DES EXPERTS PRÔNENT LA MISE EN PLACE D’UNE SOCIÉTÉ D’AFFERMAGE
Relance et modernisation du chemin de fer
Le transport ferroviaire est une nécessité, voire une priorité absolue dans un pays, en ce qu’il facilite la circulation des personnes et des biens à moindre coût, contribue au brassage entre populations, consolide la cohésion nationale et participe à la sauvegarde du réseau routier, réduisant fortement le transport lourd.
Le rail a aussi une meilleure longévité que les routes qui doivent être entièrement refaites tous les sept à dix ans contre 30 à 50 ans pour les voies ferrées. Outre ces avantages, le transport ferroviaire est moins polluant. Sa consommation d’énergie et son empreinte carbone par tonne transportée sont inférieures à celles des routes ; le gain peut dépasser les 75%. Le transport ferroviaire utilise une forte main-d’œuvre ; il est source d’emplois pour les jeunes et présente davantage de sécurité pour le fret.
Autant d’intérêts qui font que, face aux difficultés que traverse ce secteur au Sénégal, des experts ferroviaires dont la plupart ont mis toute leur vie au service des chemins de fer, participent à un comité de réflexion pour la relance et la modernisation du chemin de fer au Sénégal.
«Dans ce cadre de réflexion se trouvent tous les anciens secrétaires généraux de syndicats signataires de la privatisation des chemins de fer en 2003», confie Amidou Diallo, l’un parmi eux.
Revenant sur la genèse de la privatisation de la Société nationale des chemins de fer du Sénégal (Sncs), il rappelle que le schéma de départ fut la mise en place d’une société d’affermage, c'est-à-dire, une société de patrimoine où l’Etat reste propriétaire des infrastructures, contrôle la sécurité et la circulation des trains.
En contrepartie, l’exploitation est confiée à un privé qui s’acquitte des droits de circulation. Mais avec l’alternance au sommet de l’Etat du Sénégal en 2000, Amidou Diallo soutient que malgré des avis soutenus de la direction générale, le gouvernement de l’alternance choisit de s’engager dans le schéma de la concession intégrale ; une option consistant à refiler à un privé toute l’activité ferroviaire.
Selon lui, les conditionnalités posées par les autorités gouvernementales furent de confier le chemin de fer à un groupe qui aurait des capacités techniques avérées en matière ferroviaire mais aussi la possibilité financière d’injecter 5 milliards 100 millions de FCfa comme quote-part majoritaire à l’adjudication. «C’est dans ces conditions que le groupe Canac-Getma a pu supplanter le groupe Bolloré au terme de l’appel d’offres», indique-t-il.
Un arrangement en cachette plombe la concession
D’après Amidou Diallo, à leur grande surprise, les syndicalistes ont découvert qu’un arrangement aurait été fait sur leur dos en ce qui concerne la somme exigée au privé pour être éligible. «Une mal donne qui a poussé les syndicats à tirer la sonnette d’alarme pour dénoncer l’absence d’investissements pour un bon redémarrage, la lenteur dans la mise en place d’un accord d’établissement pour gérer les ratios dans la grille salariale, mais aussi d’une politique ferroviaire claire articulée à un plan d’entretien des infrastructures», note-t-il.
Sur la même lancée, il met les grosses disparités dans le traitement salarial entre des expatriés et les autochtones. Sur ces questions, Amidou Diallo affirme que le comité de pilotage en charge de la privatisation de l’époque, a refusé de statuer sur le problème. «Ce qui a fait de la concession de la Société nationale des chemins de fer du Sénégal un mort-né», assène-t-il.
Pour lui, il était clair qu’en donnant en concession les chemins de feràunprivépour25ansetenlui demandant de procéder à des investissements dont l’amortissement ne peut se faire que sur 40 ans, les autorités ne pouvaient que s’attendre à la mort à petit feu du chemin de fer.
Car, pour cet expert ferroviaire chevronné qui a fait 42 ans de services aux chemins de fer, si on les avait un temps soi peu écoutés, l’objectif de la privatisation qui fut d’atteindre un volume de transport annuel de plus d’un million de tonnes de marchandises, des recettes de 120 milliards de FCfa par an, avec un effectif de plus de 4000 agents serait aujourd’hui atteint. «Au lieu de cela, aujourd’hui, la concession est en règlement préventif ; donc il urge pour nos autorités gouvernementales de prendre le taureau par les cornes en résiliant le contrat de concession », estime-t-il.
Une société de patrimoine est tout indiquée
A partir de ce moment, Amidou Diallo indique qu’il est plus sage de s’engager dans un schéma où la souveraineté de l’Etat est sauvegardée. Il s’agit pour l’Etat de reprendre les cartes en main en créant une société de patrimoine au Sénégal où il renouvelle et modernise les infrastructures ferroviaires qu’il met à la disposition d’opérateurs privés pour exploitation. Ce qui va lui permettre de régler la distribution des trains.
«Notre pays a les meilleurs cadres ferroviaires du continent. Alors, pour le type d’infrastructures, nous pensons qu’avec des rails de 60kg/uic, des traverses en ciment et béton, des matériaux disponibles dans le pays, tout comme l’usine de fabrication de ces éléments, font que le Sénégal dispose d’atouts certains pour pouvoir faire face aux investissements nécessaires sur la voie, un des éléments fondamentaux pour une exploitation rentable en matière de transport ferroviaire», soutient-il.
C’est pourquoi, il ajoute qu’à priori de tels investissements sont bien dans la corde de notre pays parce qu’outre les types d’infrastructures, il va falloir reprendre les emprises des rails et les installations telles que la gare de Dakar et toutes les autres de l’intérieur du pays comme à Saint-Louis, reconstruire toutes les autres gares détruites dont celle de Kaolack, et réhabiliter aussi les ouvrages comme les ponts pour le passage à 22,5 tonnes à l’essieu. Tout cela doit être parachevé par la mise en place d’un système moderne de communication et de sécurité.
L’Agence nationale des chemins de fer peut sauver le secteur
Fort de la conviction profonde selon laquelle la création de l’Agence nationale des chemins de fer du Sénégal est attendue par les cheminots dans la réhabilitation et la modernisation du chemin de fer, Amidou Diallo indique la marche à suivre. Compte tenu de son expérience, il dit que ses collègues attendent avec impatience la reprise de l’ensemble des lignes ferroviaires existantes au Sénégal.
«S’il s’agit de définir des priorités, nous disons que la première est d’aller vers un retour rapide du transport national voyageurs qui constitue une demande sociale forte des populations», confie-t-il. Sur ce point, il soutient que c’est une question de justice sociale, de bonne gouvernance, dans la mesure où le petit train de banlieue, société de transport Dakar Dem Dik, la future ligne ferroviaire Dakar-Diass et autres sociétés de transport voyageurs installées dans la région de Dakar, bénéficient tous d’une compensation pour aider les populations à se déplacer à moindre coût.
«Du moment que les Sénégalais jouissent des mêmes droits et devoirs, les autres parties du territoire doivent aussi pouvoir se mouvoir à moindre coût et en toute sécurité avec le train», assène-t-il.
Avec l’ambition d’aller à Saint Louis, Touba, Kaolack, Tambacounda, Kidira et de désenclaver le Sud et le Nord du pays, Amidou Diallo affirme que ce serait un grand coup d’accélérateur pour le Plan Sénégal émergent. Le développement du secteur ferroviaire constitue également un facteur déterminant pour stimuler les investissements privés, le désenclavement et l’intégration économique sous-régionale et internationale.
Il demeure ainsi un levier important pour améliorer la compétitivité des économies sénégalaise et malienne. «Malgré tout, l’express Dakar-Bamako est à l’arrêt depuis des années ; donc deux rames non exploitées qui subissent l’usure du temps au grand dam du contribuable. De 1060 kilomètres de rails au début des indépendances, les lignes sont longues de 600 kilomètres ; un net recul qui renseigne sur la nécessité de faire face, si on ne veut pas se retrouver avec des lignes exclusivement destinées au transport des mines dont la manne financière échappe à la société d’exploitation des rails à raison de l’autonomisation à ce niveau. Or, la vocation du chemin de fer a toujours été d’assurer, sans exclusif, le transport des biens et des personnes», soutient-il.
Au vu des récentes sorties des syndicats cheminots de Transrail S. A., il urge, selon lui, que les Etats du Sénégal et du Mali prennent les décisions idoines et assument l’avenir du chemin de fer dans leurs pays respectifs.
Ceci pour couper court à la situation délétère récemment dénoncée par Madiodio Diagne et Cheikh Diène, secrétaires généraux respectifs du Syndicat autonome des travailleurs du rail et de la Fédération des travailleurs du rail.