DERRIÈRE LES HONNEURS
On ne boude pas le plaisir de voir les Lionceaux franchir des étapes énormes. Mais être junior c'est éphémère. La quasi-totalité de cette équipe va déclasser vers les catégories supérieures. Il leur restera le plus important
On n'a pas vu foule à l'aéroport – mais peut-être qu'on se trompe sans trop y croire. Si le tout Dakar s'était mobilisé pour les beaux yeux et les belles perfs des "Lionceaux" en Nouvelle-Zélande, la Rts – oui, on l'a sur le bouquet au Tchad – n'aurait point fait économie de ses plans larges. L'accueil réservé aux "Lionceaux" n'était pas non plus une affaire de trois pelés et deux tondus. Mais la chaleur et le ramadan ont sans doute eu à décourager plein de bonnes intentions.
Après avoir donc rempli le stade Senghor pour la finale de Chan contre le Nigeria, voilà que les "Lionceaux" mettent l'ambiance à l'aéroport Senghor. Pour une quatrième place au Mondial, ils ont eu aussi les honneurs de la République, avec réception au palais par le président Macky Sall.
Fouler les marches du palais et se retrouver sous les ors de la salle des banquets est un hommage qui grandit ces belles petites âmes. A leur âge, ils en seront sans doute marqués. Reviendront-ils encore – du moins certains d'entre eux – par la même grande porte pour apporter un présent plus somptueux ? Leur talent, leur détermination et leur bonne étoile le diront dans quelques années.
La dernière fois que le foot sénégalais a porté des ailes de géant, c'était il y a douze ans. Une génération dans le domaine du sport. Les "Lions" revenaient d'une finale de Can au Mali. Leur chemin jusqu'au palais avait été laborieux. De la même manière, on s'était également emporté pour célébrer les fastes d'un retour de quart de finale au Mondial-2002. Les élans d'alors avaient été plus démesurés qu'avant-hier, mais c'est une question d'intérêts et d'égards pour le foot des jeunes.
Le triomphe réservé aux "Lionceaux" témoigne de l'élan d'un peuple en mal de grandeur à célébrer. Cela n'enlève rien à leur mérite qui s'est forgé dans l'exploit de l'inattendu. Mais en sport, la clameur de la foule ne traduit que l'ampleur d'un résultat. Elle ne réfléchit pas plus loin. Or, derrière tout accomplissement, il y a la nécessité de l'interrogation qui peut porter à aller plus loin que la béate satisfaction. En sport, c'est au lendemain du succès que commence le questionnement qui pérennise et améliore.
Au regard du bilan présenté par les "Lionceaux", on peut dire qu'ils ont traversé ce Mondial avec une veine de cocus. Ils ont été jusqu'au bout des sept matches de cette compétition, ont regardé l'Argentine, le Portugal et autres grandes nations rentrer chez elles. Mais il faut aussi prêter attention aux 14 buts qu'ils ont pris, pour n'en rendre que 6. Le différentiel est énorme. Il appelle à la réflexion.
A chaque fois que les "Lionceaux" se sont retrouvés devant une grande nation de football, la rupture était presque totale. Contre le Portugal, on est allé à la correctionnelle ; contre le Brésil, c'était pratiquement les assises, avec une peine quasi capitale de 5-0.
Tout cela mérite profonde lecture. Au moment où les "enfants" jouissent des délices de leur demi-finale, une réflexion technique s'impose.
Au plan individuel, on disposait d'un gardien qui a fait la différence. C'est essentiel dans une compétition. Mais quand une défense prend une moyenne de 2 buts par match, en 7 matches, quand une équipe s'étire autant sur un terrain et offre rarement l'équilibre d'un bloc solide, quand on attaque à corps perdu, fusil au vent, sans recherche d'une évolution harmonieuse et d'un équilibre entre ses lignes, qu'on ne s'étonne point des ruptures fatales qui ont pu survenir contre le Brésil et contre le Portugal.
On ne boude pas le plaisir de voir en quelques mois cette équipe nationale franchir des étapes énormes. Mise en place dans les conditions difficiles qu'on sait, elle a pris des claques, s'est fait rouler dans la boue et chahuter avant de s'imposer à Léopold Senghor pour y disputer la finale du Chan. En ce lieu, ce groupe a des repères. Mais être junior c'est éphémère. La quasi-totalité de cette équipe va rompre les amarres et déclasser vers les catégories supérieures. Il leur restera le plus important.
Ces acquis qui vont les accompagner, c'est d'avoir su voyager. Avec des étapes sublimes en Coupe du monde. Commencer par le Portugal et finir par le Brésil, cheminer à travers le Qatar, la Colombie, l'Ouzbékistan et l'Ukraine est une extraordinaire aventure qui fait toucher le pouls du foot sur quatre continents ou sous-continents, détecter les pulsions d'avenir qui pourraient, demain, constituer le fil conducteur mondial. Ce que les autres ont pu apprendre de l'Afrique en se frottant au Sénégal, qu'on ait l'intelligence de le lire en eux pour comprendre ce qui va déterminer l'Amérique du sud, l'Europe, l'Est européen et les pays arabes demain. On n'aura que des tendances, mais elles peuvent être lourdes de perspectives.
Ce qu'il faut éviter aujourd'hui, c'est comme quand Saint-Etienne a perdu la finale de Coupe d'Europe des clubs champions en 1976 à Hampden Park (Ecosse) face au Bayern (1-0). Les "Verts" avaient descendu les Champs Elysées pour finir leur randonnée chez le président Giscard d'Estaing. Quant à la France du foot, elle s'était focalisée sur les "poteaux carrés". Eussent-ils été ronds, le tir de Bathenay et la tête de Santini auraient été poteau et transversale "rentrant" ; et peut-être que la face du monde aurait changé.
Les poteaux sont devenus ronds, mais la France a dû attendre 1993 pour remporter son unique Ligue des champions avec Marseille. Il faudra donc essayer de voir ce qu'il y a de technique et de tactique dans cette participation des "Lionceaux" au Mondial. Voir ce qui leur manque pour que demain ne redevienne un désert de vaines espérances.