"LA VOLONTÉ POLITIQUE DES CHEFS D’ÉTAT SERA DÉTERMINANTE"
DEMBA MOUSSA DEMBÉLÉ, PRÉSIDENT DE L’ARCADE
Après le report de la date initialement fixée à 2015, quels éléments nouveaux fondent votre optimisme quant au respect des délais pour la concrétisation de la monnaie unique Cedeao en 2020 ?
Plusieurs éléments fondent cet optimisme. Il y a d’abord que le monde est en train de changer. Il y a des bouleversements considérables, notamment depuis la crise financière de 2008 qui a montré les limites du paradigme néolibéral.
Aujourd’hui, même dans les pays développés, il y a une remise en cause de ce paradigme. La zone Euro est dans une situation économique de plus en plus difficile. Aux Etats-Unis, avec la crise qui s’approfondit avec un double déficit, public et commercial, on voit la paralysie du leadership américain face à la situation et aux difficultés que connaît le pays.
Mais surtout au Sud, on le voit non seulement dans les pays émergents comme la Chine, le Brésil et, dans une certaine mesure, l’Afrique du Sud, mais aussi avec ce qui se passe en Amérique latine qui représente une alternative absolument crédible éloignée des politiques dictées par le Fonds monétaire international et la Banque mondiale. Lesquels, eux-mêmes, reconnaissent aujourd’hui avoir échoué non seulement dans leurs diagnostics, mais aussi dans les prescriptions imposées aux pays africains et qui ont fait qu’il y a une prise de conscience au niveau continental et sous-régional. Au niveau continental, la Commission de l’Union africaine a élaboré le document « Afrique 2063 » -sur les cinquante prochaines années- ainsi qu’un projet de création d’une Banque centrale africaine, et la création d’un Fonds monétaire africain.
Des projets qui ont le soutien de tous les dirigeants du continent. Avec surtout, la possibilité pour l’Afrique, aujourd’hui, de mieux monnayer ses propres ressources, parce que d’autres pays différents de ceux qu’on appelle les partenaires traditionnels peuvent être de nouveaux partenaires. Je crois que c’est tout ce contexte-là qui fait qu’au niveau de l’Afrique de l’Ouest, les dirigeants eux-mêmes se disent que nous ne pouvons pas être à la traîne de ces développements, de cette réflexion qui se fait partout. Tout cela mis ensemble et les piètres résultats, surtout dans les pays qui utilisent le Franc CFA, dont la plupart sont parmi les PMA), selon les Nations Unies, tout cela fait qu’aujourd’hui, la possibilité d’aller vers la monnaie unique est beaucoup plus fondée, beaucoup plus solide qu’auparavant. Et c’est ça qui fonde mon optimisme sur le processus en cours.
C’était 2015, puis maintenant 2020. Il y a donc eu des contraintes majeures. Les dernières à lever, selon vous ?
Oui, c’est vrai. Les contraintes comme les critères de convergence macro-économiques sont réelles, d’une certaine manière. Comme le fait d’avoir des taux d’inflation voisins les uns des autres ; des déficits budgétaires assez faibles pour que cela ne joue pas sur la valeur de la monnaie ; une gestion beaucoup plus rigoureuse des finances publiques ; ce sont des contraintes qu’il faut accepter. Mais je crois que le facteur fondamental, c’est le facteur politique. Parce que de toute façon, quoi qu’on fasse, on ne pourra jamais arriver à des critères valables pour tout le monde. Les économies ne sont pas les mêmes, les pays n’ont pas la même taille, ni la même histoire.
Même dans la zone Euro, malgré toute l’expérience d’intégration économique, pratiquement depuis la fin de la guerre, malgré toute l’expertise disponible, malgré toute la volonté politique mise en œuvre, notamment entre la France et l’Allemagne ; malgré tout cela, on voit que tous les pays n’ont jusqu’à présent pas pu respecter les critères de convergence. Donc, le déclic vient de la volonté politique. Le Directeur général de l’Agence monétaire de l’Afrique de l’Ouest l’a dit : la volonté politique reste le facteur déterminant. Et les autres critères, quoiqu’importants, ne sont pas déterminants. Par conséquent le facteur politique est le plus fondamental et si les Chefs d’Etat africains parient sur l’avenir, en se disant qu’il faut y aller, le chemin n’est pas facile, mais l’histoire nous pousse à aller dans cette direction, alors tout sera possible.
L’Arcade est en train de jouer sa partition, notamment avec ce séminaire des journalistes. Quelle est la suite de l’agenda ?
Nous allons continuer à partager nos idées avec non seulement les journalistes, mais aussi avec les décideurs. Parce que nous comptons organiser un atelier pour les parlementaires au mois de décembre. Et par-delà les parlementaires et les journalistes, nous comptons organiser un grand rassemblement avec d’autres citoyens. Quant aux parlementaires, ce sont des décideurs, on attend d’eux qu’ils comprennent les enjeux, pour qu’à leur tour ils puissent pousser les politiques à aller dans cette direction. Ils ont également le parlement de la Cedeao et celui de l’Uemoa.
Tous doivent jouer leur rôle en disant qu’ils doivent pousser le processus d’intégration et que, pour qu’il y ait une accélération, nous devons aller vers la monnaie unique. Nous n’avons pas le choix. Et les parlementaires peuvent aiguillonner les Chefs d’Etat en leur montrant, en tant qu’élus des populations quel est l’intérêt de celles-ci pour faciliter le commerce dans nos marchés hebdomadaires et à nos frontières. En outre, ce sont les parlementaires qui ratifient les accords. Ils peuvent donc jouer un grand rôle surtout s’ils prennent conscience de la nécessité de la monnaie unique.