LE PDS À LA CROISÉE DES CHEMINS
Au stade où en est le Parti, distrait par les tracasseries judiciaires de certains de ses leaders, l'urgence commande de neutraliser l'ogre qui l'emporterait avec lui dans sa retraite
Inamovible à la tête du parti démocratique qu'il a fondé, Wade est hélas devenu pour cette formation "un éléphant dans une chambre". Quand il aura fini de se défouler, pas un seul meuble de ce parti n'y subsistera.
Que cela ne vous étonne ! J'avais écris en son temps qu'il était un ogre qui se nourrissait de ses enfants et qu'après avoir politiquement consommé Idy et consorts, son fils biologique Karim lui même, n'y survivrait pas. J'avais oublié alors que le PDS, personne morale, était aussi de ses enfants et par conséquent qu'il n'y échapperait pas. Seul l'étonnant Macky, "petit poucet de cette fable politique nationale", eut passé entre ses griffes.
Wade, pour le moins, a été très clair dans ses dernières sorties, eu égard à ses ambitions ou plutôt son objectif crucial pour le restant de sa vie : la confrontation destructrice avec le Président Macky et sa famille, au motif que ce dernier aurait emprisonné son fils.
Mais d'où tient-il sa conviction que ses partisans, qui avaient mis toute leur ferveur dans la bataille des années antérieures à la conquête du pouvoir de leur parti, accepteront aujourd'hui de le faire, uniquement pour sortir son fils d'un procès pour enrichissement illicite ? Étant donné que l'objectif, "tirer Karim d'affaire", est de loin moins motivant pour le partisan lambda, que celui de conquérir le pouvoir et gouverner.
Le PDS semble avoir donc changé de direction et de cible. Sa nouvelle cible n'étant plus la conquête du pouvoir, faute d'avoir un Wade présidentiable, comme si pour ce parti, investir un quidam autre qu'un Wade était hérétique.
La responsabilité de cette bifurcation de la ligne du parti, assumée par Wade, incombe en grande partie à son proche entourage qui lui exalte ses illusions, en cédant sans piper mot à ces caprices, même les plus dévastatrices pour le parti.
Derrière ce choix approuvé de prioriser le sort de son fils, se cache la crainte pour beaucoup de ses proches suspects, d'une convocation de la Crei dont l'appétit pourrait être aiguisé par un premier succès et faire d'eux ses prochaines cibles.
De ce fait l'on verse opportunément dans l'idéalisation à outrance d'une dynastie Wadiste.
Le parti vire en un secte nouveau du Wadisme qui voit des néophytes de tous horizons venir occuper avec zèle les premiers rôles, aux dépens de militants de la première heure, qui ne savent plus à quel saint se vouer. Qu'un Babacar Gaye tombe de son piédestal et dégaine de la manche de sa veste, comme un magicien, une proposition saugrenue de tenir un congrès extraordinaire pour investir Karim, ce n'est que reflet d'un désarroi et une tentative consécutive de préserver une place dans le nouveau recadrage du parti, fondé sur l'allégeance à la dynastie Wadiste.
Au nom d'une prétendue coutume sénégalaise l'on voudrait ainsi nous faire croire que Karim, du fait de son emprisonnement, aurait la faveur des prochaines élections à l'instar de ce qui s'est produit dans un passé proche, avec les candidats Djibo Kâ, Idrissa Seck ou Macky Sall. Cependant cette conclusion hâtive, répétée ça et là comme une litanie, est biaisée dès l'hypothèse de départ, car toute l'histoire qui a produit respectivement de tels résultats, n'est pas dite.
Qui étaient ces trois candidats avant de se présenter devant l'électorat sénégalais et en quoi ressemblent-ils à Karim ?
Eux étaient des militants politiques de longue date, dauphins légitimes de l'occupant du palais, chacun en son temps, fondateurs de partis respectables, qui ont injustement été poussé à la sortie, par l'homme fort du parti et de l'État. Pour ces cas là, l'engagement du peuple s'était construite autour de la nécessaire réponse à l'arbitraire du pouvoir, et visait une légitimation de ses victimes.
Par contre Karim n'était pas connu des Sénégalais comme politicien, avant que son père ne devienne président de la République. Il n'était pas dauphin naturel, ni victime d'arbitraire ; bien au contraire il avait été suspicieusement vu comme un potentiel successeur illégitime de son père, par dévolution monarchique.
Et si par bonheur ce projet avait réussi, nul ne s'attendait à ce que le PDS en soit le grand gagnant, mais plutôt le mouvement de la "Génération du concret" qu'il avait fondé et dont on ne parle plus, depuis que lui et son père ont quitté le pouvoir. Alors que les partis des autres candidats convoqués comme termes de comparaison, existent en bonne place encore. Ce qui démontre si besoin en est, qu'il n'a pas de base politique qui plaide en faveur des prétentions qui lui sont prêtées.
L'investir aujourd'hui à la tête de ce parti, comme le proposent certains, reviendrait à opérer une hasardeuse greffe dans un corps allergique, disposé au rejet.
Au stade où en est le PDS, distrait par les tracasseries judiciaires de certains de ses leaders, l'urgence commande de neutraliser l'ogre qui inconséquemment l'emporterait avec lui dans sa retraite, et de revenir aux fondamentaux d'un parti. Si des responsables lucides et courageux ne prennent pas tôt les bonnes décisions, je crains que ce parti n'accuse un tel retard à la veille de 2017, que le seul choix qui, étonnamment, serait le sien, sera de demander l'ajournement des élections, pour ne pas tomber dans le ridicule.
Il faut au PDS un remède de cheval. La tactique qui consiste à se servir de Wade comme épouvantail destiné à réfréner les ardeurs de la justice sénégalaise, n'entre pas dans une stratégie pertinente à mener à la reconquête du pouvoir, si telle est encore l'ambition du parti.
Les arguments qui militent en faveur de ce sursaut sont nombreux, mais aucun ne l'illustre aussi clairement que le comble de disgrâce ayant résulté de l'incompréhensible tactique, qui a voulu que Wade déclinât l'invitation du président Macky à assister au sommet de la Francophonie. Préférer aller à une place publique proférer des menaces à quelqu'un qui vous a invité, plutôt que d'accepter les honneurs qu'il propose et en profiter pour amorcer le dégel désiré, est inacceptable d'un ancien Président, d'un homme de son âge et de son expérience politique.