LE SÉNÉGAL DES PARADOXES !
L’éthique et la morale semblent se détourner de la sphère politique. Oui, dans l’espace politique de notre pays, les adversaires d’aujourd’hui seront les alliés de demain
Le Sénégal est désormais dirigé par deux frères. L’un est devenu chef de l’Etat et inspirateur de la réforme dénommée Acte 3 de la décentralisation, l’autre préside le Sénégal subdivisé en collectivités territoriales en sa qualité de maire et président de l’Ams et sera immanquablement un continuateur de celle-ci.
Pourtant, le peuple sénégalais a manifesté sa désapprobation à toute forme de dévolution monarchique du pouvoir. Ainsi a-t-il même refusé et combattu farouchement ce qui ne fut qu’un projet ou une simple supposition. Et dans cette perspective, un père fut révoqué et son fils embastillé.
Le renouvellement du bureau de l’Association des maires du Sénégal (Ams) n’a jamais suscité un enjeu aussi grand. En effet, le contexte marqué par l’Acte 3 de la décentralisation a induit l’implication de l’ensemble des Collectivités territoriales de base (557 communes) du fait de la communalisation intégrale. Parmi les prétendants, l’on a remarqué deux qui appartiennent à la coalition Benno bokk yaakaar.
Il s’agit du Socialiste Alioune Ndoye, maire de la commune de Plateau et ancien Trésorier de l’Ams en sa qualité de maire de la commune d’Arrondissement du même nom.
D’autre part, Aliou Sall, maire de la Ville de Guédiawaye qui a certes décliné un programme ambitieux mais à l’heure où les villes ont été dévaluées. La vérité est que ni l’un ni l’autre n’avaient cru devoir accepter les failles qu’englobaient les nouveaux statuts de la ville et de la commune.
Par contre, leur trait commun c’est la désillusion après l’installation des conseillers locaux car présentement ils reconnaissent tous les limites de la réforme.
Le duel allait donc opposer l’expérience et l’ambition. Ce que certains observateurs ont assimilé au prolongement des élections locales. Finalement, la digne et loyale confrontation entre les Alioune n’aura pas eu lieu par le désistement à la dernière minute des Socialistes sans doute pour différer les primaires de la prochaine présidentielle.
Tout de même, la communauté peut se régaler car elle eut droit à une bataille épique avec la candidature du maire de la ville de Thiès déclarée en dernier lieu. Ainsi Talla Sylla, le rebelle, engage le combat de principe. Ce fut donc l’ambition face à la constance.
L’hypocrisie de la classe politique
Paradoxalement, ceux qui montèrent en première ligne de combat contre un tel projet ont dû se démarquer de leur ligne politique et d’actions pour valider par le biais d’un jeu démocratique ce qui hier fut dénoncé et rejeté.
Hélas ! Voilà cette image hideuse du Sénégal et de sa classe politique qui m’inspire de ranger les armes et de me contenter de suivre à distance le ridicule spectacle ! Il n’y a plus de règle dans l’arène à tel point que les écuries ne s’attardent plus à former et à instruire si ce n’est pour créer des monstres quand bien même elles produisent encore les plus robustes et mesquins gladiateurs qui parviennent toujours à terrasser par toutes les méthodes l’adversaire et n’hésitent pas à défier leur propre chef.
L’éthique et la morale semblent se détourner de la sphère politique. Oui, dans l’espace politique de notre pays, les adversaires d’aujourd’hui seront les alliés de demain. Et vice versa.
A la survenue de la première alternance, le Parti socialiste s’est retrouvé dans la même coalition (Cpc) que des partis qui l’ont combattu moins de deux ans auparavant. Et Wade par deux fois affronta ses propres fils jusqu’au parricide opéré de connivence avec les adversaires du père.
Aujourd’hui, Niasse, le tombeur de Diouf, qui a décidé de faire allégeance à celui qui estompa son rêve de devenir président de la République est lui aussi gravement menacé par un fils qu’il a toujours adulé mais qui constate la renonciation de son mentor.
Talla retrouve Idy alors que le chef de Rewmi est lâché par de fidèles lieutenants une fois qu’ils ont intégré le Macky. Au surplus, combien sont-ils les révolutionnaires communistes maoïstes, léninistes et trotskistes, convertis ou non en Libéraux, valsant dans les gouvernements successifs sans foi ni conviction ou demeurent militants d’une Gauche dispersée, inconséquente et inefficace, malgré les tentatives de rassemblement souvent vouées à l’échec.
Au Sénégal, il ne manque que le courant des extrémistes qui en dépit de l’encadrement juridique des partis, risque de voir le jour face à cette autre forme d’extrémiste encore plus dangereuse déclenchée par Charlie qui prône la Liberté sans le respect et à l’indignation sélective de la communauté internationale.
Charlie : la Liberté sans le respect
Permettez-moi de revenir sur cette irresponsabilité ! Notre conviction est que la Liberté sans le respect est synonyme d’un extrémisme encore plus redoutable puisqu’il s’agit d’une irresponsabilité qui porte atteinte à la croyance d’un tiers de l’humanité.
En condamnant unanimement les attentats de Charlie et en manifestant sa solidarité à Paris, la communauté internationale a tenu à réaffirmer son attachement à la Liberté, à la démocratie et à la paix. Toutefois, elle a bel et bien failli en omettant d’exiger aussi le respect des croyances de l’autre. D’ailleurs, elle a déjà longtemps failli car la même indignation n’a guère été de mise lorsque le Moyen-Orient et récemment l’Afrique de l’ouest et du centre subissent une violence inouïe.
Il est vrai qu’il n’a pas été facile de faire le rapprochement entre les écrits et images blasphématoires de Charlie dénoncés il y a neuf ans par Serigne Mansour Sy. De plus, retentissent encore dans notre mémoire la réaction de Cheikh Sidy Makhtar à propos de l’ouvrage de notre compatriote le Professeur Sankharé. C’est dire que nous restons un peuple tolérant, mais profondément croyant et attaché aux valeurs qu’incarne l’islam : Paix et Solidarité. Au reste, les erreurs de l’Etat ne sauraient être acceptées.
Car les éléments d’appréciation ne devraient nullement manquer à l’homme d’Etat. Et pourtant, le Président Macky Sall qui a osé dire devant le chef de la super puissance américaine sa conviction sur l’homosexualité a lui aussi failli et devra s’adresser au peuple en des termes clairs et précis par delà l’interdiction de la parution de l’hebdo satanique sous nos cieux !
En tout état de cause, le respect, principe fondamental et gage de tolérance, de sécurité et de paix, doit rester la passerelle entre les Républiques qu’elles soient laïques ou islamiques. Et subséquemment, il devra sous-tendre les relations entre les citoyens, croyants ou non, afin de relativiser l’absolutisme et de bannir la violence comme toute forme d’extrémisme.
Prônons donc la liberté dans le respect de la différence si nous voulons réellement cultiver la paix et la sécurité. Sinon, le risque est grand de précipiter la guerre des religions...
Dans le même temps, le fils, comme son père écroué à la suite des sanglants événements post électoraux de 1993, décide de suspendre sa grève de faim sur la demande toujours du khalife des mourides très attaché au respect des principes et recommandations de l’islam. Cette fois, le messager n’est autre que le fils du guide religieux.
Pour le père, le dénouement fut heureux car il redevint ministre d’Etat dans le gouvernement socialiste le 15 mars 1995 au nom de l’unité et la concorde nationale. Et si l’histoire pouvait se répéter comme c’est fréquemment le cas pour ce vaillant peuple qui par naïveté peut bien avoir, par moment, une mémoire si courte... Demain, peut-être, Karim sera le Premier ministre de Macky ou Idrissa le candidat du Sopi en attendant que Tanor et Khalifa dévoilent leur jeu.
Choix du président de l’Ams, les faibles arguments de Macky
Le président de la République, en recevant les élus locaux membres de sa formation politique, a tenu à justifier la désignation de son frangin à la tête de l’Association des maires du Sénégal (Ams) assimilant cette structure à une association privée comme le parti politique qu’il convient de dissocier de l’Etat.
Au plan strictement juridique, l’un et l’autre sont soumis aux règles applicables aux associations. Certes l’Ethique n’est pas Règle de droit, mais elle est tout aussi essentielle pour le bon fonctionnement des institutions. Sous ce rapport, il convient de relever deux choses : en premier lieu, l’Ams est une association regroupant les représentants des exécutifs locaux des 557 communes du Sénégal qui ne sont rien d’autre que des collectivités publiques, régies par la loi n° 2013-10 du 28 décembre portant Code général des Collectivités locales. En second lieu, la confusion entre les affaires privées et celles de l’Etat fait légion, même le cadre et le discours de la dernière rencontre entre le président de la République et les Présidents de conseil départemental et les maires membres du parti présidentiel le prouvent à suffisance.
C’est par le caractère privé du parti qu’assurément les autres militants de l’Apr ont été écartés au profit de Aliou Sall. C’est certainement pour cette même raison que les autres prétendants de la coalition Benno bokk yaakaar se sont éclipsés. Et quoi de plus logique que l’Ams élise in fine le candidat choisi par la coalition de la majorité.
N’est-ce pas, au nom de l’autonomie des partis que le Président Macky Sall, a désigné en pleine réunion Mor Ngom, un ex-concurrent de Aliou, pour diriger la chambre des élus, un organe de l’Apr ?
Aussi le Président Sall ne disait-il pas : «J’ai choisi Moustapha Niasse comme futur président de l’Assemblée nationale. Personne ne me fera changer d’avis» ? Pourtant, l’on est bien dans la sphère de l’Etat où le principe de séparation des pouvoirs doit rester en vigueur.
Pourquoi, au nom de cette même logique, n’a-t-il pas voulu choisir parmi les responsables qui jouissent d’une légitimité incontestable pour piloter l’Ams ?
Sans doute, le Président Sall pouvait-il, par éthique, porter clairement son choix sur son frère ou l’afficher publiquement. Dès lors, des émissaires ont été dépêchés qui réussiront à bien manœuvrer pour matérialiser la volonté et le dessein du chef tout en chantonnant que celui-ci n’avait nullement de candidat.
En effet, Macky sait- comme il l’a si bien affirmé- qu’il doit impérativement organiser le parti à la base avec et autour des élus. Par conséquent, Aliou reste à ses yeux l’homme le plus fiable pour coordonner véritablement cette base en vue de la conquête d’un second mandat.
La vérité est que Macky, en tant que chef de l’Etat, nomme qui il veut. Et comme chef de parti, il choisit qui il veut.
Méditons les dispositions du Code électoral, en son article L.234, alinéa 2 et 3. : «Les ascendants et les descendants, les frères et sœurs peuvent être membres d’un même conseil municipal s’ils sont présentés par des listes différentes. Leur nombre est limité à deux (2) au sein du même conseil municipal.
Les conjoints et les alliés au même degré ne peuvent être simultanément membres d’un même conseil municipal.»
Dommage que sous nos cieux, les «conseillers» n’aient pas l’habitude ni l’audace de dire la vérité au prince surtout en de pareilles situations. Mais demain, le réveil risque d’être brutal car le peuple est en train de digérer lentement...
A présent que l’autre président est intronisé, il reste à espérer que la complicité entre les frangins tourne à la faveur du progrès de la décentralisation afin que les maux longtemps connus dont souffrent nos collectivités locales puissent être soignés avec toute la diligence requise.
Certainement, il sera question d’impulser la réforme de la réforme, d’accroître, de manière substantielle, les moyens des communes, de promouvoir la coopération formelle entre les collectivités locales en usant de l’outil intercommunal qui est instrument de planification de l’espace urbain par delà le statut de la nouvelle ville assimilable à une intercommunalité à fiscalité propre. Telle est la voie pour contourner l’absence de viabilité des territoires, entreprendre efficacement la territorialisation des politiques publiques et asseoir des cités émergentes