LA FAUTE PROFESSIONNELLE
Assurément, le juge a eu la main légère dans le procès du journaliste Félix Nzalé, directeur de publication du quotidien La Tribune du Groupe D Media, auteur du malencontreux article «Ébola, cinq morts au Sénégal». Le fait pour le journaliste d’avoir accepté la légèreté de son attitude et présenté des excuses publiques ne l’absout pas totalement. Et surtout ne devrait pas nous dénantir de notre responsabilité professionnelle et morale dans une situation aussi critique.
Non pas que nous souhaitions une sanction plus lourde. Encore moins, pénale. Mais tout simplement parce qu’il faut pointer la faute et le fauteur pour mieux situer leur propre responsabilité dans la commission d’une faute professionnelle, tout de même grave.
La sanction aurait pu être plus lourde, si en apparence, le souci d’apaisement, la réaction des organisations de défense de l’homme et celle instinctive, mais opportune de Mme Innocence Ntap Ndiaye, n’étaient venus au secours d’un journaliste fautif. Très fautif parce que coupable d’avoir diffusé un article sans vérification sérieuse (le principe de la triangulation ou la règle des trois sources). Sans le moindre souci de recherche de la vérité. Et qui plus est, dans un contexte très sensible.
Fort heureusement, la diffusion de La Tribune est encore confidentielle. Mais si elle avait atteint le niveau de son concurrent L’Observateur, le mal aurait été plus grand. Mais le mal est déjà fait. Le doute est semé. Du moins jusqu’au jour où sommé d’apporter la preuve de ses informations, il est resté vaseux dans ses explications, confondant dans la même gêne tous ses confrères et la corporation toute entière. Et la condamnation à un an de prison assortie d’une amende d’un million de FCFA, sonne comme un véritable verdict de clémence. Un avertissement à peu de frais pour La Tribune. En effet, le journaliste et son organe s’en tirent à bon compte.
Tout le monde peut s’en réjouir, car une sanction pénale privative de liberté et une lourde amende sont toujours lourdes de conséquences, économiquement pour l’entreprise de presse, et humainement pour le journaliste et son entourage. Et personne, les gens de la corporation, en premier, ne peut et ne doit trouver satisfaction dans l’affaiblissement moral et économique des espaces de libertés et garants de la démocratie que sont les organes de presse. Mais, il y aurait un risque de tomber dans le corporatisme plat, si on ne stigmatisait pas l’attitude du journaliste, dont la légèreté est manifeste.
Qu’on s’entende bien, il ne s’agit de taire une information vraie parce qu’elle est sensible. Si la pandémie Ebola existe, il serait criminel de dissimuler les informations les évoquant. Mais si elle n’existe que dans l’imagination du rédacteur, il serait incongru et dangereux pour la profession journalistique de fermer les yeux sur un tel écart dans l’exercice de la profession. Une vraie perfidie.
L’article en question ne cite aucune source hospitalière sérieuse. La crédibilité des informations n’est pas apparente et son titre est dangereusement racoleur. Et l’obsession de révéler un scoop–une information inédite- l’a manifesté emporté sur le souci de recoupement d’une information aussi grave.
A bien regarder le contexte international, on comprend l’irritation des autorités publiques devant un manque de professionnalisme (sic) ; on n’ose pas croire dans ce cas échéant que la mauvaise foi en est la principale justification. Alors que le monde entier s’émeut de la progression fulgurante de la fièvre « Zaïre», mortelle à 70%, diffuser sans preuve tangible une telle information relève tout simplement de l’insouciance. Plus de 1000 personnes en sont mortes dans les pays voisins du Sénégal, en Guinée, Sierra Léone, Libéria. Si le journaliste voulait user d’alerte, c’est raté. S’il cherchait le sensationnel, son jeu de rôle est à l’arrivée, assimilable à de l’humour noir.
A un jet de pierre de nos frontières, des acteurs de tous horizons et de tous acabits s’usent à chercher à cerner le mal. Des quartiers entiers sont «bunkerisés», des pans entiers des populations sont parqués dans des réserves à ciel ouvert, pour éviter la propagation de la maladie. Des frontières sont fermées. Des vols annulés. Des destinations interdites. Des centaines de millions dépensés dans la prévention. Des bataillons d’agents de la santé mobilisés, de jour comme de nuit, pour installer partout des pare-feu sanitaires. Devant tant d’efforts, de craintes et de drames humains, balancer avec une telle désinvolture un tel «papier» relève de l’insouciance.
Il est attendu du tribunal des paires, le CORED, qu’il «punisse» sévèrement cet organe, car la sanction des collègues est plus retentissante que celle de la loi. Elle révèlerait le manque de reconnaissance et de considération de ses propres nawlés, entendons confrères devant une faute professionnelle que l’invocation de la bonne foi ne peut laver.
Au risque de tomber dans un corporatisme coupable, la réaction des journalistes doit être nette et claire, car le Groupe D Média, n’est pas à sa première. Un de ses organes– ainsi que d’autres de la place- avait annoncé l’accouchement de la Première dame, sans la moindre vérification. Information qui se révélera fausse par la suite.
Les autorités ont bien fait de stopper cette dérive en tirant le tocsin, même à bout de doigts, car la sanction aurait pu être plus exemplaire. A ce coup, les députés ont un argument de poids pour traîner les pieds dans le vote des nouveaux textes régissant la presse. Et du coup, l’exigence de dépénalisation (ou la déprisonalisation) des délits de presse, peut encore attendre. Attendre le temps d’extirper de la noble corporation de la presse, les mauvaises graines qui menacent de jaunir la verdure de l’ivraie.