MAUVAISE TRADITION
Les tournées économiques sont des artifices politiques, des ersatz de démocratie en phase de maturité. Une arme de dopage et de remise en confiance pour un régime en proie au doute
Dans le contexte sénégalais, ce serait un mauvais procès fait au président de la République d’avoir organisé sa tournée économique en région naturelle de Casamance. Tous les chefs de l’État qui se sont succédé à la tête du Sénégal en ont usé et abusé. Ces parcours par monts et vaux dans le Sénégal des profondeurs, ne sont en réalité qu’une campagne électorale anticipée. Ils servent à remobiliser les militants, démobiliser les adversaires et attirer leurs partisans vers ses propres prairies. Léopold Senghor et Abdou Diouf les tenaient généralement à un an d’élections présidentielles, pour les mêmes motivations. L’histoire se répète au grand dam des ruptures promises au lendemain du 22 mars 2012.
Pour Senghor, Diouf, Wade, et maintenant Sall, ces visites ne sont qu’une manière pour eux de réduire le temps de parcours lors des campagnes électorales à venir. Une belle opportunité pour faire des promesses et consolider les bases, calmer les frustrations des chefs religieux, coutumiers et traditionnels. Notamment dans les zones les plus critiques où pour une raison ou une autre l’électorat du parti au pouvoir, s’érode, où les votes-sanctions sont potentiels. Où, encore les bastions de l’opposition sont solidement ancrés.
La région naturelle de Casamance a toujours été énigmatique, électoralement parlant. Tantôt, bastion de l’opposition comme dans les années 80, l’âge d’or du PDS. Tantôt, acquis au pouvoir en place dans les années 90, avant l’alternance. Elle a en réalité joué un rôle décisif dans la victoire de Me Wade en 2000. Et ce, en dépit des liaisons dangereuses que le secrétaire général du PDS, entretenait avec Krumah Sané, l’abbé Diamacoune Senghor et les autres têtes de file du MFDC.
Aujourd’hui, les régions du Sud sont partagées entre le pouvoir et l’opposition. Ziguinchor est acquis au CDS d’Abdoulaye Baldé, alors que Sédhiou et Kolda restent à la Majorité dans sa diversité. Avec, il est vrai, une présence non négligeable des cédistes. L’APR n’y doit sa prédominance qu’avec l’appui des alliés de Benno Bokk Yaakaar.
Or les Apéristes et leur Président, en tête, n’y cherchent ni plus ni moins qu’une forte implantation, qui les mettrait à l’abri d’un éventuel chantage des alliés de Benno. Cette recherche effrénée d’ancrage et de retournement de l’électorat dans la région naturelle de Casamance est la principale motivation de cette tournée économique.
Depuis les dernières élections municipales et départementales, l’APR qui a perdu beaucoup de grandes villes, vit une sorte de psychose de la défaite. Elle voit se confirmer les symptômes de 2009 qui se sont traduits trois ans plus tard par la cuisante défaite de Wade.
Cette même logique avait du reste conduit Macky dans la région Nord, où seul Matam reste une base solide de l’APR. À Podor, malgré toutes les combines politiciennes menées par Ousmane Tanor Dieng pour la réduire, Mme Aïssata Tall Sall, a fini par conserver de justesse sa commune, et prépare un destin plus national.
À Saint-Louis, l’APR ne jouit que d’une majorité très relative, dans l’acquisition de laquelle, le coup de pouce politique du pouvoir n’y est pas étranger.
La tournée politico-économique doublée d’un conseil interministériel, qui voit tomber une pluie de milliards de promesses, explique donc la frénésie présidentielle. Une belle occasion de positionnement médiatique, puisque tous les médias publient ou diffusent en boucle les éléments de la randonnée, à temps réel. La mention particulière à la RTS, qui semble oublier un moment que cette actualité provoquée ne produit que de la propagande sans promesses de gain politique. La diversité de l’offre télévisuelle, permet de zapper et d’aller voir ailleurs, d’autres programmes.
Il n’empêche que le Président Mack Sall peut bien espérer capitaliser sa tournée au cours de laquelle, des mesures de portée économique importante ont été annoncées. Et le sentiment que la région naturelle de Casamance sort de son isolement économique est prégnant.
Les conséquences pour la paix sont moins évidentes. Le MDFC et le pouvoir semblent se contenter d’une accalmie réelle et mais le feu couve sous la cendre. L’émissaire américain qui facilitait le dialogue entre les deux parties vient de rendre le tablier, faute de constater des avancées réelles dans les négociations de paix.
Pendant ce temps des réfugiés se comptent encore par milliers en Gambie et Guinée Bissau. Et des pans entiers de la région sont devenus des zones de non-droit, sans administration, ni école, ni structure de santé. Seule y sévit une économie de guerre, de trafic d’armes et de drogue au profit du MFDC.
Pendant que le Président inaugure des projets dans les centres urbains, des villages entiers sont isolés du reste du Sénégal et leurs populations soumises aux pires aléas. Mais ces gens-là, on ne les verra pas à la télévision. Que ces projets fussent proposés par Wade n’enlève rien au mérite du Président actuel qui les a réalisés. Encore que dans ses discours, il aurait dû rendre hommage à son prédécesseur qui a eu le mérite de les avoir conçus.
Peu importe si Wade n’en avait pas fait autant quand, durant les années 2000, il inaugurait des projets que Diouf avait initiés. Et que lui-même avait eu le mérite de les sortir de terre. Mais les relations entre les deux présidents sont tellement tendues et, à la limite, anecdotiques qu’un devoir de reconnaissance est devenu impensable des deux côtés. C’est presque de la schizophrénie au regard des regrettables injures de Wade contre son ex-dauphin.
Ceci, il faut tout de même comprendre que les tournées économiques sont des artifices politiques, des ersatz de démocratie en phase de maturité. Une arme de dopage et de remise en confiance pour un régime en proie au doute, de Senghor à nos jours.
On aurait pu se limiter à une moue dédaigneuse, si elles ne coûtaient pas des fortunes. L’argent dilapidé, les moyens mobilisés, les promesses en trompe-l’œil, les débauchages d’adversaires politiques et autres formes de corruptions des grands électeurs, ont des conséquences très lourdes pour notre économie et notre image démocratique.
Dans aucune démocratie majeure, de telles pratiques ne sont légion. Il est dommage que nombre de partis aujourd’hui logés dans la galaxie de Benno Bokk Yaakaar, ne s’offusquent plus de cette dérive, qu’ils n’avaient eu de cesse de dénoncer lors des régimes précédents. Autres temps, autres mœurs !