient des troupeaux (Zut !, Il ne faut pas en parler et surtout ne pas y toucher) déambuler sur les grandes artères, des charrettes sans feux de signalisation, au milieu des voitures en plein centre urbain, au moment du crépuscule ? Que dire des hécatombes au vu des enfants et des âmes sensibles ?
Ponce Pilate parmi nous
Est-ce l’affaire du ministre de l’Intérieur, des ministres s’occupant l’Elevage, de l’Environnement, que sais-je encore ou celle des élus locaux ?
La loi 2013-10 du 28 décembre 2013 portant code général des collectivités locales stipule, pour les communes, les compétences suivantes (chapitre II article 81 alinéa 17) : la création, la délimitation et la matérialisation des chemins de bétail à l’intérieur de la commune, à l’exception des voies à grande circulation qui relèvent de la compétence du représentant de l’Etat.
Le texte fait référence même à la synergie possible entre police municipale et le représentant de l’Etat.
Ainsi il est possible «d’obéir ou remédier aux évènements fâcheux qui pourraient être occasionnés par la divagation des animaux, quels qu’ils soient» (article 119 alinéa 6).
Les simples citoyens font ce qu’ils peuvent. Je suis témoin de gestes héroïques de jeunes dompteurs de chevaux ou de taureaux en furie et en divagation sur les grandes artères. Ces jeunes-là, courageux et bien éduqués, doivent être chevaliers de l’Ordre national citoyen (le Forum social sénégalais doit honorer régulièrement ces héros de type nouveau).
Toutes ces initiatives resteront sans effet durable si l’Etat ne prend pas ses responsabilités. Lui, seul, a le pouvoir absolu de lutter contre l’impunité et l’obscurantisme. Lui, seul, peut prendre la responsabilité de confier les animaux en divagation à des structures qui en ont besoin (services sociaux étatiques, associations philanthropiques, armée, écoles d’élevage, institut de vétérinaires, etc.).
Nous partageons entièrement le point de vue de Baye I. Diagne : «Le changement est une rupture entre cette existence obsolète et un futur synonyme de progrès. Cette dynamique de rupture, ce sont des individus qui les mettent en œuvre et non des slogans sans contenus crédibles. Nous avons besoin d’un leadership affirmé, sans équivoque, mais surtout trans générationnel…»
Babacar Diop Buuba
Prof FLSH- UCAD
Président PAALAE