POURQUOI C'EST SI MAUVAIS
RÉSULTATS CATASTROPHIQUES AU BAC
Après le chaos consécutif aux mauvais résultats enregistrés au Bac, des acteurs de l’éducation passent le système à la loupe pour relever les facteurs explicatifs du naufrage.
Les résultats du baccalauréat de cette année sont catastrophiques. Les statistiques définitives le confirment. 31,3% de taux de réussite total contre 12, % au première tour. Comparativement aux dernières années, l’on constate une chute de l’ordre de 7 points. Une source précise même qu’une note accompagnée des chiffres a révélé au ministre de l’Education que ces résultats sont les pires depuis 2000.
Le secrétaire général du Cusems Dame Mbodji n’est pas surpris, parce que dit-il, depuis 2005, la courbe ne cesse de chuter. Comment expliquer un tel désastre ? Les acteurs essaient de comprendre. Abdoulaye Sall est l’inspecteur départemental de Pikine, il livre son analyse en son nom personnel.
D’emblée, il attaque le système d’évaluation qu’il qualifie de pas bon. “Nous ne sommes pas là pour que nos enfants réussissent, mais plutôt pour leur mettre des bâtons dans les roues”, fulmine-t-il. Très déçu par “ces résultats choquants”, il refuse de considérer les grèves répétitives comme le facteur principal de l’échec à l’examen.
“Est-ce que nous les évaluons par rapport à ce qu’ils ont appris ? Il faut que le système arrête d’être paternaliste”, recommande-t-il. Kader Ndiaye de la Cosydep n’a pas un point de vue différent. “Les enfants n’ont pas été préparés pour les épreuves”. Pour lui aussi, le système ne prépare pas la réussite de l’enfant. “Regardez bien le programme. C’est comme si les enfants sont matraqués. On leur enseigne des choses dont on se demande l’utilité”, regrette-t-il.
M. Sall invite le Sénégal à faire un choix. Est-ce qu’il veut des jeunes qui vont à l’école pour ne jamais réussir ? Ou est-ce qu’il veut opter pour un système éducatif qui assure l’épanouissement futur de l’apprenant ? Alors que dans un pays comme la France on parle de 80% de taux de réussite et que ceux qui échouent même au test réussissent à l’examen du bac, au Sénégal, de bons élèves sont toujours laissés sur le carreau.
“Regardez tous ces élèves qui tombent en hystérie à la veille de l’examen ! Le système d’évaluation ne répond pas aux objectifs de réussite”, constate-t-il amèrement. M. Ndiaye de la Cosydep abonde dans le même sens. Il appelle à ce que les acteurs aient plus de générosité pour les enfants, mais surtout que le Sénégal se pose un certain nombre de questions sur son système éducatif. “Quel type d’école ? Quelle ressource humaine ? Quel encadrement ? Quel profil ? Quelle finalité ?”
Plutôt que d’accuser le système d’évaluation, d’autres acteurs ont essayé de situer les responsabilités. Le premier qui se voit pointer du doigt est l’Etat. Le secrétaire général du Cusems accuse les autorités publiques de n’avoir toujours pas compris l’importance de l’éducation. Ce qui se traduit par les ressources allouées. “Ils sont en train de manipuler en parlant de 40%, or on sait qu’ils ne mettent même pas 30%”, déplore-t-il. Il s’y ajoute également la non-formation des enseignants.
A en croire ce syndicaliste, deux enseignants sur trois ne sont pas formés. Beaucoup parmi eux n’ont pas été préparés à enseigner. Il y a aussi d’autres profs appelés diplômés spéciaux. Il s’agit d’un diplômé de sociologie qui enseigne la philosophie, d’un économiste qui dispense des cours de maths faute de ressources humaines qualifiées dans le domaine. Sans compter le fait que dans beaucoup de classes, il manque tel ou tel prof, parfois dans des matières capitales, ajoute M. Ndiaye. Et en dépit de tout cela, l’Etat reste sourd aux interpellations.
Reclassement des enseignants
Cependant, la responsabilité n’incombe pas uniquement à l’autorité. Les enseignants y ont aussi leur part. Dame Mbodj “plus grand gréviste” n’a pas de mal à le reconnaître. Non seulement il relève que l’enseignant d’aujourd’hui a moins conscience de sa responsabilité que celui d’il y a 20 ans, mais il reconnaît également qu’il y a trop de grèves. Sur les 900 heures, c’est à peine si l’élève sénégalais en fait 600.
Or, dans des pays comme le nôtre, M. Mbodji trouve qu’on devrait être dans les 1 000 heures pleines. Ainsi, avec les grèves répétées, les candidats au bac ont perdu au moins une année entière si on fait le cumul des heures sans classe. “Ces élèves-là n’ont fait que deux à trois mois en seconde ou première”, ajoute Kader Ndiaye.
Toutefois, si Dame Mbodji endosse une telle responsabilité, c’est pour tout de suite la rejeter sur l’Etat. “L’enseignant va en grève la mort dans l’âme. Il exploite toutes les pistes de solution avant d’y arriver”. Même si l’enseignant ne veut pas faire des grèves un facteur décisif, le président de l’association des parents d’élève, Bakary Badiane, les considère comme tel.
Mais lui aussi attend de l’Etat qu’il respecte ses engagements mais aussi qu’il motive les enseignants, car il ne peut pas comprendre que celui qui fait 10% d’efforts et celui qui en fait 100 soient logés à la même enseigne. “Il y a des enseignants qui ont un diplôme depuis 2010 et qui n’arrivent pas à se faire reclasser”, s’insurge-t-il.
Dans cette série de responsabilités, il y a aussi les parents et les élèves. Les premiers parce qu’ils ne suivent plus leurs enfants. Les acteurs notent ce qui ressemble à une cassure entre la famille et l’école. “À chaque fois qu’on convoque les parents d’élèves, il ne viennent pas. On se retrouve avec 20 parents environ. Ce n’est pas normal”, souligne Dame Mbodj.
Quant aux seconds, ils sont accusés de ne plus avoir le cœur à l’ouvrage. La raison principale est “l’envahissement des technologies”. A l’école comme à la maison, ils ont des portables sophistiqués et passent tout leur temps sur internet ou à suivre des films. Et leur “indiscipline” n’est pas pour faciliter les choses. Tous ces éléments réunis, il ne peut guère être surprenant que les résultats du bac en soient ainsi.