CHAOS
C’était il y a trois ans, en octobre 2011. À à la suite d’une insurrection populaire suivie d’une intervention militaire de l’OTAN, le régime de Mouammar Kadhafi en Libye s’effondrait. Depuis, c’est le «saut dans le vide».
La Libye, soumise à l'anarchie, se désagrège. Livrée aux milices armées, elle est au bord de la partition. La population dans les grandes villes de Tripoli et Benghazi, quotidiennement éprouvée par des pénuries de vivres et d’énergie, assiste impuissante au scénario cauchemardesque pourtant prédit par des experts de géopolitique. C’est une véritable guerre civile qui déchire le pays, «tout le monde se bat contre tout le monde». Le chaos libyen s’amplifie tous les jours, l’Etat et ses institutions sont en déliquescence totale, réduits en miettes. Le tableau est accablant. La confusion est générale.
Le pays compte en ce moment deux parlements, une multitude de mini-guerres, et deux gouvernements rivaux. Un duo de deux mouvements islamistes, l'Aube libyenne et Ansar al-Charia, fait régner la terreur sous le lit de conflits tribaux et claniques sans précédent. Tous aspirent à contrôler les richesses du pays, surtout les ports pétroliers. L'aéroport a été pris d’assaut et totalement détruit. Les terribles affrontements récents à Tripoli ont obligé des milliers d’innocents à s’enfuir du pays, y compris les représentants des missions diplomatiques. Le Comité national des droits de l'Homme dénonce les assassinats, enlèvements et tortures, exactions quotidiennes subies par le peuple.
En l’absence de forces de sécurité dignes de ce nom, les autorités libyennes «légitimes» sont incapables de contrôler les nombreuses milices formées par d'anciens rebelles, dont nombre d'islamistes, qui sèment la terreur.
Les milices se livrent une guerre féroce, tandis que la société civile vit dans la frayeur de «ces hordes qui pillent et saccagent». Les institutions quant à elles sont prises d’assaut par des forces rivales qui revendiquent le pouvoir. Si rien n’est fait, la Libye deviendra un vaste champ de désordre général qui risque de faire tâche d’huile sur la région et empoisonner durablement la Méditerranée et le Sahel. Les pays voisins s’alarment d’une régionalisation de cette anarchie à la faveur du trafic d’armes.
Pour tous les acteurs régionaux, les puissances occidentales portent une indéniable responsabilité dans la descente aux enfers de cette nation, certes non démocratique sous Kadhafi, mais garante en partie de la stabilité de la région. L’intervention a fait sauter tous les verrous de sécurité. Une fois le régime renversé, c’était l’abandon, ce qui a mené à ce chaos.
Les pays de la région doutent fort de la volonté et surtout de la capacité de l’Occident à venir à bout de cette crise. «Le sentiment dans le Golfe est que les Etats du Golfe doivent prendre leurs affaires en mains», car hormis la Lybie, l’Irak traverse sa quatrième guerre en l’espace d’une génération, sans mentionner la Syrie et l’affligeante tragédie palestinienne. Les Émirats arabes unis et l’Égypte, directement concernés, auraient mené des raids aériens en territoire libyen pour empêcher aux islamistes de répandre leur hégémonie effrayante.
Les dirigeants occidentaux, Obama en tête, réitèrent comme un leitmotiv leur vision commune de la nécessité absolue d’un monde plus juste sous l’égide d’une gouvernance mondiale, mais l’état révulsant du Proche Orient en ce moment rend cette conviction convenue bien creuse.
En raison de l’ampleur de la menace islamiste et des conflits tribaux, le nouveau parlement libyen s’est réfugié à Tobrouk, ville située à 1500 km de Tripoli, la capitale, alors que le parlement sortant refuse toujours de lui transmettre ses pouvoirs. Ce nouveau Parlement est de surcroit très vivement contesté depuis qu'il a appelé à une «intervention étrangère» pour protéger les civils en Libye. La crise militaire s’est doublée d’une crise politique.
Nul doute que la communauté internationale doit agir et éviter que la «somalisation» de la Lybie ne se perpétue et se propage en dehors de ses frontières poreuses, fragilisant davantage une région bien précaire. Mais intervenir sous quelle forme ? Il est impérieux de créer les conditions d’une réconciliation nationale sur la voie de la construction d'un État doté d'institutions solides. Mais la mission est périlleuse en raison de la complexité du conflit.
«Fallait-il tuer Kadhafi ?» s'interrogent encore nombre d’observateurs considérant que «l'Afrique a été méprisée». La Libye cristallise le ressentiment d’un grand nombre d’acteurs Africains tels que l’ancien président de l’Afrique du Sud Thabo Mbeki : «Nous pensions avoir définitivement mis un terme à cinq cents ans d'esclavage, d'impérialisme, de colonialisme et de néocolonialisme… Or les puissances occidentales se sont arrogé, de manière unilatérale et éhontée, le droit de décider de l'avenir de la Libye…», a-t-il déploré, convaincu comme tant d’autres que l’intervention était motivée avant tout par l’appât des richesses de ce pays. La Lybie est la première réserve de pétrole d'Afrique et quatrième de gaz.
Les interventionnistes s’en défendent. Seul le «principe d’humanité» aurait motivé leur détermination à renverser le régime dictatorial et népotique de Kadhafi.
En tout état de cause, aujourd'hui, la sécurité de cette nation et de toute la région relève d’une responsabilité partagée. La menace terroriste tant régionale que mondiale exige de toutes les puissances de mettre en place une stratégie concertée et efficace. Question de conscience également : peut-on laisser la folie djihadiste détruire des minorités entières voire tout un peuple ?
Il semble bien loin 2011 et le début du printemps arabe avec ses révolutions prometteuses. Hormis la Tunisie, la quasi-totalité de la région vit sous la menace islamiste radicale, ou sous le joug de régimes autoritaires. La communauté internationale semble avoir pris la mesure de l’enjeu. Des premiers jalons ont été posés, mais cette stratégie sera-t-elle efficace ? Elle semble pour l’instant buter sur ses insuffisances : pas assez vigoureuse, pas assez coordonnée pour contenir le danger. Il faut faire mieux et vite. Prendre la mesure de l'urgence et moins tergiverser. C’est urgent.
Nayé Anna BATHILY
Le 16 Septembre 2014