DES SPECIALISTES PASSENT A LA LOUPE LES RAPPORTS
PRESSE, POUVOIR ET JUSTICE
Réunis autour du thème : «Presse, pouvoir et justice au Sénégal : conflit ou allégeance ? Quelles alternatives ?», des professionnels de l’information et des magistrats ont passé au peigne fin les
relations entre journalistes, hommes politiques et pouvoir judiciaire. Il est sorti globalement des réflexions que la presse, loin d’être un pouvoir, doit toutefois jouer son rôle de contre-pouvoir en face du pouvoir formel.
Pour la célébration du 7ème anniversaire du mouvement Consensus citoyen pour la République (Ccr) de Abdoulaye Fofana Seck, un parterre de professionnels de l’information et de magistrats s’est penché sur les rapports qu’entretiennent journalistes, pouvoir exécutif et pouvoir judiciaire. Les relations sont quelquefois heurtées entre la presse et l’exécutif qui tente d’utiliser une presse jalouse de son indépendance. Pour Mame Less Camara, journaliste-formateur au Cesti, la première complication est que la presse fait partie des moyens des gouvernants pour mieux administrer les citoyens. «Nous ne sommes pas là pour nous bagarrer contre le pouvoir, mais nous ne sommes pas là également pour nous soumettre. Il faut un compromis dynamique, car toute société a besoin de la presse. Nous ne sommes pas un quatrième pouvoir car susceptible à tout moment d’être traîné en justice et si on ne fait pas attention, on risque juste d’être un moyen des pouvoirs», a indiqué Mame Less Camara.
Les magistrats plus respectueux de la liberté d’expression que les hommes politiques
Retraçant l’historique des rapports entre presse et pouvoir judiciaire, Mamadou Oumar Ndiaye, Directeur de publication de l’hebdomadaire «Le Témoin» et considéré comme le champion des procès en diffamation, estime que du temps du régime socialiste les lois étaient taillées sur mesure contre les journalistes.
Toutefois, il reconnaît que les magistrats sénégalais sont respectueux de la liberté d’expression et il n’y a pas trop de journalistes envoyés en prison, alors que si les juges suivaient les hommes politiques, les prisons compteraient beaucoup de journalistes.
Dans cette logique, Abdoulaye Bamba Diallo considère que du temps de Senghor et de Diouf, à chaque fois que la presse jouait son rôle de contre-pouvoir, il y avait des heurts et l’utilisation de la justice pour sanctionner des journalistes. Pour le Directeur de publication de «Nouvel Horizon», c’est sous le règne de Abdoulaye Wade qu’il y a eu moins de heurts entre le pouvoir et la presse et moins de journalistes en prison. Cela, dit-il, grâce à une nouvelle vague de magistrats plus affranchis et plus libres.
«Prétexte fallacieux des députés» contre le nouveau code de la presse
Abondant dans le même sens, Mamoudou Ibra Kane assure que la presse n’est pas un quatrième pouvoir mais un contre-pouvoir, et sans presse il n’y a pas de liberté et vice-versa. Ainsi, il s’insurge contre le refus des députés de voter le nouveau Code de la presse sous «un prétexte fallacieux » de la ‘’déprisonnalisation’’, alors que «la plus pernicieuse sanction qu’encourt une entreprise de presse, c’est la sanction financière». «Il faut que nos hommes politiques soient plus courageux pour nous faire avancer, car ce texte permettra d’assainir le métier de journaliste.
Sinon, on n’a qu’à enlever cette histoire de déprisonnalisation et avancer. Les derniers journalistes envoyés en prison ne l’ont pas été dans le cadre de l’exercice de leurs fonctions», déclare le Directeur du Groupe futurs médias.
A leur tour, les magistrats Fatou Omar Ndiaye et Cheikh Bamba Niang ont invité les journalistes qui tiennent à leur liberté à connaître aussi leurs devoirs pour de meilleurs rapports entre les différents pouvoirs. «Le pouvoir de la presse trouve sa limite dans le pouvoir qu’il a en face, qui le régule. La presse, l’exécutif et le judiciaire doivent s’équilibrer pour assurer une paix sociale», pense Fatou Omar Ndiaye, conseillère à la Cour d’appel. Position partagée par Me Moussa Felix Sow qui pense qu’au Sénégal, l’exécutif règne en seigneur et utilise les autres pouvoirs.
«Tant que nous ne serons pas dans un cadre où l’équilibre est assuré, la presse doit jouer son rôle de contre-pouvoir. Le système institutionnel tel qu’il est n’a pas encore changé et la presse est un contre-pouvoir et doit l’assumer», tranche l’avocat.