DU COMPLEXE À LA COMPÉTENCE
Dans ces deux vocables qui surplombent de façon tacite tous les critères d’attributions de la commande publique des marchés au Sénégal, chacune des magistratures, d’Abdoulaye Wade à Macky Sall, s’accommode mal à l’éclosion de l’entrepreneuriat national en raison d’un certain nombre de fondamentaux fatalistes qui déterminent les politiques publiques.
La plaidoirie du président Macky Sall sur la volonté de son administration à faire de la place aux préférences nationales sur l’attribution des marchés sur le pôle urbain de la périphérie de Dakar trahit bien son embarras entre le complexe des résultats satisfaisants de l’expertise étrangère et le présumé défaut de compétence locale.
Non pas que le chef de l’Etat ignore les dispositions légales qui renforcent le principe de préférence nationale, mais bien plus précisément que les chantiers de développement sont au cœur de moult calculs impossibles. Les entreprises locales, indépendamment de leur enthousiasme, sont victimes du préjugé de mauvais résultats, au-delà des questions de gouvernance qui empoisonnent le sujet dans les systèmes politiques africains en général.
Le Conseil national du patronat (Cnp) ne s’est pas lassé de reprendre pour plaider la place du secteur privé national mais l’émancipation des entreprises nationales a du mal à établir son expression accomplie dans un champ de concurrence aux paramètres indicibles. Son leader Baidy Agne est convaincu que l’économie nationale doit sa compétitivité à un marché intérieur à forte prédominance de secteur privé et ses argumentaires aux assises de l’entreprise devant les membres du gouvernement depuis plusieurs années valent tout leur pesant d’or.
Les avantages du code des marches aux entreprises nationales les plus disertes face à la concurrence étrangère ne suffisent pas à dissimuler les manœuvres d’exclusion de la compétence locale. C’est le cas lorsque l’appel à manifestation d’intérêt mentionne des conditions restrictives comme l’exigence d’un certain chiffre d’affaires des dernières années, des critères de notation propres à d’autres cieux ou encore des références inaccessibles dans la sphère locale.
Les exemples de manipulation de critères d’éligibilité ou de notations techniques sont légion notamment dans le domaine des travaux publics et de la maîtrise d’œuvre des infrastructures. Le principe de la pluri annualité des marchés de moins en moins appliqué a longtemps plombé l’offre locale car les structures à même d‘affecter sur le terrain plusieurs entreprises à des contrats pluriannuels pour plusieurs régions en même temps ne courent pas les rues.
Ce sont des pratiques en voie de disparition par la force des choses, la concussion et le népotisme aidant, mais il est de plus en plus évident que la loi et le discours ne peuvent pas commander l’efficience de l’expertise des entreprises nationales. Si on s’éloigne de la ritournelle postcoloniale qui fait arguer à certains dirigeants le stupide écueil de "l’exigence des bailleurs de fonds", encore faudrait-il que la demande trouve des réponses dans le secteur privé local, souvent malade de ses propres turpitudes.
En relevant la gouvernance par les résultats, le patron des patrons Baidy Agne reconnaît tout de même que le patriotisme économique n’est pas une porte ouverte à la fraude, au dumping, à la contrefaçon ou toute autre forme de faux et usage de faux. Cela a tout l’air d’une plaidoirie du diable au tribunal de l’injustice, mais la réalité a souvent rattrapé ceux qui dénoncent la concurrence déloyale à laquelle font face des entreprises sénégalaises devant leurs rivales chinoises et européennes.
Les ouvrages réceptionnés auprès de certains pionniers du secteur privé national ne tiennent que le temps de leur célébration et sont souvent le résultat d’une série de sous-traitance au-delà de tous les délais d’exécution. L’entrepreneuriat national a donc quelques étapes à rattraper avant de se risquer à tutoyer la concurrence étrangère, faute de moyens de son ambition.
Au-delà de tous les complexes et des paramètres politiques qui tiennent la préférence nationale en otage dans la commande publique, les entreprises sénégalaises se doivent d’abord d’élever leurs capacités à des standards de compétitivité internationale. Il n’est guère question de ressource grise, loin s’en faut. Les petites et moyennes entreprises en chute libre depuis quelques années sont quelques-unes des victimes du clientélisme politique qui a fait place à d’autres maux à l’inverse de tous efforts.
Si bien que les leaders de l’entreprise africaine font tout le temps la une des magazines parce qu’on doit les compter du bout des doigts. Il est venu le moment de s’interroger sur les objectifs de départ du bureau de mise à niveau des entreprises. La contribution de l’Etat de l’ordre de 250 millions et promise à un milliard cette année peine encore à donner la couleur recherchée aux petites et moyennes entreprises qui sont comme dirait le ministre Alioune Sarr, "l’épine dorsale de l’économie".
Ces PME restent pourtant le parent pauvre de tous les mécanismes d’incubation, l’esprit étant encore à la politocratie et la formation dédiée au rêve d’appartenir à la bureaucratie centrale ou atteinte de "diplomite" sans aucun know how concret au bout du compte. Tout commence à ce palier dans les pays comme le Sénégal où le tissu économique est plus de 80 % constitué de secteur informel ou plus fièrement de secteurs structurants. Mais pense-t-on à entreprendre ? Non.
Les universités en accouchent des millions chaque année avec des chiffres et repères incertains. Si bien que des fleurons de la colonisation qui ravissent la vedette aux investisseurs locaux peuvent encore se frotter les mains. Eiffage ne reste-t-il pas maître de la situation pour de bien longues années? Combien de temps aurait-il fallu que le projet de l’autoroute demeurât dans les tiroirs?
Tant mieux pour la révolution infrastructurelle, mais pas question de passer tous les dessous de table par pertes et profits sur cet exemple, car les dirigeants ont choisi la facilité politique à la refondation entrepreneuriale. L’attribution par le syndicat des transports d’Ile-de-France de son marché d’assistance téléphonique à une entreprise faisant exécuter la prestation au Maroc est l’un des épisodes de ce débat en France et l’attributaire pressenti a été débouté devant le juge administratif en août 2012, mais à la base des préoccupations protectionnistes, les entreprises du marché européen rivalisent à armes égales sous le prisme d’un droit communautaire.
Il n’est pas tard pour faire droit à à la pensée de Mark Pincus à propos d’initiative nationale compare à ses startups: "La seule façon pour faire naître chez les gens la volonté de tout donner au travail est de leur apporter la conviction que leur contribution est utile et reconnue".