ASPHYXIE PROGRAMMÉE
J'avais rêvé d'un grand parking payant de milliers de places distribués sur trois niveaux à l'entrée du centre-ville de Dakar, la place de l'ancienne gare routière dite "Pompier". Il intégrait en son sein une galerie commerciale moderne qui se prolongeait le long de l'autoroute jusqu'à la hauteur de Colobane. Des métro-bus stationnés sur le site desservaient, avec une régularité métronomique, les places stratégiques du centre-ville de 6h à 22h. Si vous saviez combien j'ai prié pour que ce rêve fût partagé avec nos dirigeants !
Hélas ! Je me suis réveillé de mon rêve le 23 septembre pour tomber sur une vision cauchemardesque de 17 tours, 640 foyers d'asphyxie émergeant de ce même site. Un vrai "pied de nez" pour un Dakar qui souffre gravement de l'obsolescence de son réseau d'assainissement et du volume de ses ordures. Une ville qui à coup sûr a depuis longtemps crevé son plafond légal de densité.
Quelque chose m'aurait-il échappé ? Comme tous les Dakarois, je me demande ce qui a pu motiver la diligence de ce projet en lieu et place de besoins cruciaux, exprimés en permanence des décennies durant par la collectivité.
Un projet est pertinent quand les arguments probants de sa viabilité lui sont évidemment immanents, or il y a dans ces tours tellement de griefs qui militent à leur réfutation, que leur parachutage suscite des circonstances ahurissantes :
- Le souci du respect d'un plafond de densité et d'un plan d'occupation de sol efficients : bien vérifier si le projet est conforme aux prescriptions actuelles du Plan directeur d'urbanisme (PDU) ;
- Le désengorgement que les Dakarois appellent de tous leurs vœux depuis des décennies ainsi bafoué, alors que tout le monde s'accorde à reconnaître que le centre ville de Dakar est très engorgé ;
- L'expérience des ensembles immobiliers de ce type construits il y a une trentaine d'année dans les pays développés devenus des ghettos problématiques et dont la plupart ont été minés, ignorés ;
- L'exemple des villes du monde les plus attractives, classées meilleurs endroits pour la qualité de vie qu'elles offrent, non pas par le nombre de leurs "tours", mais grâce aux commodités excellentes qu'elles recèlent (les infrastructures appropriées, les espaces verts, parcs et promenades bien entretenus), méprisé.
D'où sort l'idée des tours sur ce site (alors qu'il est tellement plus logique et cohérent de les implanter dans le pôle de Diamniado) en désaccord total avec ces impératifs de la modernisation de la ville de Dakar.
Cette densification impopulaire ne satisfait rien d'autre que les intérêts pécuniaires du promoteur et c'est là une chose qui relève de l'irresponsabilité. Aujourd'hui vivre à Dakar est devenue une souffrance du martyre au quotidien, pour une presqu'île d'une magnificence naturelle trés rare, universellement reconnue comme une réelle providence. Voilà la prouesse que nous avons réussi en cinquante ans de souveraineté. Chacun de nous, nos autorités y compris, a déjà entendu au moins une fois ces vingts dernières annèes, un de nos compatriotes exprimer par dépit : "Ah! Vous rendez-vous compte si cette ville appartenait aux "Toubabs" ; le mirifique paradis qu'elle serait".
N'est-ce pas là un aveu indéniable de notre bonne conscience que notre impéritie pathologique est seule responsable de l'enfer dans lequel nous nous complaisons ? Ce n'est donc pas en continuant de rivaliser hardiment dans la même classe de chefs-d'œuvre d'inhabileté, qui nous ont entraînés dans ce trou, que nous allons nous en sortir. Et nul autre que nous, n'exportera jamais ici son génie ou son franc pour juste développer notre pays.
Quand cesserons-nous d'être naïfs ? Si nous voulons nous développer il nous faudra creuser pour extirper du fond du génie de notre terroir ces mêmes valeurs humaines qui ont permis aux autres de s'en sortir et en user. Il nous faudra consentir des sacrifices et payer le coût de ce que nous voulons obtenir. De la même façon que l'on hisse le drapeau national (que le président Sall a opportunément réhabilité par ailleurs), il faut se rendre à l'évidence qu'"hisser" nous est encore plus nécessaire avec les paradigmes de l'efficience et de la constance. L'incurie notoire qui prévaut sans discontinuité au niveau des instances décisionnelles de l'appareil d'Etat est aujourd'hui, en toute hypothèse, un argument substantiel d'un diagnostic largement partagé qui conclut au déficit de leadership et d'imagination, comme cause de tous nos problèmes existentiels. Seulement, le pouvoir actuel ne doit pas oublier qu'en votant pour la rupture en 2012, nous espérions disposer enfin de leadership à la hauteur de nos attentes, en raison des différences extrêmes qui opposaient les candidats Wade et Sall.
Il est trop tôt pour affirmer que nous nous étions trompés, mais par contre réaffirmer que nous voudrions qu'il n'y ait plus rien qui ressemble à du Wadisme, oui, c'est le moment. Que le président Sall cesse de donner son onction à des projets de promoteurs, introduits complaisamment par des lobbyistes dans son bureau, avant même que leurs projets ne fassent l'objet d'approbation par les techniciens des services publics compétents.
Monsieur le Président, donnez-vous le temps et les chances de disposer d'avis sincères et objectifs des agents de l'administration, affranchis d'intimidation. Faites-leur savoir par un message clair que vous bénissez les critiques objectives et motivées, alors vous serez surpris de leurs compétences et dévouement. Ils deviendraient un rempart pour vous dans l'exercice de votre mission de préservation des intérêts de la nation et vous la faciliteraient.
Hélas pour ce projet dont vous avez déjà procédé à la pose de la première pierre, qui m'attriste sans que je n'ose m'aventurer à vous faire des suggestions, par respect à tous vos conseillers à qui il incombe de le faire. Je sais néanmoins qu'en solidarité à tous les Dakarois, je ne veux pas de ces tours pour nos petits enfants et qu'elles décrédibilisent le PSE.
L'accumulation d'immeubles ne participe pas le moins du monde au développement de ce Dakar de nos jours. Dakar ne m'appartient pas certes, mais je suis léboue de souche (sans pour autant renier ma souche toucouleur qui m'est chère) et expert immobilier et foncier de mon état. Alors je me dois d'être vigilant et de poser dans ces circonstances un acte qui prenne date pour que notre collectivité, dont les destins aujourd'hui sont entre les mains bienveillantes de mes frères, le grand Serigne de Dakar, Abdoulaye Matar Diop, et I'imam ratib Alioune Moussa Samb, n'ignorent mon opinion.
Quand ce premier projet si lucratif à Dakar intra-muros suscitera une boulimique rage du foncier, nos terrains du "Tound" sur lesquels vivent des familles propriétaires depuis le début du 20ème siècle et dont l'Etat n'a jusqu'ici régularisé les titres, y resisteront-ils ? Dakar n'est pas extensible et les terrains ne sortent pas à volonté d'un four comme le pain. J'ai adoré l'idée de PSE avant ce projet. Je me rends compte aujourd'hui que "plan et accélération" ne font pas une bonne paire, ça peut conduire facilement à une grande confusion d'objectifs.
Bannissons l'"accélération de cadence", c'est la porte ouverte à l'improvisation et le pilotage à vue et prenons la peine de travailler sérieusement, quelle que soit la pression sur nous. A mon humble avis "plan" conjugue mieux avec "imagination". Ce "PSE" conjugué avec de l'imagination, l'appropriation des populations au fil du temps aidant, deviendrait le "Punch Socio-Economique", l'outil dont nous avons besoin pour nous développer. Ceci dit, bonne réussite Monsieur le Président.
Au delà de tout, aucun élu ne devrait plus échouer sous nos cieux, ce n'est qu'en multipliant les réussites que nous parviendrons au but.