PAS UN JOUR SANS JOURNÉE…
Si nos agendas pouvaient parler, ils crieraient STOP ! Stop à l’invasion des journées mondiales, à la prolifération des années internationales, au diktat des fêtes planétaires, à la toute-puissance des commémorations universelles.
Dans le calendrier grégorien, on ne fête plus les Saints, on célèbre des événements beaucoup plus profanes. Question d’époque, sans doute. C’est en effet l’occasion, un jour sur les 365 que compte le calendrier, de faire le point sur l’état de l’art de quelque chose dans le monde, ou encore commémorer un événement que l’Histoire avec un grand "H" est censée retenir face à l’omniprésence des faits divers et autres non événements qui rythment nos années de leur présence diffuse. Bref, une journée qui fait appel à des budgets de communication colossaux afin de s’assurer de ne pas oublier l’événement et le fêter dignement… pour mieux ne pas y penser les 364 autres jours…
Inflation commémorative
En un siècle, la progression de ces manifestations qui jalonnent et rythment nos années a été exponentielle. Certes, nombre d’entre elles jouissent d’une légitimité sans conteste. Celles par exemple décrétées ou avalisées par l’ONU ou ses organisations satellites (UNESCO, OMS, UNICEF…c’est à dire pas moins de 90 par an !) mais en la matière, il n’existe aucune règle et surtout … aucun interdit. N’importe quel bukki peut se lever un matin et décréter la journée internationale de Ndumbelaan : tout ce que ça demande, c’est du culot et … un budget. Plus sérieusement, pour s’assurer d’un minimum de succès médiatique, il faut avoir un thème porteur, jouir d’une certaine légitimité institutionnelle (ONG, association, syndicat professionnel, courant religieux etc.) et… des finances à l’avenant, suffisamment en tout cas pour traverser les frontières et les mers !
Si le but de la manœuvre est bien sûr d’attirer l'attention sur des enjeux internationaux majeurs, au finish, nous devons bien admettre qu’on y trouve tout et n'importe quoi : de la journée mondiale des zones humides à celle de la gentillesse en passant par celles de l’autisme, de la langue maternelle, des serviettes, de la biodiversité et de la blague (si, si !). Bref, les thèmes les plus sérieux côtoient les plus loufoques. Résultat : les journées mondiales de quelque chose se succèdent toute l’année et deviennent plus absurdes les unes que les autres. Le pire est encore le 21 mars où la journée du sommeil, celle de la trisomie 21, celle de la poésie, et celle de l'élimination des discriminations raciales se livrent à un combat sans merci. Dans cette foison de journées en une même journée, chacun peut y faire son marché. Quatre pour le prix d’un, qui dit mieux ?
Pas de directives officielles
Le problème avec les thèmes porteurs… c’est qu’ils peuvent être portés pour tout le monde. Ainsi, pas de calendrier officiel, pas de maître d’orchestre supranational pour mettre en musique cet ensemble cacophonique…euh, je voulais dire symphonique, où chacun y va de son tam-tam pour attirer l’attention des pauvres citoyens du monde que nous sommes et dont les sens sont sur-sollicités… à longueur d’année. On arrive au bout de l’année complètement saturés, sans avoir retenu grand-chose et surtout ni le sens et ni l’essence de ces fameuses commémorations dont les stratégies de communication internationale se déploient à grands frais. C’est bien connu, trop d’info tue l’info…
Marketing quand tu nous tiens…
A ces journées internationales s’ajoutent les innombrables journées nationales qui se superposent parfois aux autres et ne sont, par définition, rarement les mêmes, ni du point de vue des thèmes, ni du point de vue des dates, d’un pays à l’autre. Sans compter toutes les autres fêtes : fête des pères, fête des mères, fête des grand-mères, fête des secrétaires, fête des dignitaires, fêtes des grabataires… et j’exagère à peine ! Des fêtes qui, ne vous y méprenez pas, sont censées au passage faire sonner le tiroir-caisse des commerçants.
Bref, il faudrait juste inventer maintenant… la journée mondiale sans journée mondiale. Pour être sûrs d’avoir un espace dans le calendrier qui respirerait un peu, une journée pour se reposer des célébrations, des commémorations, des jubilés, des anniversaires en tout genre. Une journée pour reposer nos oreilles, nos neurones et notre porte-monnaie. Une journée où les media pourront relayer l’actu chaude, la vraie info, la dépêche qui tombe sur la table du présentateur en plein 20H. Enfin, une journée sans journée mondiale… s’il reste encore un jour disponible au calendrier.
En conséquence, en vertu du pouvoir discrétionnaire (qui ne nous est pas conféré), nous décrétons l’année qui vient "année mondiale sans journée mondiale" !