L’ÉCLAT ET LES DÉGÂTS
Qu’importe ce qui pourrait arriver en novembre, contre l’Egypte et le Botswana. Si le Sénégal ne se qualifie pas à la Can, c’est à Monastir qu’il faudra chercher l’origine du désastre. Nulle part ailleurs.
Ce match qu’on devait plier en quatre comme un drap propre, s’étale aujourd’hui comme du linge souillé. Les couleurs que lui ont donné les "Lions", par leurs moments de belle prestation, ne peuvent cacher les taches qui le maculent. S’ils ont tant dominé et donné de l’éclat à cette rencontre, c’est avec un drapeau en berne qu’ils ont quitté la Tunisie. La sanction fatale est là.
Le linge sali de Monastir, il faut bien le laver pour savoir quels nouveaux habits arborer dans un mois au Caire, quand il faudra faire face au défi de cette victoire indispensable à la qualification à la Can. A défaut, on entre dans le domaine des "si". Or c’est quand on cherche à "mettre Paris dans une bouteille" qu’on finit par se casser la tête et autre chose avec.
Encore une fois, le foot c’est la manière, mais surtout le résultat. Le sublime est dans l’alliage des deux, mais ce qui fonde la vérité historique brille sur le tableau d’affichage. Ainsi, l’éclat qui a fasciné pendant 92 minutes à Monastir, il a suffi de 2 minutes pour le noyer dans des dégâts dont les effets risquent d’être désastreux demain.
C’est vrai… Pendant cinq ans, l’équipe d’Espagne et le Fc Barcelone ont porté le football à sa plus belle expression, à travers une fusion de l’utile et de l’agréable. Posséder le ballon était l’arme la plus décisive dans la quête de la victoire. Cela a donné lieu à des instants merveilleux où le ballon dansait avec les étoiles. Et cela dura jusqu’à ce qu’une vérité ressorte des catacombes et que le passé rattrape ce qui préfigurait le football du nouveau millénaire. Une simple vérité qui rappelle que dominer n’est pas gagner.
Rappelez-vous ce jour d’avril 2012, en demi-finales de Ligue des champions. Contre Chelsea, Messi, Iniesta, Xavi et compagnie avaient aligné 814 passes contre 209 aux "Blues". Barre, poteau et petit filet avaient porté la marque catalane. Mais les 79 % de possession de balle des Espagnols se sont envolés sur une seule occasion de Drogba.
Dominer n’est pas gagner. Guardiola constatait alors : "La règle numéro un, c’est de marquer, et on n’a pas su le faire. Ceux qui gagnent ont raison." Depuis lors, ce génie de la construction est allé voir ce que la rigueur allemande peut apporter de plus à son élégance d’esprit.
Monastir rappelle encore une fois que ce n’est pas par la possession de balle qu’on tient un match. C’est par la distance qu’on met entre l’adversaire et soi, grâce à ce but d’écart qui fait la différence.
On s’est senti floué par le résultat, après avoir entendu les "Lions" et leur encadrement quitter Dakar avec le slogan de la victoire à la bouche. Tous faisant de ce résultat une quête absolue. La frilosité l’a emporté sur leur générosité.
On ne s’y trompe guère. L’état d’esprit d’une équipe reflète celui de son banc de touche. A moins de disposer sur le terrain de porteurs de responsabilités qui ont le talent et l’audace de sortir des carcans préétablis, quand l’opportunité s’offre ou que les nécessités l’exigent.
Giresse a mal fait jouer les "Lions" (pas dans l’expression mais dans le résultat), pour avoir imaginé une Tunisie technique et athlétique qui n’existait pas. Du moins ne l’a-t-on pas vue. Son 4-3-2-1 n’était pas fait pour mener des conquêtes, mais pour gérer des acquis. Pas étonnant avec une équipe où il n’y avait que des joueurs de devoir, à l’exception d’un soliste (Sadio Mané). Une équipe dont la possession de balle était souvent trop basse, le jeu trop latéral ou trop lent pour créer le déclic fatal. Finalement, on a tenu le ballon sans pouvoir en sortir l’essentiel.
Le sentiment qui se dégage de ce match demeure qu’on est parti pour jouer le nul, en prétendant le contraire. Une telle approche n’exclut pas les coups de chance victorieux (de malchance aussi, comme on l’a vu). Mais si cela s’était dit, d’aucuns auraient pu avertir que l’attentisme n’est pas dans les gênes du footballeur sénégalais. D’autres auraient rappelé que les cinq dernières minutes d’un match indécis sont souvent fatales au football sénégalais. Car on est dans un pays où quand le public commence à quitter les gradins 15 minutes avant la fin du match, l’esprit des joueurs les accompagne souvent vers la sortie.
Répéter le match de Monastir au Caire serait suicidaire. Bien sûr qu’on ne va pas à l’assaut des pyramides flamberge au vent. Mais il y a assez de talents et d’équilibre dans cette équipe nationale pour chercher la victoire par la défense. Défendre pour gagner. Quand on a une équipe qui a une telle capacité de tenir le ballon, on ne la castre pas. On la laisse exprimer la vigueur qui bout en elle. On a connu Alain Giresse évoluant dans une équipe de France trop généreuse pour s’étonner de voir ses "Lions" se montrer aussi limités dans leurs envies.
Ce qui fait mal dans cette défaite de Monastir, c’est l’esprit gagne-petit dans lequel les "Lions" ont été enfermés. Manifestement, on se satisfaisait des 8 pt qu’aurait rapporté un nul, alors que la victoire assurait quasiment la qualification pour Maroc-2015.
L’idée selon laquelle l’issue d’un tournoi se juge à la fin n’est pas une raison suffisante pour jouer sur le temps et différer l’immédiatement possible. Dans une compétition, on ne thésaurise pas le capital dont on dispose, on le valorise au mieux à chaque offre sur le marché.
La meilleure option pour les "Lions" était de se rendre au Caire sans avoir un défi aussi vital à relever que de ne pas perdre. C’est un défi infernal. Une affaire de tête, de tripes et de talent. Il faudra faire preuve d’intelligence, de courage et d’envie. Pour laisser le talent faire le reste.