LA CRISE PERMANENTE DE LA PRESSE
L’avenir de la presse est sinistre. Avec la raréfaction de la publicité et l’étroitesse du lectorat, la presse traditionnelle est condamnée à une mort certaine.
Où va la presse ? « Au cimetière », répond Bernard Poulet dans son livre La Fin des journaux et l’avenir de l’information. La sentence sans appel à laquelle est condamnée la presse française n’est guère plus sinistre que le sort inéluctable des médias sénégalais. Avec des marges publicitaires qui se rétrécissent considérablement et une chute vertigineuse des ventes, les publications ne sont plus économiquement rentables. D’où le fort taux de mortalité des journaux. Week-end magazine, Kotch, Le Messager, L’Office, Le Pays, La Sentinelle quotidien, Rewmi quotidien (avant de renaître), Canal info, Le Point du Jour, Thiey, sont les derniers organes à passer à la trappe pour raisons économiques.
D’autres, englués dans un coma profond, s’accrochent à l’aide à la presse tel un naufragé à une bouée de sauvetage. Face à cette situation presque désespérée, le nouveau de code de la presse en attente d’être voté cristallise beaucoup d’espoirs pour les acteurs du secteur des médias. Relativement aux conditions économiques des organes de presse, le nouvel instrument législatif veut aider à la création d’entreprises plus viables, grâce notamment à la mise en place d’un Fonds d’appui et de développement de la presse. Mais, l’Etat va-t-il assister la presse qui empêche les gouvernants de détourner en rond ? Rien n’est moins sûr. Sinon l’éligibilité à ce Fonds sera fonction de la docilité du journal.
Parlant de l’aide à la presse, l’ancien président Abdoulaye Wade disait : « je ne vais pas donner mon argent à un journal qui passe son temps à m’insulter ». Des propos édifiants sur la conception que les pouvoirs publics ont de cette subvention allouée aux médias. Mais, cette hypothèse de vassalisation de la presse par l’aide qui leur est accordée, n’est pas partagée par le journaliste Moussa Paye. Il en veut pour preuve le fait que, « la presse du pays n’a jamais été aussi féroce avec le régime de Wade que quand celui-ci a porté l’aide à la presse de millions à milliards ».
D’ailleurs, l’attitude de l’Etat est pour beaucoup dans la situation de crise de la presse privée. La pression du pouvoir politique s’exerce par le biais de la publicité dont l’Etat est le plus grand pourvoyeur. Le second instrument de coercition est le fisc. « Tous les organes récalcitrants sont sevrés de publicité avec des ruptures abusives de contrats. Les agents fiscaux de l’Etat sont également envoyés dans les rédactions rebelles », faisait constater Demba Ndiaye au cours d’une conférence-débat organisée par la Librairie Clairafrique.
Au regard de cette pratique liberticide, les récentes déclarations de Sidy Lamine Niasse faisant croire que la visite de l’administration fiscale à Walf est une réponse à sa position hostile au gouvernement, ne sont pas dénuées de sens dans le contexte national. Mais, pour cette fois, il n’est pas le seul patron de presse à recevoir la visite des agents des impôts, par conséquent l’argument d’une justice sélective est difficilement défendable. Et l’argent qui lui est réclamé provient de ressources que l’entreprise a collectées au nom de l’Etat (Tva sur la publicité et impôts sur les salaires des employés). Il s’agit donc de l’argent public.
En revanche, il faut reconnaître que dans un contexte où la presse est incapable de s’acquitter de toutes ses obligations fiscales et tire l’essentiel de ses revenus de la publicité, ces deux instruments constituent pour l’Etat des moyens redoutables de dissuasion des médias trop récalcitrants à ses yeux. Les organes de presse font souvent face à ces mesures de rétorsion pour leur liberté de ton.
Droits bafoués
Devant cet univers de précarité, les reporters sont les laissés-pour-compte. Les organes ferment et réduisent les effectifs sans respecter les droits des travailleurs. Les ex-employés de Canal Infos, du journal Le Pays, de Week-end et Le Messager courent toujours derrière leurs indemnités. A quelques exceptions près (GFM et Africome société éditrice du journal Stades et Sunu Lamb), la crise généralisée touche tous les organes, à des degrés divers. Récemment, un communiqué des journalistes du Quotidien déplorait un retard de salaire, au moment où celui de l’Aps parlait de plusieurs mois d’arriérés. Des publications comme Libération, Le Populaire, L’Enquête… doivent, elles aussi, des arriérés à leurs employés.
Au Groupe Futurs Médias, les protestations des reporters contre les disparités salariales ont mis à nu les conditions des journalistes. Le mouvement d’humeur montre que les animateurs et autres personnes de l’administration profitent plus de la bonne santé financière du groupe, que les reporters. Partout ailleurs, la situation est presque identique. Les journalistes, forces productives, gagnent des salaires de misère alors que les agents de l’administration sont grassement rétribués.
Rares sont les organes qui versent régulièrement les cotisations sociales des travailleurs. Certains organes ne sont même pas connus des fichiers de l’Institut de prévoyance retraite (Ipres) ou de la Caisse de sécurité sociale. Pis, dans le lot des entreprises en règle avec les institutions sociales, plusieurs d’entre elles ont des contrats de prestataire avec leurs journalistes. Ou bien encore, les accords sont non conformes à la convention collective régissant le secteur. Du coup, les cotisations sociales sont insignifiantes ou inexistantes. Globalement, les journalistes sont assujettis à un véritable travail au noir, au regard du code du travail. Cette « clochardisation » des reporters n’est pas sans incidence sur la qualité du travail.
Thérapie
Pour faire face à la crise, les patrons peaufinent des stratégies pour sortir la tête de l’eau. C’est dans ce cadre que des discussions sont entamées pour revoir à la hausse le prix de vente des quotidiens. « Il n’est plus question de vendre des journaux à 100 F CFA. Nous vendons à perte et le journal est la seule denrée qui n’a pas connu de hausse depuis plusieurs années. Tous les autres produits ont vu leur prix de vente augmenter », soutient un patron de presse.
Aussi, le nouveau Code compte-t-il abandonner l’aide à la presse pour orienter la subvention vers les produits de fabrication du journal. L’article 13 dudit code stipule : « L’État consent aux entreprises de presse écrite, de communication audiovisuelle et de presse en ligne, des avantages d’ordre économique sous forme de subventions financières directes, d’aides à la collecte, la transmission et la diffusion des informations au moyen de tarifs préférentiels et/ou d’exonérations fiscales en matière notamment de téléphone, de télécopie, de transport, de papier, de bandes, de cassettes et de compact disc ». Une subvention visant à réduire les charges des organes de presse.
Concernant la publicité, il est proposé aux médias publics d’abonner cette manne au profit d’une subvention de l’Etat tirée d’une taxe sur les télécoms. Cela permettrait aux entreprises privées de presse de trouver des ressources additionnelles pour sortir de la crise.
Mais ces conditions d’amélioration de la situation économique des médias tardent à se matérialiser, en raison du refus de l’Assemblée nationale de voter le nouveau code de la presse. En attendant, la presse s’enfonce dans la dépression économique.