CE BAC IVRE DE TRICHE
J’ai souvenance de ce bon ami qui avait fini par être lâché par ses forces physiques et mentales à la veille du baccalauréat. Son souvenir est une pièce impérissable dans la galerie de ma mémoire. En plus d’avoir été un gentil camarade de classe, il était un boute-en-train qui aidait à prendre la vie du bon côté.
Mais sa bonhomie avait son mauvais côté. Il alignait les décalques comme des pièces lumineuses d’un chapelet du rire. Son spectacle avait cours à la récréation ou sur les chemins du retour. Dans le bus, il s’esclaffait. Son fou-rire était contagieux. Cela ne posait pas de gros problèmes aux passagers du P12 ou du P21, les deux anciennes lignes qui assuraient la desserte des axes Dakar-Hann-Pikine-Guédiawaye et Dakar-Pikine-Thiaroye-Keur Massar.
Le hic, c’est qu’il attendait le cours d’espagnol pour chercher le regard d’un camarade de classe et lui rappeler, en un mot, la petite histoire servie dans la cour ou dans le bus. Le souvenir de cet humour décapant vous mettait rapidement en mal avec l’enseignant. Soyez assez patients : cela m’est arrivé un jour, pour être juste.
Alors que l’enseignant était dans ses explications, mon camarade a choisi un morceau de mon histoire préférée. Mes efforts n’ont servi à rien, rien du tout ! C’est le rire en classe. Et voilà pour la punition : le prof demande la dernière phrase qu’il a dite.
Naturellement, je suis resté sans voix. Je ne pouvais pas dénoncer le condisciple. Non, je ne lui en ai jamais voulu ! Il était si sympathique, après tout. Seulement, les comptes ont été soldés à la sortie, avec quelques éclats de voix qui n’ont pas eu raison de la camaraderie.
C’est ce condisciple qui s’est retrouvé sur les flancs à la veille du baccalauréat. Il maigrissait jour après jour, le brave. Il avait la mine d’un apprenant qui, subitement, ne comprenait rien des tirades de l’enseignant. Les explications devenaient un puzzle sans bout dans le noir couloir du surmenage. Le stress de l’examen a eu raison de la joie de vivre de cet ami. Il a raté la session de cette année-là avant de se rattraper l’année suivante.
Entre-temps, sa mère, qui a compris la source du problème, faisait la ronde de nuit pour voir si son enfant restait penché sur ses cahiers et livres à des heures tardives. Lorsque la lumière était allumée, elle y allait de sa célèbre remontrance : «Tu t’en remettras à Dieu, enfin ! » Le reproche de la maman était un bon témoignage sur le souci de réussir qui animait son fils.
Elle reconnaît les efforts, contrairement à ce bon vieux cohabitant de quartier. Le bonnet d’âne était sa propriété exclusive. A l’époque, les élèves du public raillaient ceux du privé. Ces derniers étaient considérés comme des camarades ayant échoué dans le public et dont la scolarité était une ligne supplémentaire sur le budget familial.
Mon gars n’était pas une lumière en classe. Cependant, il était doué dans les petits tours. A l’époque, les notes en-deçà de la moyenne étaient soulignées en rouge. Il a fait croire à son vieux père, un ancien militaire, que le rouge était synonyme de « Très bien ».
A la remarque qu’il y a avait trop de rouge sur la page, le gars répondait invariablement : « Papa, c’est ‘’Très bien’’ ! » Et un jour, le papa a été convoqué pour « insuffisances de résultats » et « absence de suivi à la maison ». Imaginez la suite, devant l’instituteur...
Reprenons le bac là où nous l’avions arrêté, sans risque de noyer le mérite des uns et de célébrer l’indignité des autres. J’en connais beaucoup qui, à l’approche de la date fatidique, perdent leurs moyens physiques et psychiques. C’est un monde de sérénité qui s’effondre sur leur tête. Et ils ne savent plus où donner de la tête ! Les plus audacieux procèdent à une sorte de loterie.
La rengaine est connue : « Cette année, en histoire, je mise sur la Russie » ; « En philo, ce sera inévitablement Nature et Culture » ; « En économie, ce sera l’échange inégal ».... Le refrain finit souvent dans les pleurs d’un looser au loto de leur bac. Comprenez bien qu’il y ait des larmes sincères et des larmes provoquées. Que pensiez-vous ?
Il n’y a pas que les pluies provoquées pour noyer nos angoisses suscitées par le décor désertique. Le fait de pleurer soulage du traumatisme de l’inaction. Ce traumatisme est causé par la faillite de la volonté. Il n’y a pas pire sentiment que celui de n’avoir rien essayé. Vous verrez bien des élèves et étudiants creuser et bûcher à l’approche des tests. Ils appellent cela « révision », dans un abus de langage qui les initie à la malhonnêteté.
Comment réviser sans avoir, au préalable, appris ses gammes? Ils se shootent au café et au thé, ingurgitent des cachets pour vaincre le sommeil. Hélas, ils réveillent le démon de la fragilité qui sommeille en chaque être promis au dépérissement biologique imparable. Je ne tombe pas dans le piège des généralisations abusives.
Oui, il est beau, le spectacle des élèves et étudiants qui font les cent pas, en marmonnant quelques mots. De temps à autre, on perçoit du droit, de la littérature ou un gazouillis impénétrable pour mon esprit fermé à la physique et à la chimie. C’est le culte de l’effort, dans un élan aussi bon que celui qui porte l’athlète au-dessus des haies. Les nerfs et l’intelligence sont en éveil, parce que tendus vers la réalisation de la performance.
Et malgré ces efforts, les appels à la sincérité des examens se multiplient comme une campagne de changement des comportements en réponse à une épidémie ou une pandémie. La psychose ambiante n’est pas si différente de la stratégie de lutte contre la grippe saisonnière pour en dire le moins. Face à la maladie, il faut se laver les mains. La triche, il faut s’en laver les mains ! C’est à ne rien y comprendre !
Pourquoi autant de précautions pour contrer la triche au bac ? Certains élèves, cancres en classe, deviennent de plus en ingénieux au contact des technologies de l’information et de la communication. Cela vous choque ?
Faites gaffe, comme cette institutrice ouvertement qui fait l’objet de menaces de la part d’un candidat au Brevet de fin d’études. Le problème dans cette histoire : le « gosse » faisait plus que son âge sur le papier. Pour le décodeur, envoyez la note à Coach Guy Roux sur la Tva à appliquer à l’âge des footballeurs africains. Son bulletin, c’est du retaillé.