POURQUOI LES TIRAILLEURS DE THIAROYE N’AURAIENT-ILS PAS DROIT À UNE INDEMNISATION
Il y a une huitaine, la France signait, avec les Etats- Unis, un accord d’indemnisation de 60 millions de dollars destinés aux Juifs américains qui ont été transportés vers les camps de concentrations nazies par la société nationale des chemins de fer français (SNCF) pendant la Seconde guerre mondiale.
Pourtant, à bien y regarder, la Sncf a été réquisitionnée par le régime collaborationniste de Vichy pour faire ce boulot et que donc apparemment, elle aurait agi sous la contrainte. Sur les 76.000 déportés, seuls 3 000 en sont revenus.
Plus de 70 ans après, la compagnie ferroviaire a été rattrapée par l’histoire. Les victimes juives américaines et leurs descendants avaient en- gagé le combat pour obtenir une indemnisation. Menacée de poursuites aux Etats-Unis et de ne plus participer aux appels d’offres dans ce pays, la Sncf a cédé. Chaque victime américaine recevra 10.000 dollars (50 millions de FCfa).
Cette transaction qui s’est passée sous « nos yeux » ravive, dans notre mémoire, le souvenir d’autres vic- times collatérales de la Seconde guerre mondiale : les tirailleurs sénégalais démobilisés vers la fin du conflit et pour un mouvement d’humeur portant sur leur solde et leurs indemnités, ont vu 70 d’entre eux (sans parler des blessés) tués par les troupes de l’administration coloniale, le 1er décembre 1944, au camp de Thiaroye.
Et cette fois-ci, ce n’est pas le régime de Vichy qui est en cause mais bien le gouvernement de la libération. Pendant longtemps, leur histoire a été occultée en France mais toujours vivace au Sénégal.
Comment des soldats qui s’étaient battus si vaillamment pour la France, pouvaient-ils être « récompensés » de manière si ingrate même s’ils étaient considérés comme des mutins ?
Ce qui est valable pour apaiser la souffrance et le préjudice subis par les Juifs américains ne l’est-il pas pour les tirailleurs sénégalais qui ont été remerciés par des balles ? Eux aussi ont des descendants et ont droit à la même considération.
Récemment, lors du XVème sommet de l’Oif, le président français François Hollande a donné à son homologue sénégalais Macky Sall, une copie des archives portant sur cette triste histoire et signe réconfortant, il est allé s’incliner sur la tombe des tirailleurs au cimetière militaire de Thiaroye.
Pour leur rendre justice, il faudrait donc reconnaître à leur famille le droit à une indemnisation afin d’apaiser le feu qui couve toujours sous la cendre dans l’inconscient collectif des peuples d’Afrique.
Le problème est que, chaque fois qu’on parle d’indemnisation pour des préjudices de ce genre en Afrique, l’initiative, on ne sait pour quelles raisons (ou que sait trop bien alors) est discréditée et rangée aux rayons infâmants d’une Afrique qui n’arrive pas à se séparer de son histoire douloureuse.
La même chose s’était produite lorsque des intellectuels avaient commencé à agiter l’idée d’une demande d’indemnisation pour l’esclavage subi par les peuples d’Afrique. Même si ici on peut comprendre la difficulté d’une telle entreprise à cause de l’ampleur du phénomène à travers le temps, le nombre de victimes, (on peut considérer l’Afrique toute entière comme victime).
Pour l’évaluation du préjudice, concernant les tirailleurs sénégalais exécutés, le problème ne se pose pas dans les mêmes termes. Les victimes sont parfaitement identifiées, leurs familles peuvent être retrouvées et la France a posé un acte de jurisprudence en indemnisant des victimes parce que tout simplement la Sncf, une société ferroviaire nationale, les a transportées sur réquisition vers les camps de la mort.
La France pouvait se défausser en arguant qu’il s’agissait du régime de Vichy. Mais elle a préféré payer. Alors pourquoi ne pas le faire pour ceux qui ont versé leur sang pour elle ?