LES DESSOUS D’UNE RÉVOLTE
CONTESTATION DES JEUNES DE NGOR, OUAKAM ET YOFF
Les affrontements violents du week end dernier entre les Forces de l’ordre et les jeunes de Ngor, Yoff et Ouakam représentent beaucoup plus qu’une simple querelle de propriété des terres ancestrales des Lébous dans la zone de l’aéroport Léopold Sédar Senghor. Ils démontrent la spéculation foncière dans cet espace où ils sont presqu’exclus à cause de leur niveau de pauvreté.
La révolte des jeunes de Ngor, Ouakam et Yoff cache des inquiétudes existentielles. «Qu’est-que tu veux qu’on fasse? Les familles grandissent, la mer avance sur nos maisons, il n’y a plus de place pour construire. On est forcé à construire en hauteur mais ces bâtiments-là ne sont pas sûrs», explique Mamadou Ndiaye, un résident de Ngor et membre du Collectif des jeunes de Taanka qui est à la base du mouvement de contestation dans les villages de Ngor, Yoff et Ouakam. Ils réclament la restitution des terres de l’Aéroport Léopold Sédar Senghor de Dakar après l’ouverture de celui de Blaise Diagne de Diass.
Rassemblés sur la rue principale de Ngor, après avoir été repoussés du lieu de leur sit-in aux Mamelles par les Forces de l’ordre, les membres du collectif expliquent leur frustration par leur situation économique et la précarité de leur condition sociale.
En se rappelant du passé, ils se rendent compte que leur aire d’habitation a été complètement réduite à néant après avoir «cédé» une partie de leur foncier aux autorités. En 1934, 864 hectares qui appartenaient à la collectivité Lébou du Taanka, qui regroupe les communautés de Ngor, Ouakam et Yoff, ont été cédés a l’Etat pour la construction de l’Aéroport Léopold Sédar Senghor sous le prétexte d’utilité publique.
Avec la construction du nouvel aéroport Blaise Diagne à Diass, les terres situées autour de l’ancien aéroport, spécialement dans les quartiers de Ngor et des Almadies, ont connu une spéculation spectaculaire. Et la construction d’appartements et de villas haut de gamme a explosé sous leurs yeux médusés. Mo Ndoye, un jeune membre du collectif, comme la majorité de ses frères, est sans emploi stable, explique les enjeux du combat pour récupérer ces terres ancestrales. «Le protocole d’utilité publique est terminé, mais au lieu de retourner les terres aux vrais propriétaires on voit ces terrains être distribuées à des hommes d’Etat et des hommes d’affaires», dit-il.
Son avis est partagé par de nombreux autres activistes : «Il y a déjà eu des réductions sur le territoire aéroportuaire», explique Mamadou Ndiaye. Le résident de Ngor continue en expliquant que «ces terrains sont attribués à des personnes de façon irrégulière. Au lieu de nous retourner nos terres, les gouvernements de Abdoulaye Wade et de Macky Sall ont distribué les terrains à leurs amis.»
Aujourd’hui, les disparités entre les quartiers sont maintenant inquiétantes. Dans le vieux village de Ngor, les habitants sont entassés dans des habitations qui arrivent à peine à accueillir la nouvelle génération d’enfants. Les ruelles étroites, qui donnent un certain charme au village, montrent aussi à quel point l’espace est devenu inaccessible pour les habitants du quartier.
De l’autre coté de la route de l’aéroport, qui sert de barrière officieux entre les deux réalités du quartier, se trouvent les appartements et les habitations de luxe, avec des restaurants, des magasins, et des night-clubs, qui restent largement inaccessibles à la majorité des originaires de ce village. Cette «accumulation» de frustrations et d’incertitude a fini d’allumer la flamme de la contestation.
Exclusion sociale
Pour Amadou Guèye, maire de Ngor, les échauffourées de la semaine dernière sont sans surprise. «Tout ça, dit-il, en hochant la tête en face des jeunes amassés prêts à la confrontation sur la route principale du village de Ngor, est le résultat de nos frustrations. Nous n’avons pas assez de terres et de lycées dans le village pour accommoder la jeunesse. Il n’y a même pas un endroit où ils peuvent se recueillir et se parler. Ils sont comme tous les enfants et ils ont un droit à ces infrastructures», continue-t-il.
Le maire explique également que même dans le village de Ngor, plusieurs bandes de «terre qui ont été originalement délimitées pour la construction d’infrastructures de base pour la communauté ont été partagées et vendues par des particuliers.» Il avoue que la plupart de ces terrains sont maintenant devenus des appartements ou des maisons privées.
Les allégations du maire de Ngor et des membres du collectif des jeunes de Taanka, si elles sont prouvées, démontrent l’existence d’une corruption répandue dans l’achat, la distribution et le développement de propriétés à Dakar. Cette «spéculation» foncière «enrichit» les fortunés et laisse les habitants d’origine sans infrastructure et sans possibilités de résider dans la capitale.