L’ÈRE DU RENOUVEAU
LOCALES À SAINT-LOUIS
Accords de pêche, emploi, éclairage public, gestion des ordures, préservation du patrimoine, assainissement… Voilà quelques attentes des Saint-Louisiens. La capitale du Nord qui fait l’objet de convoitises entre les politiques et la société civile a une palette de choix.
Ville tricentenaire, Saint-Louis, malgré ses multiples potentialités touristiques, culturelles et économiques tarde à sortir de l’ornière. Sale, décrépie et mal éclairée, l’ancienne capitale, sous le poids de l’âge, offre une image lugubre à ses visiteurs. La ville vit difficilement la symbiose entre son passé colonial et sa modernité. Nombre de ses anciennes bâtisses sont en phase de restauration, quand d’autres bâtiments menacent de s’écrouler.
L’île classée patrimoine historique est sous l’épée du déclassement, en cause le non respect des cahiers de charges. Le patrimoine a connu quelques avancées, mais s’enlise depuis quelques années. La restauration et la préservation du patrimoine historique, l’érosion côtière, les inondations et le sous-emploi, constituent des freins pour le développement de la capitale du Nord.
Ville attractive et au passé élogieux, Saint-Louis est aujourd’hui à la quête d’un dirigeant qui lui rendrait son aura d’antan. C’est ainsi que les convoitises se font agressives. Même la coalition Benno Bokk Yakaar, prolongement de Benno Siggil Senegaal, actuel mandataire à la mairie, s’adonne à une guerre interne. Le maire sortant, Cheikh Bamba Dièye du Fsdbj, candidat de Benno siggil Sénégal ; et Mansour Faye, ont franchi le Rubicon.
Sur les 14 partis qui constituent BBY, 10 (PS, AFP, LD, RTDS, MPCL, UDS, MDI, APR, ASDIC et AJ/PADS) ont voté pour le candidat de l’Apr et actuel délégué général à la Solidarité nationale, Mansour Faye, non moins beau-frère du président de la République, Macky Sall. Outre ces deux de BBY, d’autres voix se font entendre, Ameth Fall "Baraya" du Pds, Me Abatalib Guèye, … un jeu ouvert car aucun candidat ne fait l’unanimité. Au jeu de dupes des politiques, un virement citoyen est possible au soir du 29 juin. La ville tricentenaire veut reprendre son avenir en mains.
La guerre des maires
Ont-ils été trop pressés dans le choix des candidats? Ou sont-ils victimes de la boulimie du pouvoir ? A Benno, l’éthique politique a quitté les rangs. Alliés en 2009, puis en 2012, ils partent en ordre dispersé aux Locales du 29 juin. A Saint Louis, Cheikh Bamba Dièye, maire sortant de Benno Siggil Sénégal et actuel ministre de la Communication, fait face à deux membres de l’Apr : Mansour Faye, délégué général à la Solidarité nationale et candidat de BBY et Alioune Badara Cissé.
Ils sont en train de reproduire les germes de la défaite du Pds en 2009. Une divergence libérale avait facilité la prise de la ville par Bss face à feu Ousmane Masseck Ndiaye. Combattu par ses camarades de parti dont Ameth Fall Baraya, il perdit la ville. En 2014, l’histoire se répète à BBY.
A Benno, le divorce est consommé. Au Pds, c’est les grandes retrouvailles, et la société civile joue son coup de poker. Cheikh Bamba Dièye, Mansour Faye, Ahmeth Fall Baraya, Me Abatalib Guèye, Cheikh Gaye, Abdou Kader Ndiaye, Pr Iyane Sow… Qui sera le Maire de Saint-Louis ? Le jeu est ouvert, chacun a des chances.
Faites vos jeux : Bamba Dièye, un bilan mitigé
En bourse, il n’est pas très côté. Ses chances de rempiler sont très minces. Le maire sortant de Saint-Louis, Mamadou Abiboulaye Dièye est dans une situation inconfortable. Vomi par une bonne partie de ses alliés de 2009, Apr, Ld, Ps et Afp avec qui il composait le Benno Siggil Sénégal. C’est que le maire a fait une gestion solitaire.
Il a largué ses alliés en cours de mandat, Aida Mbaye, ABC, aujourd’hui la roue a tourné en sa défaveur. Il fait face à son camp. Il peut juste mettre sur la table son bilan. Il peut jouer sur le fait que Mansour Faye et ses alliés sont aussi comptables de ses actions.
Ses actions manquent de visibilité. Ses bons points proviennent de la coopération internationale. Il a soldé les comptes et les dettes de Masseck Ndiaye, mais il a aussi bénéficié de ses résultats. Bus scolaire, un bus affrété à la Linguère de Saint-Louis, une ambulance …il a requalifié le centre d’enfouissement technique. Son projet de logements sociaux avec Onu-Habitat manque de visibilité et est entaché de gestion partisane. Ses points engrangés souffrent de lisibilité et de visibilité.
Bamba Dièye, pourra-t-il résister à l’assaut de l’Apr ? Le Pit, son allié reste d’un faible apport. Mais le rhétoricien peut compter sur sa maitrise de l‘art de convaincre et son discours séducteur.
Mais ses paroles mielleuses ne sont pas traduites en actions. La ville est sale et sombre, le centre d’enfouissement technique est en délabrement. On lui reproche de faire un recrutement partisan. Et d’avoir déclaré sa candidature sans consulter ses alliés.
Et l’on peut comprendre aisément le fait que ses compagnons de 2009 l’aient sanctionné à l’heure du choix d’un candidat. Normal qu’Abdoulaye Ndiaye, directeur de cabinet du maire sortant boude. Il dit : "C’est pour éviter le ridicule, car aucun argument n’a été servi pour que la candidature de Bamba Dièye ne soit pas acceptée".
Autre faiblesse de Bamba Dièye, il a noté des démissions dans son propre parti. Son plan de développement touristique estimé à plus de 20 milliards de Cfa qui lui permettrait de régler définitivement la gestion des déchets, la requalification du centre d’enfouissement technique et l’aménagement des berges, la construction du palais de congrès etc. a été freiné. D’aucun disent que la réalisation n’arrangerait pas les plans du " candidat de l’Etat ".
Mansour Faye, les inconvénients de ses avantages
Quel discours pour ce co-gestionnaire de la mairie depuis 2009? Assumera, assumera pas le bilan 2009 ? L’Apr avait le poste de premier adjoint jusqu’en 2012 quand démissionna Alioune Badara Cissé. Mais, depuis qu’ils sont à la tête de l’exécutif, les rôles ont changé. La force a changé de camp. Déjà en décembre, la bataille des ordures avait annoncé un avant-goût de cette bataille pour la Mairie.
L’Apr à Saint Louis a une force virtuelle. Et ses actuels alliés sur la route des Locales ne sont très représentatifs. Aida Mbaye de la LD, c’est quelques personnes. Le Ps est divisé, et c’est la branche minoritaire qui a validé la carte Mansour Faye.
Mansour Faye est devenu incontournable sur la scène politique locale. Sa proximité avec le Président Macky Sall est source d’avantages, mais aussi d’inconvénients. Les saints louisiens pensent qu’on veut le leur imposer. "C’est le candidat du parti", pensent-ils. Un mauvais procès pour ces partisans.
Mansour Faye a occupé le terrain quand Alioune Badara Cissé faisait sa politique de "haut niveau". Sur le terrain depuis 2004 avec son mouvement Waxu Diappalé Aboulaye Wade. En 2008, il prend la gestion de l’Apr par la base. Mais depuis la seconde alternance, il souffre du mal Karim Wade. Le socialiste Abdoul Mabaye confirme : "C’est un homme crédible. Mais, il a les inconvénients de ses avantages."
Il souffle un climat malsain dans la maison marron. Il y a la division au sommet. Face à Mansour Faye se dresse Alioune Badara Cissé, ancien numéro 2 de l’Apr. Dans l’ironie, il lance un pique à son frère. "Je lui souhaite bon vent. Etre dans le vent, c’est le destin des feuilles mortes".
On reproche au délégué à la solidarité, son inaccessibilité. "Il est difficile à joindre", confie un président de zone, frustré de voir ses appels envoyés à la boite vocale. L’autre faiblesse de l’Apr, c’est les camps. Les Pro Alioune Badara Cissé ne portent pas dans leur cœur Mansour Faye. Il est reproché à la députée Aminata Guèye de participer à la démobilisation du parti à Saint-Louis.
Dans ce climat d’incertitudes, Alioune Diop, directeur de l’Onas peut être d’un grand apport. Le Directeur général est sommé par cette parole présidentielle demandant à gagner leur localité. L’homme est présent sur le terrain et est crédité d’une bonne base. Seulement, tout se jouera à la confection des listes. Mansour Faye risque de faire face à un vote sanction si il promeut les militants dits de la vingt-cinquième heure.
Atout Awa Ndiaye ? A l’Apr, on croit dur comme fer que la venue d’Awa Ndiaye est un plus. L’ancienne ministre de la Femme va apporter un souffle nouveau. Elle a des inconditionnels dans le Sor (quartier de Saint-louis). A Djollofène, elle y règne en maîtresse. Mais des acteurs signalent qu’ "elle est discréditée depuis longtemps. Elle incarne le bilan d’Abdoulaye Wade. Elle était forte parce qu’elle avait des ressources". La vérité sortira des urnes.
Alioune Badara Cissé, l’électron libre
Il était presque enterré dans cette bataille de Ndar. Mais l’adjoint de Dièye jusqu’à la vieille des élections de mars 2012, s’est rappelé au bon souvenir de ses adversaires. Dans Ndar-info, il pose sa candidature. Il dit :
"Je souhaite que le suffrage des Saint-Louisiens se porte sur ma candidature, mais que certains candidats puissent à un moment déterminé, se rendent compte qu’il en est un autre porteur davantage d’espoirs. On a encore beaucoup de temps, il ne sert à rien de courir. Il faut juste savoir partir à point". Dans la même lignée, il diverse avec Benno.
"Benno par ses représentants locaux a fait son choix, mais les élections locales interpellent beaucoup plus les Saint-Louisiens et les Saint-louisiennes que les quelques rares partis politiques qui font de l’agitation de temps à autre. Je ne parlerais pas des soubresauts de Benno à l’échelle nationale".
Mais que vaut ABC à Saint-Louis ? Les urnes le diront. En tout cas, il lui est reproché de faire de la politique de haut niveau, pas très représentatif à la base. Son fief, Nguet Ndar voie de la langue de barbarie, a déjà trois candidats : Bamba Dièye et Ameth Fall Baraya et lui. Des trois, c’est Baraya qui part favori sur cette bande de terre.
N’empêche, l’ex-premier adjoint du maire avait beaucoup pesé sur la victoire de Bennoo Siggil Sénégaal (Bss). Et c’est parce qu’on lui avait tordu le bras que le fauteuil municipal avait échoué à Bamba Dièye.
Dans cette bataille de BBY, le Ps va jouer à l’arbitre. Abdoul Mbaye, le coordonnateur du Parti socialiste à Saint Louis, va jouer les faiseurs de Maire. En pause depuis quelques mois, il sort de sa tanière. Le plus représentatif des Verts n’a pas encore choisi son camp.
"Nous sommes en discussion à propos des coalitions. Nous étudions présentement les options. On effectue les derniers réglages". Il donne rendez-vous à la mi-avril. Et il assume ce qui a été fait. "Nous assumerons notre part dans ce qui a été fait." Toutefois, le socialiste n’écarte pas une probable candidature. Ce serait la troisième voie de Benno.
Ameth Fall Baraya, le jocker
C’est l’homme à craindre. Au rythme où vont les déclarations de candidature, Ameth Fall est le grand favori des Locales à Saint-Louis. La guerre de Benno Bokk Yakarr est un de ses atouts de taille. Idem de l’union retrouvée des libéraux. Au Pds, la défaite de mars 2012 a amené la sérénité. Tous se sont regroupés derrière Braya pour reprendre la mairie.
Même ses plus farouches adversaires, les amis d’Ousmane Masseck Ndiaye, Thiamba Seck, Mouhamed Lamine Sylla. Présent sur le terrain, il promet et vend les actions du pouvoir libéral. Le coordonnateur du Pds à Saint-Louis est le plus présent sur le terrain. En campagne et en confiance, il affiche sa force. Sa mobilisation fait peur. Quand l’Apr et ses alliés peinent à remplir la place Abdoulaye Wade, lui il la fait déborder de monde. Tous les libéraux sont avec lui,
Son fief, Guet Ndar, est l’un des plus grands centres de la ville. La langue de barbarie est acquise à sa cause, il lui reste à conquérir le Tendjiguène. Et avec la défection d’Awa Ndiaye, ses chances s’amoindrissent.
L’autre handicap de Baraya, c’est la résistance de certains amis de Masseck qui lui en veulent encore. ‘’Tous sauf Braya’’ est même agité par certains. Sur le plan du développement, c’est un inconnu du milieu.
La troisième tentative sera-t-elle la bonne ? Par deux fois défait aux municipales, le coordonnateur du Pds croit, cette fois, en sa bonne étoile. L’environnement le rend confiant. Il décline ses certitudes : "Nous n’avons aucun doute quant à notre victoire à Saint-Louis où le PDS évolue sans adversaires crédibles". De plus, il s’appuie, dit-il, sur "un programme de développement solide, crédible et porteur pour la ville".
Cheikh Gaye, le "Model" en veut
Coordonnateur du Model et secrétaire général de la Sicap, Cheikh Gaye tisse sa toile pour l’écharpe de la maire. Il s’appuie sur quelques dinosaures tel Youssou Diallo, conseiller technique au ministère du Commerce. L’ex-libéral, directeur technique de l’ex-Premier ministre, Souleymane Ndéné Ndiaye.
Autre allié, Abdel Kader Fall, directeur des patrimoines. L’homme est un défenseur d’un maire non résident. Il confie : "La présence du maire n’a pas d’impact réel par rapport à la vie du conseil municipal (…). Un maire résident est un handicap pour le développement d’une localité. Le maire résident ne peut pas tout régler. Il faut des ressources et des financements innovants".
Me Abatalib Guèye, l’héritier de Masseck Ndiaye
Il vit le quotidien des Saint-Louisiens mais manque de maillage territorial. L’ancien président de la Linguère de Saint-Louis peut compter sur ses amis sportifs, ses sympathisants. Député de la coalition Bokk Guiss Guiss lors des législatives 2012, Me Guèye veut augmenter ses sièges à la mairie. En 2009, il avait gagné deux conseillers. Me Guèye, défenseur invétéré de la cause saint-louisienne, plaide pour un maire-résident. Son ambition est de matérialiser les grands projets du défunt maire, Ousmane Masseck Ndiaye.
La société civile attaque
Si en 54 ans, les politiques n’ont pu renforcer et exploiter les atouts de la ville, l’heure est venue de tirer profit des opportunités. Alors, la société civile s’engage.
Abdel Kader Ndiaye, "Andadoo Defar Ndar", messie de la société civile
Il est en campagne depuis belle lurette. Il va effectuer sa rentrée le 19 avril pour prouver sa force. Cet acteur du développement est très introduit à Pikine, au Nord et à Sud, ainsi qu’à Diamaguène. Le mouvement citoyen mène une farouche campagne de massification.
Pr Lyane Sow, un toubib pour soigner la ville
Fer de lance de la société civile. Pr Iyane Sow, président de la commission santé est aussi en course pour la ville. C’est l’icône de la réaction citoyenne. Ces voix qui veulent renverser la tendance.
Coalition Teranga, Servir et non se servir,
Elle se décrit comme "un modèle d’engagement qui se veut désormais conscience, sentinelle pour la résurgence des valeurs de justice, d’équité, de démocratie participative et de bonne gouvernance. "Servir et non être servi, encore moins se servir".
Elle plaide pour "une mobilisation de tous les citoyens pour une réelle option populaire salutaire, pour une redistribution équitable de nos ressources et une meilleure gouvernance des administrés pour donner véritablement une voix plus audible partagée par le plus grand nombre."
Voix des sans voix, CT veut "prendre rendez-vous avec l’histoire pour que Saint-Louis soit le baromètre de la représentativité de cette société civile silencieuse, mais tout aussi impliquée dans le débat politique et citoyen pour y participer en toute indépendance et avec le même poids que le politique".
Cheikh Tidiane Sy, Ousmane Ngom, Madické Niang, Maimouna Sourang Ndir
Perdus de vue
Tout puissant ministre d’Etat sous Wade. Cheikh Tidiane Sy, ministre de la Justice ; Ousmane Ngom, ex-ministre de l’Intérieur ; et Madické Niang, ministre des Affaires étrangères, sont introuvables et muets sur la route des Locales. Jadis très présents sur le terrain, ils ont déserté la ville depuis la chute de mars 2012.
Maimouna Sourang Ndir est aphone. Si Madické Niang avait déjà transféré à Touba en 2007, il a été rejoint par Cheikh Tidiane Sy. Il a signé un transfert pour Dakar. Le cas Ousmane Ngom reste un énigme. A moins que la traque des biens mal acquis l’ait condamné à la réclusion. En tout cas, les locales vont sonner la recomposition de la classe politique saint-louisienne. Le 29 juin débute le renouveau politique.