ECRIRE, VOUS DITES ? AH, TIENS !
l est de cela moins d’un mois, un «écrivain et poète en herbe», ou du moins se définissant tel, m’a abordé «pour une double raison», arguait-il : exprimer de vive voix toute l’admiration que, depuis le 20e siècle, il voue à ma petite personne.
Ce qui, à la vérité, m’honore. Ensuite, parce qu’écrire - tout comme parler revient à se découvrir - recueillir mes avis sur des questions qui, depuis lors, le taraudent : «Qu’est-ce écrire ? Pour quoi ? Pour qui ?».
On me concèdera qu’il est mille et une définitions possibles à l’écriture tout autant aux questions qui, non seulement suivent mais, lui donnent (du) sens. Il m’arrive assez souvent d’être volontairement expéditif sur la question et, d’ainsi, avouer tout de go : «J’écris pour qu’on foute la paix aux nègres que nous sommes.»
Mais à toutes les fois, le désir m’emplit d’aller plus avant sur mes sensations quant à l’écriture. Pour dire vrai et user d’une image, ce devoir s’apparenterait à la tendance de bien des gens quant au dessert : quand ils l’entament, ils n’éprouvent plus le besoin de se lever de table.
Dans le fond, écrire équivaudrait à porter en soi, à dessein de les propager, les souffles de la jouissance, de la subversion, de la dissidence et de la provocation. Mais écrire est encore un excellent alibi pour extérioriser et faire passer l’ensemble des états d’âme et d’esprit qui forment mon Aigritude. Ecrire ?
C’est oser et réussir à mettre au-devant mon propre ego, à fin de lui faire jouer des rôles circonstanciés et, naturellement, circonstanciels. C’est approfondir les mots de la réalité et les maux de celles et ceux-là qui peuplent nos espaces et meublent les temps. C’est essayer de comprendre, mais aussi, d’expliciter l’Homme et ses penchants, les phénomènes et leurs pendants.
Ecrire est un pouvoir : celui d’aller vers des lieux et des aventures où nos sacrifices d’encre et de temps défient «les touts» et «les riens», dont parlait Vladimir Jankélévitch.
De ce point de vue, l’essence de tout écrivain se trouverait dans les choses qui l’environnent, dans les choses qu’il nomme, d’autant qu’elles font partie intégrante des principes qui déterminent la condition humaine. Grâce au «dire» et à «l’écrire», je transmets un message.
Pour ou contre quelqu’un ou quelque chose. Le résultat c’est alors une possibilité de saisir ma personnalité, de me connaître et mettre à nu, mais aussi de découvrir «les autres» en leurs failles, leurs faiblesses, leurs qualités et toutes autres spécificités. En effet, écrire n’est pas une occupation ou une forme de défoulement, comme d’aucuns voudraient bien le faire croire.
Ecrire est une préoccupation. Et avec ce que cela peut coûter de périls. C’est une tâche entreprise par l’écrivain pour en arriver à une réelle prise de conscience, pour se réaliser dans l’espace et dans les temps du monde, mais encore pour inciter «l’autre» à sortir de sa torpeur. Ecrire, c’est mettre au grand jour ces «noises en la Cité» que trop de pouvoirs mettraient bien «sous linceul de silence».
Ecrire, c’est oser se regarder avec un œil critique, c’est aborder autrui en dehors de tout complexe (d’infériorité ou de supériorité). Ecrire est une plurielle cogitation au bout de laquelle on découvre des éclats qui nous révèlent, alors combien nous sommes «fortuits» et risquons d’être seuls en nous croyant «importants»
. J’écris «pour juguler Nos affres», pour faire passer et partager mes «sensations, colères et désirs», pour «juste meubler des solitudes». «Comme on prend date avec soi».
Alors, écrire devient quête éperdue de correspondances qui nous garent de toute tendance à l’égotisme et autres insuffisances mentales. Dans le champ qui est le sien, l’écrivain a le loisir de revisiter le passé, de vivre le présent, de se projeter dans l’avenir, d’étaler ses joies et ses peines, de navetter entre espérance et désespérance.
En définitive, parce qu’à un moment ou un autre, il faut «boucler la boucle», je considère qu’au- delà des facteurs qui constituent l’univers de l’écrivain (et tous genres littéraires inclus en cet ordre) le signe déterminant est celui de la liberté. Notre destin humain ? Parlons plutôt de réponse idoine au sort que l’écrivain voudrait, résolument, assigner à son œuvre.
Et si je parle de liberté, c’est en pensant l’écrivain en boussole et baromètre de son environnement immédiat. Ensuite, en inaliénable «mauvaise conscience de son temps». Que dire en sus ?
Avouer que je me suis levé à dessein de propager cette maladie textuellement transmissible qui s’appelle poésie. Mais, sur ça, je reviendrai.