CES GOULOTS QUI ÉTRANGLENT LE SANTÉ EN AFRIQUE
CLAIRE HEDON, PRESENTATRICE DE «PRIORITÉ SANTÉ» À RFI
Récemment au Sénégal dans le cadre de l’enregistrement de l’émission « Priorités santé » qui passe sur Rfi tous les matins, du lundi au vendredi, Claire Hédon s’est prêtée à nos questions. Fervente admiratrice de notre pays qu’elle visite souvent, la journaliste quadragénaire évoque les coulisses de son émission, son parcours, jette un regard sur les défis et les enjeux de la santé en Afrique.
Claire Hédon, vous venez souvent au Sénégal. Qu’est-ce qui explique ces fréquentes visites ?
« Je ne sais plus combien de fois je suis venue au Sénégal. Ce n’est pas pour vous faire plaisir, mais j’aime beaucoup votre pays, j’aime beaucoup Dakar parce que c’est une ville agréable. Il y a cette vue de bord de mer, cette ambiance très accueillante. En dehors de cela, et puisque je m’intéresse beaucoup aux questions de santé, je pense que ce qui se fait à Dakar en matière de santé est très intéressant. On a ici des structures sanitaires de très bon niveau. C’est donc toujours un plaisir de revenir à Dakar ».
Est-ce cela qui explique que vous faites souvent intervenir des spécialistes sénégalais au cours de vos émissions ?
« Alors, vous aussi vous trouvez qu’il y a trop de spécialistes sénégalais qui interviennent dans mes émissions ! Vous savez, on m’a déjà fait ce reproche. Des auditeurs d’autres pays m’ont déjà posé cette question et se plaignent du fait que je fais intervenir trop de médecins sénégalais. Mais l’explication, elle est toute simple : au Sénégal, on a beaucoup de médecins très calés dans leur domaine. En plus, il y a aussi une excellente Faculté de médecine reconnue partout en Afrique. C’est donc normal que l’on tombe assez régulièrement sur des médecins sénégalais.
Le niveau de la médecine et des médecins sénégalais est très bon, comparativement à d’autres pays d’Afrique. Pour moi, il y a deux grands pôles de santé en Afrique subsaharienne francophone : c’est Abidjan et Dakar.
Mais avec le conflit ivoirien, Dakar a pris de l’avance, même si Abidjan est en train de refaire son retard. Ce n’est pas que je privilégie le Sénégal, mais c’est qu’on a ici un réseau de médecins de bon niveau ».
Comment vous êtes retrouvée à animer cette émission de santé qui, aujourd’hui, rencontre un grand succès ?
«Je suis arrivée à Rfi il y’a une vingtaine d’années et cela fait dix ans que j’anime l’émission « Priorité Santé ». J’attaque la onzième année. On m’aurait dit, il y a dix ans, quand je prenais la suite de Colette Berthoud que je serais encore là à animer cette émission, je ne l’aurais pas cru. Dans ma tête, j’étais partie pour quatre ou cinq ans.
Collette m’a dit : « Tu vas voir, c’est particulièrement intéressant comme sujet et tu auras peut- être envie de continuer ». Et c’est ce qui s’est passé. C’est un sujet passionnant, un sujet très politique dans le sens large du terme, car c’est des choix de société en matière d’accès aux soins, d’organisation du secteur de la santé.
Avec cette émission, je ne m’ennuie absolument pas. C’est un travail au quotidien, c’est l’ouverture de Rfi sur le monde, sur le continent africain, il s’agit de se poser toujours la question sur ce qui se passe ailleurs et d’en parler. Le diabète, l’hypertension, la mortalité maternelle, etc. Cela m’apporte une ouverture d’esprit incroyable ».
A vous écouter sur les ondes de Rfi, on a l’impression que vous avez suivi des études de médecine, tellement vous semblez maîtriser les sujets que vous traitez. Est-ce le cas ?
« Non je n’ai pas fait d’études de médecine. J’ai fait des études de droit avant d’intégrer une école de formation en journalisme et communication. Ce qui veut dire que je travaille beaucoup pour préparer mes émissions.
J’ai très peur de dire des bêtises ou de poser des questions bêtes pour ne pas paraître idiote. Donc je prépare minutieusement mes émissions pour être sûre de poser les bonnes questions. Pour préparer mon émission sur la mortalité maternelle, je suis déjà allée voir ceux qui interviendront lors de l’enregistrement au Centre national de transfusion sanguine, à la maternité du Roi Baudouin. C’est pour voir avec eux ce qui serait pertinent à aborder, les questions à soulever ».
Tout de même, à force de parler de santé, vous en êtes devenue une spécialiste ?
« Oui peut-être, mais cela ne fait pas de moi un médecin. Même en dix ans de « Priorité Santé », il y a encore des trucs que je ne sais pas encore ».
Mais est-ce qu’il vous arrive qu’on vous contacte pour avoir des conseils sur certaines maladies ?
« Cela me fait rire. Même des collègues à Paris, je vous assure, viennent me parler parfois de leurs problèmes de santé. Mais je ne suis pas médecin. J’ai un très bon carnet d’adresses que je peux mettre à la dis- position de ceux qui me sollicitent et je m’en limite là parce que, encore une fois, je ne pas suis médecin ».
Comment choisissez-vous les sujets à traiter ?
« Je réfléchis sur les sujets à aborder avec mon assistante, avec quelques collègues, mais c’est toujours en fonction de l’actualité. En santé, il y a beaucoup d’actualités parce qu’il y a des informations qui sortent régulièrement.
L’exemple typique, c’est la fièvre Ebola qui sévit actuellement en Guinée. On n’avait pas prévu de parler de cette pathologie parce qu’on programme nos émissions trois semaines à l’avance à cause de la disponibilité des médecins.
Mais là, il faut vraiment en parler parce qu’il y a urgence. En tout cas, il ne manque pas de sujets en santé, le plus difficile c’est de faire le tri entre les priorités ».
Avez-vous le feed-back de vos auditeurs ? Avez-vous noté un réel impact de vos émissions sur les auditeurs ?
« J’ai connu l’époque où les auditeurs nous écrivaient par lettre et cela prenait du temps à nous arriver. En- suite, il y a eu la phase e-mail qui nous a permis de nous rapprocher un peu plus de nos auditeurs, mais aujourd’hui c’est Facebook.
Et les réactions sont plus spontanées. C’est de l’instantané, on a des réactions tout de suite. On a une qualité d’auditoire que je trouve exceptionnelle. Ce sont des auditeurs qui ont de vraies réflexions sur les sujets, qui ont des points de vue pertinents et des questions pertinentes à poser. Donc, on a du feedback et on voit ce qui marche bien et ce qui marche moins bien.
A titre d’exemple, quand j’ai commencé à animer l’émission, on recevait plus d’appels quand on parlait du paludisme et du sida, mais aujourd’hui, on a plus d’auditeurs quand on parle du diabète et des maladies cardiovasculaires. Et c’est très révélateur de l’augmentation de ces maladies non transmissibles sur le continent africain. L’Afrique prend de plein fouet ces maladies émergentes ».
Depuis dix ans, vous parlez régulièrement de la problématique de la santé en Afrique. Que pensez-vous de l’évolution du plateau technique des structures sanitaires et des efforts entrepris par les autorités ? Est-ce assez suffisant à votre avis pour mieux prendre en charge les questions de santé ?
« Je pense qu’il y a des choses qui avancent. Je ne suis pas du tout pessimiste même si je trouve qu’il y a encore de gros efforts à faire. Mais je pense que les choses avancent notamment dans le domaine de la lutte contre le sida. C’est un bon exemple d’accès aux soins.
Cela donne des idées aux autres c’est-à-dire à ceux qui travaillent sur le diabète, l’hypertension, etc. Je trouve également qu’il y a de très bons médecins sur le continent et leurs confrères français me le disent souvent. D’ailleurs, c’est parfois ces derniers qui me conseillent de contacter tel ou tel médecin africain. Les deux gros obstacles restent l’accès aux soins et les moyens financiers ».
Vous voyagez beaucoup, alors comment arrivez-vous à concilier vie de famille et vie professionnelle ?
« Vous savez, j’aime beaucoup voyager, c’est une chance inouïe. On m’aurait dit, étudiante, que j’allais voyager autant, je ne l’aurais pas cru. Après, voilà, je travaille beaucoup. De temps en temps, la vie familiale en prend un coup. Mais le travail ne m’empêche pas de faire autre chose. Je n’ai pas que le travail, j’ai d’autres occupations.
Par exemple, je suis très engagée dans une association qui lutte contre la pauvreté. Notre souci c’est de faire en sorte qu’il y ait une société moins inégalitaire ».
Au Sénégal, il y a des journalistes femmes qui animent des émissions sur la santé même ce n’est pas dans le même format que le votre. Alors est-ce qu’il vous arrive de les écouter lors de vos séjours à Dakar ?
« Pas assez, mais j’aimerais bien savoir ce que font mes collègues de Dakar. J’étais venue il y a de cela quelques années, 7 ans je crois, former des journalistes en santé. J’aimerais bien être plus en contact avec mes collègues de Dakar, savoir ce qu’ils font, les difficultés qu’ils rencontrent. Il y en a qui me contactent, mais franchement j’ai du mal à répondre parce que je reçois tellement de mail que parfois je n’arrive pas répondre à tout le monde. Mais j’ai juste une remarque dans votre question, vous avez parlé de journalistes femmes.
Pourquoi il n’y aurait pas des journalistes hommes qui s’intéresseraient aux questions de santé ? A mon avis, c’est parce que certains journalistes hommes pensent que la santé n’est pas un sujet noble comme la politique le serait pour eux. Moi, avec la santé, j’ai la conviction que je traite d’un sujet éminemment politique, un sujet de société.
Prenez la grève des médecins sénégalais, c’est une question politique. C’est par des décisions politiques que cette grève peut être résolue ».