POSTURE ET IMPOSTURE
MOUVEMENT ‘’AND-SAXAL LIGUËY’’ D’AÏDA MBODJ
Le 19 février 2014, lors de la réunion du Comité directeur du Pds, Aïda Mbodj s’est exprimée dans un langage sibyllin qui laissait entrevoir une démarcation par rapport au fondateur du Pds : «Me Abdoulaye Wade ne m’appelle plus au téléphone. Il préfère appeler des gens qui créent des courants ou des mouvements. Cela peut signifier que ces courants et mouvements ne déplaisent pas à Wade.» En filigrane, ces propos étaient annonciateurs, justificatifs, de surcroît, de son bébé politique qui était en phase embryonnaire.
Après la chute d’Abdoulaye Wade au soir du 25 mars 2012, au sein de la formation libérale, beaucoup d’apparatchiks, qui n’ont pas exprimé ouvertement leur désaccord sur le choix d’Oumar Sarr, désigné coordonnateur par leur secrétaire général national, l’ont fait savoir par la création de partis, de mouvements et de courants.
Après Abdoulaye Baldé, Aliou Sow, Sitor Ndour, Aminata Lô, Pape Diop, Thierno Lô, Abdou Fall, Serigne Mbacké Ndiaye, Kalidou Diallo, Abdoulaye Babou, Habib Sy, Bara Gaye (en instance), c’est au tour d’Aïda Mbodj de porter sur les fonts baptismaux son mouvement Alliance nationale pour la démocratie «And-Saxal Liguëy».
L’encore-maire de Bambey déclare avoir résolument plongé dans la mare des mouvements après avoir reçu la bénédiction de son mentor Abdoulaye Wade, le soutien de ses amis et les encouragements de ses marabouts. Ce qui veut donc dire qu’Abdoulaye Wade recommencera à l’appeler comme il en fait avec les chefs de file des courants et autres mouvements.
Mais un tel discours nous rappelle ses propos d’antan quand elle voulait quitter le Parti socialiste (Ps) en 2003 pour transhumer au Pds. A l’époque, elle disait que sa transhumance au Pds était fondée sur les recommandations de son marabout qui l’avait exhorté à soutenir l’alors nouveau président Abdoulaye Wade avec qui elle partage la confrérie mouride.
Mais la réalité était autre pour beaucoup d’habitants de Bambey et observateurs politiques. Certains de ses partisans étant mêlés au meurtre abominable du jeune Djibril Thiam dit Mbakha, habitant à Gade (village à deux kilomètres de Bambey), le 14 mai 1998, lors d’un meeting du Parti socialiste à Bambey, elle aurait préféré tourner casaque pour se mettre à l’abri de toute poursuite judiciaire.
D’ailleurs d’autres socialistes comme Salif Bâ, Landing Sané, Abdou Rahim Agne, Sada Ndiaye, Adama Sall, Mame Birame Diouf, Mbaye Diouf et feu Abdoulaye Diack, trempés dans des affaires de détournement de deniers publics, avaient adopté la même attitude transhumante, soit pour ne pas goûter à la chaleur carcérale, soit pour abréger leur séjour en prison.
Si Aïda Mbodj a multiplié les déclarations incendiaires et diatribes à l’endroit des nouvelles autorités depuis l’avènement de la deuxième alternance, certains y voyaient une stratégie ou un stratagème pour transhumer dans les prairies marron-beige. C’était un secret de Polichinelle, nonobstant le ton acerbe utilisé en public, que de dire que les tentatives de transhumance de l’ancienne ministre libérale à l’Apr n’ont pas manqué.
Mais à l’Apr, on oppose toujours une fin de non-recevoir farouche puisqu’une transhumance du maire de Bambey désagrégerait le parti de Macky Sall dont le leadership local est assuré par son frangin Pape Abdou Khadre Mbodj avec qui elle entretenait des relations empreintes d’hostilité. Mais aujourd’hui, face à la montée en puissance du député apériste et par ailleurs Rapporteur général de la commission de l’économie générale, des finances, du plan et de la coopération économique, Aïda Mbodj a ramolli ses positions d’abord en fumant le calumet de la paix contre son frère, ensuite en déclarant qu’elle ne serait plus candidate à la mairie de Bambey.
Sachant que le Pds ira à l’assaut de la mairie de Bambey, elle a décidé de changer de stratégie en mettant sur pied «And-Saxal Liguëy» pour avoir davantage les coudées et s’affranchir d’une quelconque directive de son parti qui pourrait s’allier avec d’autres forces de l’opposition pour contrecarrer les ambitions locales son frère.
D’ailleurs, il se susurre qu’elle apportera, lors des locales, son soutien politique à son frangin au détriment du Pds qu’elle a presque quitté même si elle prétend qu’elle veut la réorganiser pour continuer la résistance de l’opposition contre le régime actuel qu’elle a flétri sans aménités lors du lancement de son mouvement politique au Grand Théâtre.
«Nous allons mener le combat pour la prise en charge de vos préoccupations, a-t-elle martelé. Il y a une crise évidente que le pouvoir continue à nier. Le chômage des jeunes et la pauvreté galopante se conjuguent au féminin. Doit-on laisser ce pays à Macky Sall pour qu’il fasse ce qu’il veut ? En milieu rural, l’agriculture est morte. Nous sommes restés deux ans sans rien faire. Ces gars ‘dou gnu dém.»
Si réellement le pouvoir actuel est resté atone pendant deux ans, où doit-on ranger ses propos complimenteurs tenus quelques mois auparavant dans le journal Libération : «J’ai appartenu à un gouvernement en tant que ministre d’Etat et dans le programme de lutte contre les inondations qu’avait ce gouvernement, Bambey n’en a jamais bénéficié. Aujourd’hui que le nouveau gouvernement, auquel je n’appartiens pas, pense à éradiquer les inondations au niveau de Bambey, je ne peux que le remercier et exprimer ma reconnaissance à l’endroit de l’Etat du Sénégal que dirige Macky Sall.»
Donc si Macky a fait mieux que Wade concernant l’éradication des inondations, pourquoi remettre en cause ses propres allégations ?
En sus, si l’objectif de son mouvement est de raviver la flamme de l’opposition léthargique dont la tête de file est le Pds, pourquoi ne pas œuvrer pour la réunification du Pds en lambeaux avec ses alliés «And takhawu askanwi» ?
Aïda Mbodj sait fortement que le Pds, sans son âme, son fondateur, Abdoulaye Wade, devient une simple coquille vide. Et y rester au moment où les rats quittent le navire devient follement suicidaire. Alors la trouvaille, c’est de créer un mouvement s’appuyant sur les reliques du Pds, mais qui puisse s’affranchir de la nomenklatura libérale.
Avec une telle posture-imposture, elle aura toutes les coudées franches pour négocier en toute sérénité avec Macky Sall des intérêts crypto-personnels ou positionner ses proches.
Si son combat est de vouloir prendre les préoccupations des populations et préparer le retour du Pds en 2017, pourquoi l’actuel maire de Bambey fuit-elle ses responsabilités à briguer un second mandat local à Bambey ?
Au moment où les élections locales se confirment de plus en plus, il est nécessaire de resserrer les rangs et éviter la dispersion et l’éparpillement des forces. L’enjeu politique pour le Pds doit rester la préservation et la conquête de plusieurs municipalités surtout des grandes villes. C’est la clé d’une possible victoire du Pds en 2017.
Mais cette posture-imposture sans motivation victorieuse d’Aïda Mbodj semble être décodée par son frère de parti Babacar Gaye dans une interview accordée au site Senpolitic : «Très franchement, la création de mouvements politiques par des responsables, qui continuent de se réclamer du PDS, pose de sérieux problèmes au bon fonctionnement du parti et à l’efficacité de notre action. Ce désordre engendre la cacophonie et la suspicion… Ces mouvements ne constituent ni plus ni moins que des voies de contournement pour la transhumance.»
Et comme Léon Gambetta définissait la politique comme l’art du possible, une transhumance de l’édile de Bambey à l’Apr, laquelle n’en est pas à son coup d’essai, est de l’ordre des possibles surtout que la machine à gagner du Pds n’est pas encore remise en marche.