APPRENDRE À PASSER LA MAIN
«N guur, ken duko nied », disait, en langue nationale wolof, le premier président de la République du Sénégal (1960- 1980), Léopold Sédar Senghor. Pour ceux qui ne comprennent pas, le défunt président-poète expliquait, en substance, que « quelqu’un qui détient le pouvoir, doit savoir passer la main ».
Malgré l’opposition des hiérarques de son parti, il le fit, se retirant au profit du président Abdou Diouf qui, battu en 2000 par Abdoulaye Wade, après 19 ans à la tête de l’Etat, n’a pas tenté de s’agripper au pouvoir. En vrai démocrate, il a passé le témoin.
Pour des cas d’école, en matière de démocratie en Afrique, ceux inaugurés par Léopold sédar Senghor et Abdou Diouf méritent d’être enseignés sur notre continent. Le premier, pour avoir renoncé volontairement au pouvoir ; le second, pour avoir accepté, de bon cœur, la première alternance démocratique dans son pays.
En Afrique, où une quinzaine de pays passeront, en 2015, par la case élection, il faut bannir le dirigeant qui dit « Sans moi à la tête de l’Etat, ce sera le déluge ».
C’est le discours de celui qui s’évertue à vouloir mourir au pouvoir. Faut-il oser se dresser devant un tel homme politique et lui crier à la face qu’il n’est pas indispensable.
En tout cas, partout où ils seront organisés, les scrutins de 2015 seront de bons indicateurs de la bonne ou de la mauvaise santé démocratique des Etats concernés. Des pays à risque, il en existe. C’est le cas du Burkina Faso où le projet de modification constitutionnelle, pour permettre à Blaise Compaoré de se représenter, pourrait enflammer le pays.
Au pouvoir depuis 1987, il a déjà effectué deux septennats (1992-1998 et 1998- 2005) et va terminer en fin 2015 son deuxième quinquennat (2005- 2010, 2010-2015). Depuis hier, il a clairement fait savoir, avec l’annonce de la tenue d'un référendum visant à modifier l'article 37 de la Constitution, qu’il veut prolonger son bail à la tête de l’Etat.
Si cela ne tient qu’à l’Assemblée nationale, c’est sûr que Blaise Compaoré et ses souteneurs obtiendront gain de cause. Car ils enlèveront à l’article 37 de la Constitution toute sa substance qui permettait de limiter à deux le nombre de mandats présidentiels et d’empêcher Blaise Compaoré de se présenter au scrutin de novembre 2015. Est-ce que l’opposition burkinabè et la société civile, entre autres, ont les moyens d’empêcher un tel dessein ?
En tout cas, un grand mécontentement règne. Dans les rangs de l’opposition, certains ont déjà commencé à bander les muscles. Le Burkina Faso a, jusqu'ici, échappé à de sérieux troubles politiques grâce à sa stabilité interne et à un solide appareil sécuritaire. Mais, une détérioration du climat politique pourrait tout remettre en cause.
Beaucoup de chefs d’Etat du continent africain vont encore s’essayer à la modification de la loi fondamentale, et notamment des articles limitatifs du mandat présidentiel. Pourtant, l’histoire récente nous apprend que certains qui l’ont tenté ont lamentablement échoué.
Souvenons- nous de Mamadou Tandja, président du Niger (1999-2009), dont les malheurs ont commencé lorsqu'il a décidé de dissoudre le Parlement, après 10 ans de pouvoir, pour imposer une prolongation de son mandat pour trois ans. Cette violation de la Constitution a conduit à son renversement par l’armée.
Récemment, Abdoulaye Wade, l’ex-président sénégalais, a été emporté par le Mouvement du 23 juin 2011 (M23) quand le peuple, avec le slogan « Touche pas à ma Constitution », lui a manifesté, ce jour, son opposition à ce qu’il brigue un troisième mandat.
En se présentant à la présidentielle de 2012 contre la volonté du plus grand nombre, il a vu les électeurs sénégalais lui tourner le dos et ouvrir leurs bras à Macky Sall. L’exemple du M23 du Sénégal peut bien faire des émules ailleurs sur le continent.