CHRONIQUE D’UNE DÉCHÉANCE POLITIQUE
À l’Afp, l’espoir se meurt du seul fait que son leader, qui n’a plus de cœur, n’y croit plus et vitrifie tout militant essayant encore d’y croire un tantinet
Le 27 novembre 2006, le président de l’Alliance nationale des cadres progressistes, Mor Dieng, et un groupe de cadres progressistes quittent l’Afp à cause des méthodes exclusivistes de son leader. Et dans leur première réunion du comité de coordination, ces dissidents dénoncent «les tentatives de musellement des différentes composantes du parti, surtout de l’Alliance nationale des cadres progressistes (Ancp) par Moustapha Niasse. Il en est de même des méthodes de gestion obsolètes et archaïques administrées par le patron de l'Afp et ses soi-disant amis en ligotant les forces vives du parti».
Cette déclaration des cadres progressistes dissidents juraient avec la conception que Moustapha Niasse disait avoir de la démocratie interne au sein des partis politiques en 1990.
À cette époque, il prend une liberté d’expression qui brise la pensée unique érigée en règle au sein du Ps. 1990, il n’hésite pas à critiquer la façon dont le Ps, dirigé par Abdou Diouf, était administré. «Si l’on n’a pas pu changer le parti de l'intérieur depuis dix ans, il faut envisager sérieusement de créer un nouveau parti qui intégrerait l’expérience et les acquis historiques du PS et qui s’adapterait mieux au contexte actuel et aux mutations indispensables de la société sénégalaise», martela-t-il.
Une telle déclaration est prémonitoire du «Congrès sans débat » qui se tiendra six ans plus tard et où le directivisme du chef prend le dessus sur la démocratie des militants avec le parachutage d’Ousmane Tanor Dieng comme Premier secrétaire.
Cette décision anti-démocratique éloigna Moustapha Niasse de la sphère décisionnelle du parti et compromet son rêve d’en prendre les rênes en cas de retrait(e) du Président Abdou Diouf de la vie politique.
Il a été le premier à désapprouver une telle mesure qui allait à l’encontre de la volonté populaire des militants socialistes. D’ailleurs pour marquer son coup de colère à l’encontre des méthodes anti-démocratiques du couple Diouf/Tanor, il refuse, depuis son voyage à l’étranger, de faire partie, lors du remaniement du 3 juillet 1998, du gouvernement dirigé par Mamadou Lamine Loum. Les idéaux démocratiques dont Niasse était porteur l’a incité à porter sur les fonts baptismaux, avec des hommes et femmes de valeur, l’Alliance des forces de progrès.
Et dans un message historique du 16 juin 1999 sous le vocable «j’ai choisi l’espoir», Moustapha Niasse clarifie ses ambitions présidentielles : «Des ruptures sont parfois nécessaires quand vient le temps du destin. Je suis prêt. Je les accepte. Pour toutes ces raisons, la voie dans laquelle j’ai décidé de m’engager dans les semaines à venir s'inscrit dans la durée et se situe au niveau le plus élevé du sacrifice pour l'intérêt de tout un peuple pour les échéances immédiates et les échéances à venir». Ce qui n’est plus le cas aujourd’hui puisque Niasse, autoritaire, est résolument décidé à sacrifier son parti sur l’autel de ses intérêts crypto-personnels.
Cela est d’autant plus avéré que dès 2000 des difficultés de management de l’Afp ont commencé à surgir. Khadim Tabet, patron de l’Afp à Mbour, transhume au Pds la même année de l’Alternance. Quand Niasse est limogé du gouvernement en 2001, c’est au tour de Maitre Massokhna Kane de quitter l’Afp la même année non sans dénoncer les méthodes exclusivistes avec lesquelles le parti est géré.
En fin mars 2003, Serigne Mamoune Niass, figure emblématique du parti, quitte l’Afp et emmène avec lui l’universitaire Khady Fall Diop, Docteur Pape Camara et Oumar Khassimou Dia. Il crée le Rassemblement populaire. Ses divergences avec Madieyna Diouf, nommé par le Secrétaire général patron régional de l’Afp à Kaolack, sont à la base de son départ. C’est le premier coup dur de l’Afp.
Le 26 mai 2006, Abdoulaye Babou annonce sa démission du groupe parlementaire « Espoir » pour devenir non-inscrit.
La population électorale de Niasse s’érode à mesure que les élections générales de 2007 s’approchent. Ainsi à la présidentielle 2007, le progressiste en chef n’a récolté que 5,93% des suffrages, avec seulement 203 129 voix, soit une perte de 100 mille voix comparativement au score de 2000. Ce qui veut dire qu’à côté des départs de hauts responsables, beaucoup de militants de base ont tourné le dos au parti de leur rêve même si on peut considérer quelques sympathisants parmi ceux qui ont porté leur choix sur Niasse en 2000.
Après la présidentielle de 2007 où Moustapha Niasse arrive en quatrième position, de loin derrière Abdoulaye Wade, Idrissa Seck et Ousmane Tanor Dieng, Abdoul Khadre Ndiaye, leader d’un courant politique au sein de l’Afp, est exclu pour avoir demandé à la direction de son parti de démissionner après leur échec retentissant. Auparavant des universitaires comme Fallou Ndiaye et compagnie ont tiré leur révérence.
Joseph Mendy, secrétaire permanent chargé de l’administration de l’Afp à Ziguinchor, et l’architecte Cheikh Ngom, numéro un de ce parti à Ziguinchor, plient eux aussi bagage en mai 2007. Babacar Mbaye Ngaaraaf a jeté l’éponge pour des raisons de cohérence politique. Mberry Sylla, leader de l’Afp à Louga a rejoint Macky Sall quand l’Apr est porté sur les fonts baptismaux.
Triomphe du stalinisme
Le mode de gestion du parti et de ses instances et le directivisme de Niasse qui prend des décisions avec un cercle restreint est décriée. La communication, voire la communion, entre le sommet et la base ne passe plus. Les instances fonctionnent au ralenti. Tout est centré autour du chef puisque même en son absence, les seconds couteaux ont du mal à faire fonctionner le parti.
Et de Charybde en Scylla, l’Afp continue de perdre ses militants de haut rang. Mais à la présidentielle de 2012 avec la coalition Bennoo Siggil Senegaal qui l’accompagne, Niasse remonte la pente et obtient 357 330 voix soit 13,20%. Mais ce n’est que l’arbre qui cache la forêt. Ainsi les législatives seront encore l’occasion pour perdre la pasionaria du parti Hélène Tine évincée de la liste proposée par son leader dans le cadre de la coalition Bennoo Bokk Yaakaar. N’eût-été la liste de Bess du Niakk de Serigne Mansour Sy Djamil, Hélène ne serait pas aujourd’hui députée à l’Assemblée nationale.
De par cette acte, Niasse vient de pousser à la sortie celle qui a été à l’avant-garde de toutes les batailles médiatiques et politiques de l’Afp. Bien que n’ayant pas officiellement déclaré sa démission de l’Afp ou n’y étant pas exclue, Hélène a tourné la page Niasse. Mamadou Ly, le secrétaire national chargé de l’administration et de la permanence de l’Afp, s’est retiré lui aussi en douce.
Aujourd’hui la crise a atteint son paroxysme avec la suspension de huit cadres (en attendant la guillotine) pour avoir contredit le seigneur Niasse. C’est le triomphe du stalinisme de la pensée dans un parti allaité de la sève de la social-démocratie.
Aujourd’hui, la succession de Moustapha Niasse, pris en otage par un quarteron composé d’Alioune Sarr, Malick Diop, Bouna Mouhamed Seck et Zator Mbaye est une question taboue au sein de l’Afp puisqu’il entend rester à la tête du parti qu’il a fondé jusqu’à son dernier soupir. «Tant qu’il me restera un souffle de vie, je serais à la tête de l’Afp», a-t-il fait entendre à tous ceux-là qui dissertent sur son retrait de l’Afp.
Pourtant cette posture conjoncturelle dictée par les opportunismes et les intérêts du moment détonne avec sa déclaration faite lors du dernier Congrès de la LD quand Abdoulaye Bathily cédait son fauteuil à Mamadou Ndoye : «Cela fait trois ans que je demande mon départ mais, j’attends que le parti me libère car, cela ne dépend pas de moi. Je demanderai à Abdoulaye Bathily de m’aider et me dire comment il a fait pour se libérer de la tête de son parti.»
Mais c’est cela la politique sous nos cieux. La vérité d’aujourd’hui sera le mensonge de demain selon la boussole de ses intérêts pour paraphraser Walter Scott. A l’Afp, l’espoir se meurt du seul fait que son leader, qui n’a plus de cœur, n’y croit plus et vitrifie tout militant essayant encore d’y croire un tantinet.