LA DANGEREUSE SPIRALE DÉPRESSIVE DE L’ADMINISTRATION
L’Inspection Générale d’Etat (IGE) à travers son rapport annuel a mis les pieds acerbes dans le plat de l’administration. Sans fards. Elle a mis en exergue ses tares structurelles, n’épargnant même pas, les services présidentiels boulimiques et en hommes et en ressources.
Un seul exemple suffit à dépeindre le tableau sombre d’une bureaucratie brouillonne : le nombre impressionnant de contrats d’emplois, passé de 10, avant 2000, à plus de 1500 de nos jours. Il est vrai qu’entre- temps l’administration Wade est passée par là avec ses incalculables dérives, un niveau pharaonique de corruption, de concussion.
Jamais notre pays, n’a pas connu un tel délitement administratif. Les salaires, les statuts et les conventions n’avaient plus de signification sous le régime précédent. Des équipes gouvernementales pléthoriques et constamment remaniées, des avantages distribués sans discernement, des recrutements surréalistes, des profils traficotés ou incontinents, des changements incessants de postes dans des secteurs essentiels, des directions saucissonnées, des attributions et affectations népotiques, rien n’a été épargné à notre pauvre administration.
N’eussent été ses solides bases, sa forte tradition d’expériences et ses cadres compétents et dévoués que ce mammouth se fût effondré depuis longtemps. Mais ses murs sont éventrés et sa plomberie rouillée. Il ne lui reste qu’une structure métallique ébranlée qu’il faut reprendre au plus vite pour construire des murs de protection durables.
Les dégâts du régime Wade
Comme pour dire que le régime Wade, heureusement défait, a durement sapé les fondements de l’administration en ajoutant à ses tares traditionnelles de lourdeur, des dysfonctionnements organisationnels et éthiques profonds.
Le Président Senghor avait créé le Bureau Organisation et Méthode (BOM) pour structurer notre administration par des procédures claires, partagées, transversales et instaurer une pratique rationnelle impersonnelle, équidistante et efficace. Il n’est pas resté grand-chose de cette onction. Et le régime en place de qui on attend des changements radicaux a, à peine atténué les maux qu’il s’est remis à les perpétuer.
Certes les changements attendus ne tomberont pas d’une baguette magique. Mais la restructuration espérée tarde à se manifester, alors que dans le domaine de la gestion des marchés publics, les pratiques dérapent, notamment, dans les marchés de gré à gré et un népotisme envahissant.
Certes, le nombre de ministères a chuté, mais la réduction des agences et des directions nationales superflues est presque sans effet. Cependant, les contrôles des effectifs de l’administration opérés par l’Agence Nationale de la Statistique et de la Démographie en rapport avec le ministre de la Fonction publique relèvent d’un grand réalisme. Ils ont permis de détecter des «bras cassés» et des emplois fictifs dans l’administration. Au grand dam des syndicats d’enseignants confondus dans leur perfidie corporatiste.
Mammouth dans le mammouth, le ministère de l’Éducation nationale concentre sur lui tous les dysfonctionnements et autres irrationalités. Fraudes aux examens, personnels fantômes, recrutements truqués et tarifés, le secteur éducatif est gangréné par un climat d’hostilité permanente entre les syndicats, les élèves et étudiants, l’administration, des grèves en boucle, une baisse constante des niveaux, une marchandisation ruineuse, tous les ingrédients d’une contre-performance structurelle sont réunies.
Thiam, ministre proactif
Le pot aux roses découvert par le Ministre de l’Éducation nationale, Serigne Mbaye THiam, est illustratif de la grande défaillance du mammouth. Près de 700 élèves-professeurs recrutés dans des conditions rocambolesques grâce des notes falsifiées et inventées par l’administration du ministère.
Il faut certes se féliciter de la proactivité du ministre. Mais le niveau d’insouciance de ses fonctionnaires est terrifiant. Comment une telle irresponsabilité peut-elle se produire depuis sans que le ministère n’ait pu être au courant ? A quoi servent nos services de renseignements, alors que ce scandale s’est ébruité depuis belle lurette ? Surtout qu’il y a eu dans le passé des précédents : les «ailes de dinde» de l’ancien ministre Djibo Kâ qui avait fait recruter des centaines d’enseignants de derrière les fagots, tous des militants de l’URD, son parti.
Le régime du PDS a usé et abusé des volontaires dont le projet a été mis en place en toute transparence par Mamadou Ndoye alors ministre de tutelle. Comment notre administration, traversée déjà par les scandales de la police (trafic de stupéfiants) et de l’armée (affaire Aziz Ndaw), pourra t-elle se sortir de cette ornière ?
Les autres corps (comme la douane, l’administration du Ministère des finances, la Santé, etc.) sont aussi en proie à des dysfonctionnements graves. A Sud FM, le président de l’Association des Administrateurs Civils, M. Ibrahima Guèye, a dénoncé en des termes courageux l’impréparation de l’Acte 3 de la Décentralisation et la grande confusion qu’il va engendrer au sein des nouvelles structures à cause d’un dédoublement prévisible dans leurs missions.
Par ailleurs, la réforme de nos institutions tarde à voir le jour car le Président de la République joue la montre.
L’inclassable Mbagnick Ndiaye,
Ce tableau inquiétant de notre administration confirme à bien des égards l’énorme sensation de cafouillage et de délitement au moment où le Sénégal se projette dans l’émergence. Si on n’y prend garde de grosses illusions pointeront à l’horizon. La déclaration de Mbagnick Ndiaye, ministre de la Culture et de la Communication sur le rôle prépondérant de la Première dame dans les nominations ministérielles est le visage de cette administration inféodée au politique. La réaction des femmes de l’APR en est bien une nouvelle démonstration.
Sans doute, la Première dame, influente certes, mais discrète, n’avait-elle pas besoin d’une si mauvaise publicité. La culture administrative, la retenue publique, l’éthique politique c’est comme du chinois, cela s’apprend, avant de pouvoir les incarner. Il est fort à craindre que l’inclassable Mbagnick Ndiaye, trop surpris d’être là où il est, n’ait pas eu le temps d’apprendre cette culture-là, avant de pouvoir l’administrer. Avec lui, les communicateurs et les acteurs culturels ont vraiment du souci à se faire. A moins qu’on lui trouve vite un secrétaire d’État à la Culture, pour faire de lui le vrai figurant du secteur. Peu importe le prix à payer !