LEÇONS D’ENTRAINEURS
Quand on a une Cadillac rouge avec des pare-chocs chromés, des jantes dorées, la toiture décapotée et qu’on chemine sur la plus belle avenue du monde que constitue la Premier League, on ne roule pas sur les bas-côtés. La pédale à fond, on ne s’embarrasse guère des feux tricolores. Les guimbardes qui crachent leur gasoil à deux à l’heure, on les éclabousse avec l’eau des égouts. Pas de souci avec les radars. Les flics écarquillent les yeux devant tant de rutilance et avalent leur sifflet. La route est un boulevard sans fin et le réservoir à ras bord. Comme on disait de la mythique Ds Citroën, il ne manque qu’un bouton pour voler. C’est ce qu’on savait de Man United.
On est loin de la petite cylindrée poussive actuelle, dont le moteur à deux temps alterne le pire et le moyen, perdant une roue ici, pétant un carburateur là, se perdant sur des chemins de campagne alors qu’elle ne s’arrêtait même pas aux péages sur les autoroutes d’Europe. Le chauffeur ne pouvait faire long feu. David Moyes a sauté après sa dernière sortie de route de dimanche.
Cruel sacrifice sur la Roche Tarpéienne, pour un homme qui avait tout pour finir au Capitole. On sait combien les deux destins sont proches dans la vie d’un entraineur. La fatalité a fini par l’emporter.
L’expérience de David Moyes avec Manchester United montre encore une fois combien les voies du coaching peuvent être impénétrables et insondables.
Choisi, élu, adoubé par le «saint» des lieux, Sir Alex Ferguson, sa statue de commandeur était préétablie. On ne peut soupçonner son mentor de légèreté et on s’attendait à mesurer les miracles de son choix, plutôt que d’assister à une telle faillite. Sauf qu’un grand entraineur n’est pas seulement un concentré de savoir et de savoir-faire technique. Au-delà de ce qui se dessine sur le tableau noir et s’éructe le long de la ligne de touche, le défi d’une transition sur un banc réside dans la capacité à s’approprier un groupe, à le modeler et à le coller à son identité propre. A le travailler et à le faire travailler dans la voie de la réussite.
L’échec est un point zéro par rapport à des standards de réussite. Devant le gouffre que représente les dix mois de Moyes à Old Trafford, il y a les 26 ans de Ferguson à la même place. Mais l’histoire n’offre pas toujours une lecture équilibrée du présent.
Dès lors, on peut se référer à l’année Guardiola au Bayern, pour tenter de juger l’Ecossais. Le défi était le même pour l’Espagnol. C’est comme s’il fallait prendre le relais dans un 4x100 m parti sur les bases d’un record du monde. Tout faux-pas est faiblesse, toute faiblesse est coupable.
A Munich, on a senti la touche d’un concepteur. Le Bayern ne se contente plus de bien jouer. Il construit le déséquilibre. On note une forme d’appropriation du club par un coach qui a porté/maintenu l’expression individuelle et collective des joueurs sur des standards élevés. Les moments de faiblesse, il les a dominés, quand son début de saison était marqué par une recherche de repères et de paramètres. Le résultat était là, attendant la manière ; celle-ci a fini par arriver.
Rien n’est cependant facile, quand on tombe dans un groupe qu’un homme a bâti selon sa personnalité, ses colères et ses caresses, ses méthodes et sa philosophie. Il fallait plus qu’une pédagogie du groupe pour imprimer sa marque dans les vestiaires. Il fallait sortir des standards courants de la psychologie pour construire de nouvelles relations qui permettent une transition intelligente. Car à United, la mutation ne se vit pas uniquement sur le banc. Elle se lit aussi dans le terrain où une génération de base arrive à épuisement et atteint ce stade où les succès répétés érodent les envies.
Moyes a pris le relais à un moment charnière et certaines ruptures ne peuvent être faciles. Notamment dans le contexte actuel.
L’Europe bouge. Une des riches lectures qu’on peut avoir de cette saison réside dans les particularités qui ont façonné les grands clubs cette saison, sous la marque des grands entraineurs.
Mourinho voyage sans cesse, ne change jamais et gagne toujours. Sa psychologie féroce agit sur l’homme, son savoir fait le reste. Diego Simeone montre que le groupe est la raison d’être d’une équipe et que la foi collective continue de soulever les montagnes. Guardiola vient rappeler une maxime : le grand club, c’est un grand entraineur avec un grand nom. Comme Ancelotti au Real.
A côté, deux entraineurs sont au pilori ; en début de saison, ils n’avaient pas échappé à la question fatale au moment de leur nomination. D’un côté, on se disait «David qui ?», de l’autre, c’était «Martino quoi ?». Le temps aurait pu leur donner raison. Mais quand on conduit des carrosses qui valent des centaines de milliards de francs, rien ne saurait attendre.
Dans le «Board» de Manchester, ce qui le fait le plus mal, ce ne sont peut-être pas les défaites, mais la menace qui pèse sur la valeur du quatrième club le plus riche au monde. On peut dire que les deux sont liés…