DESSAISISSEMENT OU RÉALISME ?
Devant l’accumulation des retards d’investissement, l’État a décidé de confier à la SDE, en lieu et place de la SONES, le financement d’un programme d’urgence pour arrêter les fréquentes coupures d’eau
Ainsi donc le ministre de l’Hydraulique et de l’Assainissement vient de confirmer, devant les députés, la reconduction du contrat d’affermage de cinq ans de la Sénégalaise des eaux (SDE). En réalité depuis décembre 2013 l’avenant numéro 7 était une réalité.
Au terme de ce nouveau bail avec l’État que d’aucuns considéraient comme léonin, la SDE va s’impliquer davantage dans l’investissement, en plus de l’exploitation, de la commercialisation et la réalisation des travaux de renouvellement, décidés dans le contrat de performance signé avec la SONES.
Ses obligations en matière d’investissement ont été démultipliées, aussi bien dans le financement qu’au niveau du renouvellement, l’exploitant aura à fournir 60 km (diamètre 100 fonte) au lieu des 17 km prévus dans le contrat de 1996.
Cette hausse traduit ni plus du moins un transfert à la SDE des 43 km que la SONES a sans doute peiné à réaliser. Dessaisissement ou réalisme ? Les lenteurs dues aux procédures de passation des marchés y sont certainement pour quelque chose.
Il en est ainsi du reste, du renouvellement des compteurs. Le niveau d’implication de la SDE va augmenter. La société d’exploitation fournira chaque année 12 000 compteurs, soit au moins le double de ce qu’elle misait dans le contrat et les avenants précédents. Idem, pour le renouvellement des matériels électromécaniques, dont le plafond n’est plus fixé à quinze, mais à trente millions.
Autrement dit toute acquisition de ces équipements inférieure à trente millions, reviendra à la SDE. L’exploitant pourra ainsi faire face, avec de plus de célérité, à certaines exigences techniques liées à l’exploitation sans sortir de ses missions de réhabilitation, souvent source de conflits avec la SONES.
Deux poumons du secteur
Tout compte fait, l’avenant numéro 7 ressemble comme un jumeau aux précédents. Dans l’esprit, car il s’agit pour les deux poumons du secteur de l’eau de s’acquitter de leurs missions, à travers leur spécialité respective. La SONES, la recherche des financements, la planification des travaux, le contrôle de l’exploitant et la sensibilisation du public. Et la SDE, l’exploitation, la commercialisation et le marketing de l’eau.
En apparence cette répartition tayloriste devrait suffire au bonheur du secteur et à ses acteurs. Mais en réalité, il y a en arrière-plan de ce gentlemen agreement officialisé par l’Etat, une évolution notable. Autant le niveau d’implication de la SDE a augmenté, autant son chiffre devrait aussi suivre la courbe de ses nouvelles responsabilités en matière d’investissement.
En effet, devant l’accumulation des retards d’investissement et de réalisation des travaux, l’État a tout bonnement décidé de confier à la société d’exploitation le financement d’un programme d’urgence pour arrêter les coupures d’eau fréquentes en période d’hivernage, notamment.
Ainsi, en lieu et place de la SONES, la SDE va financer, réaliser et exploiter, vingt et un forages d’une valeur de plus de sept milliards francs CFA. Le premier lot de quatorze devrait voir jour en juin. Et le second de sept, en décembre. La production cumulée est estimée à 60 000 m3/j, un premier lot de 40 000 m3 /jour et un second de 20 000 m3/ jour.
A l’arrivée, les déficits en eau de Dakar devraient s’atténuer considérablement. Tant qu’il est vrai que, l’option cumulée entre la construction d’une usine de dessalement de l’eau de mer et la réalisation de Keur Momar 3, n’aura pas été matérialisée, le déficit persistera toujours. Il sera alors chronique, en dépit du décrochage annoncé des maraîchers pour l’exploitation des forages de Mberthialène.
Mais la SDE ne devrait pas s’engager dans la réalisation de ces grosses infrastructures, qui n’entrerait dans son schéma. Une station de dessalement de 50 000 m3 /j coûterait 40 milliards francs CFA.
Le scandale des quotas maraîchers
En attendant, il s’agira plutôt de discipliner les agriculteurs, qui utilisent bon an mal, plus de 7 % de la production d’eau… traitée. Un impensable paradoxe.
En fait, c’est en accord avec la Banque mondiale, premier bailleur de fonds du secteur en 1996, qu’il a été accordé aux maraîchers un quota de 11 000 m3/j. Aujourd’hui, la consommation maraîchère autorisée est largement dépassée à cause du laxisme avec lequel ces libéralités sont faites aux chefs religieux et autres notabilités politiques.
Un vrai business, derrière lequel se cache un trafic en tous genres. A preuve les maraîchers ont déplafonné leur quota et vacillent entre 18 000 et 25 000 m3 /jour et accentuent les déficits d’eau à Dakar en période de forte chaleur.
En plus d’avoir à engranger ce pactole du programme d’urgence, la SDE va aussi augmenter ses gains avec la réalisation du marché des branchements dont le montant peut varier en fonction des programmes obtenus par la SONES. Il peut se situer autour d’un milliard par an qui va tomber dans son escarcelle, puisqu’il arrive souvent que la SDE encave à la fois les recettes de la pose et de la fourniture.
Le calcul est simple à faire : multiplier 6000 branchements par le coût moyen de l’ordre de 150 000 francs CFA. La réalisation de ces branchements aurait pu certes profiter également à d’autres entreprises locales. Mais grâce à un bordereau des prix retenu d’un commun accord entre les deux sociétés, la SDE ne peut pas dépasser les tendances du marché.
Au demeurant cette entente directe exclusive est perçue également par les entreprises locales comme une violation du code des marchés publics.
Ceci dit, certaines de ces entreprises sont pour beaucoup dans le retard d’exécution des marchés de travaux, faisant à la fois montre de manque de sérieux et d’éthique professionnelle. La SDE a au moins la présomption de compétence, pour exécuter ces marchés sans gêne.
De toutes manières, l’évolution notable du secteur de l’eau incite à l’optimisme. Aujourd’hui avec un niveau d’investissement de l’ordre de 40 milliards par année, son dynamisme n’est plus à démontrer. Le chiffre d’affaires global du secteur est passé de 55 milliards à près de 80 milliards en moins de trois ans.
Cette hausse considérable des affaires est due à l’augmentation de la production d’eau grâce à la mise en service de l’usine de Keur Momar Sarr et des performances obtenues dans le transfert de l’eau par les surpresseurs de Mekhé qui fonctionne quasi 22 heures sur 24 à plus de 7000m3/h et celui de Carmel, qui n’est pas encore à sa vitesse de croisière. La production totale dépassera certainement les 500 000 m3/j, dans plus de 70 centres affermés de la SDE.
Compétence exportée
La part d’exploitant de la SDE restera donc autour de 362 francs CFA, celle de la SONES devra passer de 120 francs CFA à 134 francs CFA, si l’ajustement tarifaire est appliqué. Le reste est dédié à l’ONAS, toujours parent pauvre du secteur. Il est clair que sans réaménagement tarifaire, la SONES aura beaucoup de mal à s’ajuster. L’augmentation des tarifs est difficile à avaler par le consommateur, qui attend une meilleure amélioration des services à Dakar. Mais, très souvent, ils oublient que si l’eau est un bien social, elle a coût économique. Il suffirait d’augmenter les tarifs d’en moyenne 25 francs par m3 pour que les comptes y soient pour la société de patrimoine.
La Banque mondiale fait des pressions sur l’État pour opérer cet ajustement qui devrait aboutir à deux résultats immédiats : alléger l’état de sa subvention, qui a avoisiné les 30 milliards, et sortir la SONES de l’ornière, car cette situation la mettant dans une logique peu envieuse de variable d’ajustement de la SDE.
Contractuellement, en effet, la SDE est obligée de revoir son prix exploitant chaque fois que les charges d’exploitation (production, frais divers de gestion) évoluent de manière sensible vers la hausse. Mais à chaque fois que la part de la SDE connaît cette croissance, celle de la SONES baisse. Et seule l’augmentation des tarifs peut redonner à la SONES les ressources contractuellement perdues, sans nuire aux intérêts de la SDE.
Le courroux des consommateurs
Seulement voilà cette augmentation prévisible des tarifs est constamment différée par les gouvernements successifs qui craignent le courroux des populations déjà si mal servies par la SENELEC.
Il est vrai que la crise de l’eau de septembre 2012 et ses conséquences, les ruptures de services et autres déficits fréquents en période hivernale, ne militent pas en faveur d’une hausse des tarifs. Les techniciens et financiers de la SONES, s’activent à trouver des formules magiques d’ajustement, sans grandes conséquences.
Difficile à faire, même avec un déplacement du curseur à l’intérieur de la grille tarifaire. En effet, il est possible de faire un ajustement insidieux, en réduisant le tarif de la tranche sociale (près de 40 % des consommateurs) de zéro à 15 000 m3, voire 10 000 m3, pour un prix de 200 francs le mètre cube.
Aujourd’hui ces consommations sont situées entre zéro et 20 000. Ce resserrement des lignes peut permettre un gain substantiel. Sur les tranches dissuasives et industrielles, d’autres aménagements sont possibles, à condition de ne pas plomber l’activité économique des entreprises déjà meurtries par le coût élevé de l’électricité et du téléphone.
Sans doute le plus gros effort à faire doit provenir de l’État, qui chroniquement doit une trentaine de milliards à la SONES, la SDE et l’ONAS. Bons payeurs avant 2000, l’administration, les municipalités, les universités et les casernes sont devenues progressivement d’indécrottables débiteurs. Chaque année, l’État provisionne en gros 22 milliards dans son budget, alors que sa consommation estimée est de l’ordre de 30 milliards.
Non seulement, il n’acquitte pas ses créances, mais arrive difficilement à accepter et appliquer la compense par règlements croisés, sur un gap d’un plus de sept milliards.
L’administration reste le gros problème du secteur de l’eau, au lieu d’en être la solution. Et cela dans bien des aspects, qu’il serait fastidieux d’énumérer ici. L’instabilité permanente dans laquelle il a plongé la SONES (neuf DG) depuis février 2000, suffit à perturber un service public considéré comme de référence.
Il faut espérer la stabilité de SDE, dont le professionnalisme et le dynamisme sont sans conteste, l’excellent pilotage du secteur par l’UCP PEPAM, constituent des digues pour qu’il ne sombre pas. Ce cadre institutionnel vaut au secteur ses belles performances (couverture universelle et atteinte des OMD).
Cette expertise est exportée en Arabie Saoudite et dans beaucoup de pays d’Afrique, où les compétences humaines et techniques de la SDE contribuent à améliorer les systèmes d’exploitation de l’eau.