L’AFRIQUE EST PIÉGÉE, CHANGEONS DE CAP
C’est un truisme de rappeler que notre continent a été martyrisé plusieurs siècles durant. Arrêtons-nous simplement à la révolution industrielle et aux progrès techniques du XIXe siècle européen qui ont généré une surproduction.
Ce surplus, entre autres, a été à l’origine de la recherche de marché ayant abouti à l’invasion de notre continent et que l’on a appelé colonisation. On sait aussi que cette pénétration s’étant opérée dans la précipitation et le désordre a créé des conflits entre Nations colonisatrices et devait déboucher sur le funeste congrès de Berlin qui a morcelé l’Afrique en micro Etats affectés aux occupants.
Nous traînons encore les tares de la balkanisation que les pères des indépendances avaient dénoncée. Le danger était clair et perçu par bon nombre de nos leaders, qui avaient préconisé un regroupement plus à même de faire face à une économie mondiale dominée par une politique libérale d’échanges et régentée par des institutions financières sans pitié.
Nous pouvons citer de mémoire, certains grands Africains qui avaient une vision prospective, très osée mais incomprise à leur époque : Kwame Nkrumah, Cheikh Anta Diop, Gamal Abdel Nasser et plus récemment, Mouammar Kadhafi pour ne citer que ceux-là.
C’est ce qui a été à l’origine de la création en 1963, à Addis Abeba, avec 32 Etats, de l’Organisation de l’unité africaine (Oua). Mais déjà cette volonté d’unir le continent connaîtra sa première épreuve avec la bipolarisation en deux groupes présents, sur la nature de la nouvelle organisation et son orientation : les partisans du fédéralisme et ceux d’une «Afrique des Etats».
L’Oua vit le jour tout de même, en devenant, non un outil d’intégration mais de coopération entre les Etats.
Ainsi avec ses «micro Etats», cherchant chacun à se frayer un chemin dans la jungle économique mondiale, l’Afrique venait de rater le premier virage.
Maisilyapire.Làoùonatenté l’intégration, comme pour le Sénégal et le Mali par exemple, cela s’est terminé de manière malheureuse et les cicatrices de la rupture se font encore sentir par à coups.
Pourtant, malgré les échecs, ce souci d’une intégration africaine est resté une préoccupation des dirigeants africains. C’est ce qui explique la création de l’Ocam en janvier 1965 à Nouakchott, mais qui ne devait pas prospérer pour des divergences idéologiques.
Le deuxième grand coup que l’Afrique devait recevoir interviendra dans les années quatre-vingt, vingt ans après les indépendances, avec l’ajustement structurel.
Phénomène douloureux qui a maintenu notre continent sous perfusion décrétée par les bailleurs de fonds.
Dans un article : «Ajustement structurel, croissance et répartition», l’exemple de la Cote d’Ivoire, deux analystes nous expliquent dans la revue Tiers monde (1991), les raisons avancées par les banques pour justifier notre calvaire. Ils affirment que : «Les analyses de la crise ivoirienne effectuées par la Banque Mondiale s’attachent beaucoup plus aux causes internes d’ordre structurel qu’aux chocs extérieurs», et la banque donne trois causes pour expliquer cette crise : « -mauvais contrôles des dépenses ; -manque d’efficacité du secteur de l’import (...) ; -inégalités villes/campagnes».
Comme on peut s’en rendre compte, le diagnostic a été fait par les mêmes structures et les remèdes appliqués dictés encore par elles. Ce que l’on peut retenir dans cette épreuve imposée à l’Afrique, outre le coût social énorme que cela a eu pour le continent, dans tous les pays où l’ajustement a été instauré en termes de conflits sociaux, de crise de confiance entre les pouvoirs et les travailleurs et les pouvoirs et les masses, c’est le caractère aléatoire des mesures préconisées qui pose problème.
En effet, il est difficilement concevable d’arrêter des mesures non éprouvées, de les appliquer à des pays pour constater à l’arrivée que l’essai n’est pas concluant, qu’il faut essayer autre chose ; c’est comme un mauvais médecin qui essaie successivement des médicaments sur un malade en croyant connaître son mal. On peut dire les choses autrement. Ce sont des logiques de banques qui ont été appliquées à l’Afrique.
Et si on voulait tirer une conclusion sur l’ajustement structurel, on l’empruntera à ceux qui disent que : «L’ajustement structurel est au corps social ce que le virus du sida est au corps humain : il le fragilise par des réformes économiques inopportunes, à tel point que les défaillances qu’il aurait dû être en mesure de gérer prennent des dimensions dramatiques, d’autant plus que les solutions prônées sont externes», j’ajouterais : et inopérantes.
Tout cela nous montre que depuis l’indépendance, malgré toute la volonté de nos dirigeants, hélas divisés, ce qui s’est fait en Afrique, s’est fait sans l’Afrique. Entendons-nous bien, des objectifs ont été déterminés, des finalités par les Africains, mais des logiques et moyens externes ne tenant pas un compte suffisant des préoccupations des masses africaines ont été utilisés.
Il ne faut pas non plus dire que les dirigeants africains n’ont rien tenté ou réussi pendant ces cinquante années d’indépendance. Des structures politiques, communautaires, financières, économiques, régionales ont été créées :
le Plan de Lagos, élaboré en 1980, fruit de réflexions de compétences africaines, qui cherche à promouvoir un développement régional ; l’Union africaine (Ua) créée en 2002, à Durban qui a remplacé l’Organisation de l’unité africaine Oua) avec ses organes ;
la Banque centrale africaine siégeant à Abuja au Nigeria, la Banque africaine d’investissement siégeant à Tripoli en Libye ; et le Fonds monétaire africain siégeant à Yaoundé au Cameroun ; la Communauté d’Afrique de l’Est (Eac) ; la Comm unauté économique des États de l’Afrique centrale (Ceeac) ; la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) ; l’Autorité intergouvernementale pour le développement (Igad).
Mais outre le fait que ces structures et organes ressemblent comme à des jumeaux aux structures européennes (quand on ne veut pas opérer des ruptures, on ne dispose que des modèles européens) je n’ose pas dire leur orientation, mais leur fonctionnement dépend en grande partie de l’assistance extérieure technique ou financière. L’exemple le plus frappant est celui de la Cour africaine qui, pour juger l’ex-Président tchadien a dû attendre une subvention extérieure pour la tenue du procès.
Ainsi, nos pays rivalisent d’ardeur pour contracter des dettes (il faut financer le développement), on a même parlé de capacité d’endettement et l’assujettissement continue, d’autant plus que la logique du cas par cas fragilise les Africains. A quand la fin de la dette ? Des générations d’Africains doivent-elles toujours travailler pour rembourser une dette qui ne cesse de grossir ?
Pouvons-nous naïvement penser que ceux avec qui on est en concurrence, ceux qui veulent nous maintenir dans la dépendance, seraient magnanimes au point de nous «filer» les recettes de notre émancipation. Il faut ajouter à cela, le fait que certains de nos dirigeants sont pleins de vœux et d’ambition pour nos peuples ; ils se battent souvent pour arriver au pouvoir, mais une fois leur ambition réussie, ils se cramponnent au pouvoir au risque parfois de massacrer les peuples qu’ils prétendent servir.
Alors, la question est est-ce que ces dirigeants, et ils sont nombreux, sont capables de sortir le continent du marasme dans lequel il se trouve et le mener au développement, englués qu’ils sont entre l’endettement qui les étrangle et leur ambition effrénée du pouvoir ?
Je ne le pense pas sincèrement, quand on observe les crises institutionnelles, les scandales financiers, le pillage systématique des ressources qui étouffent l’Afrique. Tout se passe comme si pour notre continent, ce n’est pas assez d’être sucé par l’extérieur, il faut encore subir les tares et malversations de ses propres fils.
Il faut donc avoir le courage de constater que cette orientation n’a pas marché.
Il y a plus, le mal est si profond que nos propres intellectuels ne semblent voir de solutions que dans les sentiers battus : comment alléger la dette ? Comment réorganiser notre coopération avec les pays occidentaux surtout ?
Toujours des voies déjà tracées par les Européens. Mais c’est vrai, c’est à leur école qu’on a été, c’est leur théorie qu’on applique, c’est leur logique qu’on connaît. Et tout se passe comme si en dehors de cela, pas de salut. Parfois même, certains intellectuels audacieux qui tentent d’indiquer des voies innovantes et endogènes sont marginalisés, s’ils ne sont pas ignorés ou simplement ridiculisés.
Pourtant, il faut chercher des solutions courageusement, obstinément en pensant à cette réflexion de Cheikh Anta Diop qui disait en wolof : ku am tànk da ngay dox («quand on a des pieds on marche») et il ajoutait, kenn mënula dëkk ci ñu lay tunoob rekk («on ne peut demeurer un éternel assisté»). Il faut oser couper le cordon ombilical comme nos gouvernements ne semblent plus pouvoir le faire.
A ce sujet, la naissance et la multiplication d’organisations de la société civile, véritablement patriotes et indépendants nous semble une solution à explorer. Ce qui s’est passé récemment au Congo avec des associations qui se sont coalisées pour empêcher le changement de la constitution, est un exemple de la capacité de ces associations à imposer des solutions pour faire cesser certaines dérives. Et si à l’échelle du continent, ce mouvement se développe, chaque fois que la volonté des peuples est bafouée, il faudra organiser «ce déferlement patriotique» pour l’empêcher.
De la même manière, la création d’une panafricaine d’intellectuels africains indépendants financé par tous les pays africains, ayant pour objectif principal de réfléchir sur des solutions radicales et endogènes pour l’émancipation de notre continent, nous semble impérieuse. Car que pouvons-nous espérer de l’Occident (Amérique et Europe) si ce n’est les valeurs de travail, d’endurance qui ont permis de bâtir ces deux continents ?
A bien regarder les choses, la dernière trouvaille du monde «civilisé» est le renforcement des mesures drastiques qu’on nous applique, le refoulement systématique de ceux qui ont été piégés par la propagande de l’image de ces pays présentés comme l’éden, à travers surtout des téléfilms et tout dernièrement avec la légalisation de la justice américaine, «le mariage pour tous», maintenant accepté par presque tout l’occident.
Et puisque la population mondiale fait 7 324 782 000 âmes (chiffre de 2015), il faut espérer que cela ne soit pas une autre manière de ressusciter le malthusianisme, car des couples «homogènes», (hommes-hommes et femmes-femmes) ne produisent pas.