LE FORUM CIVIL AU SECOURS DE L’OFNAC
RETARD DANS LES DÉCLARATIONS DE PATRIMOINE
L’OFNAC peut compter sur le soutien du Forum civil qui, devant la réticence notée chez certaines personnes assujetties pour faire leur déclaration de patrimoine, a décidé de se faire entendre dans les prochains jours.
"On ne cherche à créer des problèmes à personne. Nous invitons tout le monde à jouer le jeu", ainsi avait déclaré la présidente de l’Office national de lutte contre la corruption, (OFNAC) lors de la cérémonie d’ouverture d’un atelier sur "le développement de meilleures pratiques d’investigation et de poursuite des crimes financiers, du blanchiment d’argent et du financement du terrorisme" tenu en début de semaine.
Nafi Ngom Keïta avait, en effet, déploré la lenteur notée chez certaines personnes assujetties pour faire leur déclaration de patrimoine. Or, la loi n°2012-30 du 28 décembre 2012 portant création de l’OFNAC, oblige le président de l'Assemblée nationale, le premier questeur de ladite institution, le Premier ministre, les ministres, le président du Conseil économique, social et environnemental (CESE), les administrateurs de crédits, les ordonnateurs de recettes et de dépenses, les comptables publics, effectuant des opérations portant sur un total annuel supérieur ou égal à un milliard (1 000 000 000) de francs CFA, à se soumettre à cet exercice.
Ces assujettis ont-ils du mal à justifier leur patrimoine ? L’OFNAC ira-t-il jusqu’au bout de sa mission ? L’institution dirigée par Mme Keita ne risque-t-elle pas de connaître le même sort que la défunte Commission nationale de lutte contre la corruption et la concussion (CNLCC) ? Autant de questions qui interpellent le coordonnateur du Forum civil. Joint par EnQuête, Mouhamadou Mbodji (photo) se veut ferme : "On est dans un régime présidentiel où les membres du gouvernement prennent leurs responsabilités d’une décision du chef de l’Etat, qui lui-même est soumis à la même contrainte. Refuser de déférer à l’invite de l’OFNAC est une défiance à la haute autorité et à la Nation toute entière", déclare-t-il.
"Il faut comprendre que la loi prend ses origines dans la transposition d’une directive de l’UEMOA (code de transparence). (...) La conscience a imposé au président Macky Sall de procéder à une déclaration de patrimoine" Donc, rien ne peut justifier, selon le coordonnateur de cette branche locale de Transparency international (TI), "le refus" des ministres de se soumettre à cet exercice de transparence. D’autant qu’ils "doivent agir dans le sens de la pédagogie par l’exemple pour que leurs collaborateurs puissent suivre".
"Personne n’est au-dessus de la loi"
Il rappelle que dans d’autres secteurs comme la Cour des comptes et l’Autorité des marchés publics, les assujettis ont fait leur déclaration "sans tambour ni trompette". Toutefois, M. Mbodji reste "positif" et préfère accorder une circonstance atténuante aux membres du gouvernement qui "sont peut-être pris par leur agenda". Pour lui, "la démarche progressive n’est pas mal", même si le Sénégal "peut aller plus loin en termes de pédagogie pour assurer à cette réforme une totale réussite". Si maintenant ces personnes assujetties refusent "d’adopter une position raisonnable", M. Mbodji pense que Nafi Ngom et ses hommes doivent sanctionner (voir ailleurs).
Mais le Forum ne compte pas rester les bras croisés dans cette affaire. "Je me donne une semaine encore, nous allons interroger l’OFNAC par rapport au délai. Est-ce un retard justifié ou pas ? Ensuite nous allons réagir", promet le coordonnateur du Forum civil. Il n’a pas manqué d’interpeller le président de la République, initiateur de cette réforme. "Personne n’est au-dessus de la loi y compris les membres du gouvernement. Ils gèrent l’argent des Sénégalais ; donc ils doivent rassurer les Sénégalais et afficher leur engagement autour du crédo porté par le président Macky Sall qui est une gouvernance sobre et vertueuse", indique M. Mbodji. Pour lui, l’obligation de la déclaration de patrimoine est "un changement de paradigme dans la gouvernance du pays" en ce sens qu’elle veille aux "possibilités et aux risques d’enrichissement illicite".
Que dit la loi ?
Adopté par l’Assemblée nationale le 19 décembre 2012, la loi portant création de l’OFNAC peine à prendre forme. Or, cette institution a pour mission la prévention et la lutte contre la fraude, les pratiques assimilées et les infractions connexes. Cette disposition générale a pour mission de promouvoir l’intégrité dans la gestion des affaires publiques. L’OFNAC est chargé de "collecter, d’analyser et de mettre à la disposition des autorités judiciaires chargées des poursuites les informations relatives à la détection et à la répression des faits de corruption, de fraude et de pratiques assimilées commis par toute personne exerçant une fonction publique ou privée. Il peut recevoir des déclarations des personnes physiques ou morales se rapportant à des faits cités plus haut. Le cas échéant, l’OFNAC peut entendre toute personne présumée ayant pris part à la commission de l’un des faits cités plus haut ; recueillir toute information, tout témoignage, tout document utile sans que le secret bancaire ne puisse lui être opposé, selon toujours la loi.
La nature des biens
Et c’est la loi n°2014-17 qui fixe les modalités de la déclaration de patrimoine. En son article 1, il est dit que les personnes assujetties (le président de l'Assemblée nationale, le premier questeur de ladite institution, le Premier ministre, les ministres, le président du Conseil économique, social et environnemental (CESE), les administrateurs de crédits, les ordonnateurs de recettes et de dépenses, les comptables publics effectuant des opérations portant sur un total annuel supérieur ou égal à un milliard (1 000 000 000) de francs CFA), doivent, dans les trois mois qui suivent leur nomination, formuler une déclaration certifiée sur l'honneur, exacte et sincère de leur situation patrimoniale concernant notamment leurs biens propres ainsi que, éventuellement, ceux de la communauté ou les biens réputés indivis.
En effet, ces biens sont estimés à la date du fait générateur de la déclaration, comme en matière de droit de mutation à titre gratuit. Ces personnes assujetties sont soumises à la même obligation dans les trois mois qui suivent la cessation des fonctions, pour cause autre que le décès. Toutefois, la loi précise qu’aucune nouvelle déclaration n'est exigée de l'assujetti qui aura établi depuis moins de six mois une déclaration de sa situation patrimoniale.
Par ailleurs, l’article 4 stipule que la déclaration doit comporter toutes les informations relatives aux biens et actifs détenus par la personne concernée, directement ou indirectement. Qu’il s’agisse des comptes bancaires courants ou d'épargne, des valeurs en bourse, des actions dans les sociétés de commerce en général, des assurances vie, les revenus annuels liés à la fonction occupée ou provenant de toute autre source. Sans oublier les collections d'objets de valeur, les objets d'art, accompagnés de leur estimation en valeur, les bijoux et pierres précieuses de valeur supérieure ou égale à cinquante millions (50 000 000) de francs CFA. Y compris les véhicules à moteur, les fonds de commerce, les effets à recevoir ou tous autres biens meubles détenus au Sénégal ou à l'étranger.
Pour ce qui est des immeubles, l’assujetti doit déclarer les propriétés bâties au Sénégal ou à l'étranger, les propriétés non bâties au Sénégal ou à l'étranger, les immeubles par destination au Sénégal ou à l'étranger. En plus des éléments de l'actif cités, le déclarant mentionne le passif de son patrimoine incluant les dettes hypothécaires, les dettes personnelles et tous autres engagements qu'il juge nécessaire de signaler.
Sanctions
Une fois, la déclaration du patrimoine reçue, l’OFNAC procède à sa vérification. En cas de variations injustifiées de patrimoine, le président de cette institution saisit le Procureur de la République ou tout autre magistrat compétent, conformément à l'article 32 du Code de procédure pénale. Ce dernier peut instruire à charge ou à décharge.
L'inobservation de l'obligation de déclaration de patrimoine sans fait justificatif sérieux et à l'échéance d'un délai de trois (3) mois après un rappel par exploit d'huissier notifié à la diligence de l'OFNAC, à personne ou à domicile, entraînera, selon l’article 8, les conséquences suivantes : Si le concerné est élu, il sera privé d'un quart (1/4) de ses émoluments jusqu'à ce qu'il fournisse la preuve de l'accomplissement de l'obligation. Si le concerné relève de l'ordre administratif, l'autorité de nomination pourra, pour ce seul fait, décider de la perte de la position ayant généré l'obligation de déclaration de patrimoine.
Khalifa Sall face au jury d’honneur d’ici "quelques jours"
Annoncée à plusieurs reprises, la déclaration de patrimoine de sortie du maire de Dakar Khalifa Sall aura finalement lieu "d’ici quelques jours". La révélation est du coordinateur du Forum civil. Mouhammadou Mbodji explique le retard par l’absence de l’un des membres du jury qui, selon lui, était hors du territoire national. "Aujourd’hui, tout est fin prêt pour organiser la cérémonie", assure-t-il. "Khalifa Sall n’est pas tenu de le faire, c’est un acte volontaire qu’il a posé".
Pour rappel, l’édile de la capitale avait accepté, en 2009, de faire sa déclaration de patrimoine devant un jury d’honneur composé de membre de la société civile. A cette occasion, il avait déclaré une maison à Amiens (France) acquise en 1992, une villa dans le Var (France) en copropriété avec sa femme avec qui il est marié depuis 12 ans sous le régime de la communauté des biens. Ce n’est pas tout, il a une maison familiale à Grand Yoff héritée de son père, une maison à Sacré-Cœur 2 (8635 D) acquise en 1993, une maison aux Parcelles Assainies Unité 20, acquise en 1985, une maison au Point E, et une autre à Mermoz en copropriété avec son épouse, un verger à Niague (Communauté rurale de Sangalkam, Rufisque) d’une superficie d’un hectare, obtenu en 1984, un terrain de 600 m2 à Yoff Ranrhar (1987), pas encore construit du fait d’un litige foncier, un terrain de 300 m2 dans le même secteur et un autre terrain à la ZAC Mbao par le biais de la coopérative de l’Assemblée nationale au cours de son mandat de député.
Le Maire de Dakar a aussi déclaré avoir trois terrains à Ndeni Guedj, toujours dans la communauté rurale de Sangalkam, acquis en 2008. Il est également présent dans le secteur des banques. Khalifa Sall possède des actions (199) au sein de la BICIS à raison de 35 000 francs CFA l’unité, une assurance à BNP Paribas, "fortement secouée par la campagne électorale" avec juste 45 000 euros (29,250 millions de F CFA) dans le compte et un compte d’épargne au Crédit Lyonnais, Rue du Havre, Agence Hausman, avec 5 000 euros (3,250 millions de F CFA).