LA DÉFENSE DÉNONCE UN PATRIMOINE GONFLÉ ET SURÉVALUÉ
ENRICHISSEMENT ILLICITE
Après les plaidoiries à charge de l'Agent judiciaire de l'État et des avocats de l'État et le réquisitoire à charge du parquet spécial, hier, c'était au tour des avocats de Tahibou Ndiaye et sa famille de plaider pour démonter l'accusation. La défense a demandé la relaxe et accuse leurs adversaires d'avoir gonflé et surévalué le patrimoine des prévenus.
Selon Me Mouhamed Seydou Diagne, la Cour de répression de l'enrichissement illicite (CREI) "a tous les éléments" pour relaxer Tahibou Ndiaye ainsi que son épouse et ses deux filles. Mieux, de l'analyse de son confrère Me Abdourahmane So dit Lénine, le procès n'aurait pas dû avoir lieu. "Rien qu'en se référant au non-lieu sur la corruption, ils ne devaient pas être à cette barre, car la corruption, c'est le lit de l'enrichissement illicite", a argué l'avocat. Etant entendu que ce n'est pas le cas, la défense plaide la relaxe pure et simple, d'autant plus qu'elle estime que ni le parquet spécial, ni l'Agent judiciaire de l'État, ni les conseils de l'État n'ont apporté la preuve de l'enrichissement illicite. Pis, selon les arguments développés par les conseils de Tahibou Ndiaye et de sa famille, leurs accusateurs ont prêté à leurs clients plus qu'ils n'en ont. "On leur a prêté un patrimoine artificiellement gonflé", a fustigé Me Demba Ciré Bathily.
A ce propos, Me So a dénoncé une surévaluation des villas de Tahibou Ndiaye, en citant comme exemple la villa des Almadies. "L'expert du Procureur l'a évaluée à 1,440 milliard. Il a dit qu'il pouvait la construire avec 750 millions, mais moi je dis qu'il fait 200 millions", a-t-il déclaré, tout en révélant que l'expert n'est jamais entré dans la maison. "Il est passé devant, à côté, a pris des photos", a révélé Me So. Outre la surévaluation, la défense n'a pas apprécié le fait que le parquet spécial ait refusé d'évaluer les biens à partir de leur valeur d'acquisition. "Ce que mon père a dépensé pour acheter sa maison, est aujourd'hui multiplié par 10 ou plus, car les temps ont changé. Mon père était magistrat, un fonctionnaire de l'État, alors si on lui demandait à se justifier, va-t-il justifier le prix actuel qui, aujourd'hui, avec le site Mermoz, est devenu une zone commerciale ?" s'est interrogé Me So, en guise d'explication.
"La loi n'exclut pas la libéralité, sauf…"
La défense a également battu en brèche l'argument du parquet et de la partie civile affirmant que les donations et les libéralités ne sauraient être un justificatif. Dans ce sens, Me Pape Samba So a accusé le parquet spécial d'avoir fait une mauvaise interprétation de la loi. "La libéralité n'est pas exclue, sauf si le don est d'origine illicite", a-t-il rectifié avant de renvoyer le parquet à la jurisprudence Karim Wade. "Dans votre arrêt, si vous avez rejeté les dons offerts par son père, c'est parce que vous avez estimé que les dons ont été reçus au nom du peuple sénégalais", a souligné Me So. "La loi dit que la preuve de la liberté ne suffit pas, mais il faut la compléter", a renchéri Me Ramatoulaye Bathily. Et Me Seydou Diagne d'ajouter : "Ce qui est interdit, c'est que la libéralité justifie la totalité du patrimoine." Par conséquent, il estime que Tahibou Ndiaye a bel et bien justifié son patrimoine. Me Bathily trouve injuste que l'ex-Dg du Cadastre soit condamné. Surtout qu'à son avis, Tahibou Ndiaye "n'a pas commis un délit mais on veut faire de lui, une victime expiatoire de tout un système".
"La comparution de sa famille est excessive, abusive et vexatoire"
S'agissant de l'épouse et des deux filles, les conseils de la défense ont soutenu que le parquet spécial n'a pas prouvé en quoi elles sont complices. "Ndèye Aby Diongue est commerçante, depuis 17 ans. Elle a sillonné la Gambie, la Turquie, et même Karachi sous les balles pour gagner sa vie et elle a reçu des dons", a soutenu Me Ramatoulaye Bâ Bathily pour justifier le patrimoine de l'épouse de Tahibou Ndiaye. Il s'y ajoute, selon Me Bathily, que rien n'interdit à un époux de faire des largesses à sa femme. "Qui d'entre nous ne voudrait pas être plus nanti pour offrir plus à sa femme ? Moi, si je le pouvais, j'offrirais un gratte-ciel ou une île à la mienne", a lancé l'avocat qui a obligé ses confrères à tourner leur regard vers sa consœur et femme. Très en verve, l'avocat de conclure : "Ces braves dames n'ont pas leur place ici. Elles ont été jetées en pâture. Leur comparution est excessive, abusive et vexatoire". Partant du fait que les deux filles sont poursuivies à cause de deux immeubles, Me Abdourahmane So dira qu'aucun texte n'interdit à qui que ce soit d'avoir plusieurs terrains.
Me So va continuer sa plaidoirie aujourd'hui à partir de 9 heures.
MÉDIATION PÉNALE - LES AVOCATS DE TAHIBOU CRIENT AU SCANDALE
Lors de sa plaidoirie hier, Me Pape Samba So est largement revenu sur la médiation pénale "très contestée" entre Tahibou Ndiaye et le parquet spécial.
"Nous n'avons jamais été demandeurs d'une médiation pénale", a précisé Me Pape Samba So, dès l'entame de sa plaidoirie. Selon l'avocat, non seulement la défense n'y a pas été associée, mais leur client y a été contraint. A l'en croire, le parquet spécial avait déjà préétabli un procès-verbal de médiation pénale qu'il a fait signer à Tahibou Ndiaye à leur insu. Ce qui constitue à ses yeux un "scandale". Pour étayer ses propos, l'avocat a relevé la confusion faite sur son prénom. "Jamais je ne me présenterais sous le nom de Gaby qui est mon surnom. Si j'étais présent, comme mentionné, mon véritable nom qui est Pape Samba So y figurerait", at-il argué. Revenant sur les conditions dans lesquelles son client a signé le PV, la robe a expliqué qu'ils (les avocats) étaient dans une salle, tandis que Tahibou Ndiaye était "séquestré dans le bureau du Procureur spécial et forcé à signer".
Ce qui l'a écœuré le plus, c'est le fait que le PS leur ait fermé la porte, à lui et feu Me Moustapha Diop, lorsqu'ils ont voulu entrer. Plus grave, l'Agent judiciaire de l'État est venu, selon ses dires, leur laisser croire que Tahibou l'avait mandaté pour leur dire qu'il n'avait plus besoin de leurs services. Pour en avoir le cœur net, ils ont demandé une confirmation de la part de leur client, mais Tahibou Ndiaye ne s'est présenté que 3 heures plus tard. "Il était très irrité lorsque feu Me Moustapha Diop lui avait fait part de la situation", a révélé Me So. Et de poursuivre : "Il a confié qu'il a été contraint de signer le Pv de médiation pénale, car un patron d'organe de presse est venu lui dire que son enfant a tenté de se suicider en sautant du balcon". L'avocat trouve cela "scandaleux", dès lors qu'on leur avait interdit l'accès du bureau.
Par ailleurs, le conseil s'est inscrit en faux contre les affirmations du parquet spécial selon lesquelles l'ex-Dg du cadastre s'est rétracté ensuite. "C'est une contrevérité de dire que Tahibou Ndiaye est revenu sur la médiation pénale. Les juristes chevronnés qui ont rédigé le document ont commis des erreurs, faisant que certains biens n'ont pas pu être mutés au nom de l'État". Sur sa lancée, Me So a apporté la réplique à la partie civile qui avait déclaré "qu'aucun patrimoine ne vaut une comparution". "Ils ont raison, car Tahibou Ndiaye voulait sauver sa famille. Ce n'est pas parce qu'il s'accroche à un patrimoine, mais il a refusé le chantage. C'est pourquoi il est là avec sa famille", a asséné Me So. Son confrère Me Saër Lô Thiam de renchérir plus tard : "A sa place, tout le monde aurait signé. C'est un homme d'honneur. On lui a dit que s'il ne signait pas, on allait mettre sa femme et ses enfants en prison."