LE GRAND ÉCART
Charlie Hebdo ne symbolise pas la liberté de presse. Sa nature je-m’en-foutiste lui a tracé des boulevards de l’offense par les libéralités qu’il se donnait, se moquant du terrible ressenti des cibles
Ainsi donc, le gouvernement sénégalais a donc décidé d’interdire la dernière diffusion de Charlie Hebdo et de Libération dans notre pays. Pour cause de blasphème ! L’infâme représentation que ces deux journaux ont produite du Prophète est une grossière injure à la communauté musulmane. Et le Gouvernement a certainement raison de prendre cette décision. Le contraire eût été inadmissible et incompréhensible. Comme l’a été la présence du Président Macky Sall à cette marche républicaine, apologie à l’anti islamisme.
Le président de la République a t-il voulu corriger cet écart difficilement justifiable dans un pays comme le Sénégal ? Sans doute. La distribution de ces journaux dans nos kiosques allait créer des troubles à l’ordre, des manifestations en cascade, que le gouvernement aurait beaucoup de mal à contrôler.
Cependant, la question demeure lancinante. Au-delà de l’émotion que la vue d’une telle image peut produire chez un croyant, en quoi cette représentation peut-elle ébranler la foi d’un musulman, fortement ancré dans ses croyances ? Quel sens peut avoir cette interdiction à l’heure où l’espace public est plus que jamais planétaire. La civilisation numérique a ouvert et élargi tous les espaces sociaux d’accès à l’information et au savoir. Hélas sans discernement !
Les réseaux sociaux avec plus deux milliards de suiveurs, sont le plus grand média du monde. Parce que nous sommes dans trois ères communicationnelles : l’interactivité, l’intercommutatibilité et l’intermodularité, qui placent la connectivité et l’instantanéité au cours de tous les enjeux.
Cette mesure d’interdiction prise par le gouvernement apparaît donc seulement dans sa valeur symbolique. Elle n’empêchera pas aux Sénégalais qui le désirent de voir, lire et se passer ces journaux. Déjà des voyageurs venant de l’Hexagone s’en sont procurés. On peut se demander si au fond cette interdiction ne renforce pas les éditeurs, en donnant l’occasion, une nouvelle fois, de crier à l’intolérance, au moment où des jeunes sont jugés et emprisonnés en France pour avoir manifesté leur solidarité avec les Kouachi et Amedy Coulibaly. Mais eux n’ont pas le droit d’être ignobles en cautionnant ces tueries. Ceux qui, comme le Pape François l’a dénoncé, atteignent à la foi des croyants, ont le droit d’être ignobles et d’en être gratifiés.
L’islam dans ses préceptes fondamentaux est essentiellement iconoclaste, quel que soit le personnage ciblé. L’indignation est d’autant plus grande qu’il s’agit de dépeindre sous des traits scandaleux un symbole fondateur de l’islam et qui marque sa différence avec toutes formes de croyances. Comme Jésus pour la religion chrétienne et Abraham pour les Juifs.
Que Charlie Hebdo ait décidé de faire de la dérision du prophète Mouhamed, une marque déposée au nom de la liberté d’expression prouve la valeur qu’il accorde a contrario à la liberté de culte des musulmans, qu’il prétend odieusement respecter en les distinguant des islamistes radicaux. Comme s’il existait un Prophète pour les musulmans modérés et un autre pour les radicaux.
Cette vision hémiplégique et caricaturale, démontre à suffisance les limites culturelles, intellectuelles et humaines d’un journal qui a toujours vécu des frustrations des citoyens qu’il se réjouit à ébranler dans leur foi, en prenant, tout simplement pour des imbéciles et des niais… Parce qu’ils ont de la foi et qu’ils croient. On oublie souvent que le nom de Charlie provient du prénom du Général Charles de Gaulle que ces journalistes ouvertement athées (ils en ont le droit), avait pris pour cible des années durant. Ces anciens de Hara Kiri, qui représentaient un Japonais à l’embonpoint proéminent plantant un couteau dans son vendre, les entrailles dégoulinant, avec ce fameux slogan «honni qui soit, mal y panse» a célébré sa naissance avec un mépris culturel évident.
Ces Mai-soixante-huitards, partisans de toutes les formes de nihilismes, clamaient haut et fort qu’il était «interdit d’interdire» et faisaient de l’audace et de irrévérence leur fonds de commerce. Le choix de la caricature comme mode d’expression, leur fournissait une grande opportunité de défoulement par la force de l’image et le poids des mots toujours teintés d’insolence et d’impertinence.
Charlie Hebdo ne symbolise pas la liberté de presse. Loin s’en faut. Sa culture extrême-gauchiste, lui a donné une caution morale reluisante, parce que tout ce qui est de gauche semblait séduisant et humaniste. Sa nature je-m’en-foutiste et sérieusement iconoclaste lui a tracé des boulevards de l’offense par les régals et les libéralités qu’il se donnait dans un abject amalgame de justiciers, d’objecteurs de conscience et de licences pour tout dire, sous le couvert de l’hilarité, du burlesque, du sarcasme, de la satire, ignorant et se moquant allégrement du terrible ressenti des cibles.
Il n’est pas étonnant que ses journalistes aient continué de donner dans la surenchère, ne se fixant aucune limite dans l’humiliation de leurs victimes. Contrairement au Canard Enchaîné qui s’est fixé des digues éthiques, Charlie Hebdo a poussé le bouchon de l’insolence toujours plus loin. Ses lecteurs l’ont progressivement abondé. Sa descente aux enfers était inscrite dans le temps court. Il ne tirait plus qu’à 60 000 et ne vendait que la moitié.
Son Directeur envisageait de le transformer en version électronique, après une rencontre infructueuse avec Hollande pour un sauvetage inespéré. Son tirage à cinq millions d’exemplaires, traduits en cinq langues et dans 20 pays et ses 120 000 abonnés apparaît comme une bouée de sauvetage pour ce magazine englué dans l’insolence.
C’est sans doute un cadeau royal que les intolérants tueurs Kouachi ont servi à un journal qui s’était déjà préparé à mourir. Leur funeste bêtise les aura emmenés à prolonger la vie d’un journal moribond, qui par leur ignominie schizophrénique va continuer à produire de l’angoisse et de la souffrance, à ceux qui ne demandent qu’à pratiquer leur foi sans être méprisés et blessés dans leur âme.
De quelle légitimité peut se réclamer Charlie Hebdo pour penser que leur athéisme légendaire est qualitativement supérieur à la foi des autres ? Soutenir le projet de Charlie, c’est tenter de donner du sens à l’insensé.