RACONTE-MOI LA FRANCOPHONIE...
PIECE DE THEÂTRE DE LA TROUPE TOTOK
Dans l’après-midi du jeudi 23 octobre, le chef de l’Etat inaugurait le Centre de Diamniadio où se tiendra, les 29 et 30 novembre, le 15e Sommet de la Francophonie. Le même jour, à la Fondation Konrad Adenauer, heureuse coïncidence dit-on là-bas, la troupe « Totok » mettait en scène l’histoire de cette institution, en lien avec le premier Sommet que le Sénégal accueillit en 1989. La pièce s’intitule «Les Pères de la Francophonie». Elle est signée Daman Cissokho, professeur de Lettres, enseignant à l’Université Assane Seck de Ziguinchor.
Que se passe-t-il dans le bureau d’un chef d’Etat, que se dit-on, loin des discours officiels et des caméras ? Et si on écoutait aux portes ? Et si…Et si ? Dans la soirée d’hier, il a suffi d’un quart d’heure pour nous projeter près d’un siècle plus tôt, dans le secret d’une conversation entre présidents de la République. Hier, c’est dans une petite salle de la Fondation Konrad Adenauer que se jouait une histoire vieille de plusieurs décennies, et ressuscitée par une poignée de jeunes acteurs-ceux de la troupe Totok en l’occurrence-qui n’étaient pas nés quand ce qui est aujourd’hui La Francophonie n’était alors qu’une idée.
L’histoire, telle qu’ils la racontent, commence par une visite du président Senghor au Général De Gaulle. Entre les deux hommes, même s’ils ne sont pas tout à fait d’accord, il y a une forme de politesse. De Gaulle se montre courtois, mais il du mal à cacher que ce qui sera plus tard « La Francophonie » ne le séduit pas, s’interdisant jusqu’à prononcer un mot qui lui donne encore la chair de poule. Le Général hésite, parce qu’il veut plus que tout maintenir la présence française dans les colonies, l’Indochine par exemple. L’autorité de la France, comme il dit, s’exercera sur place, et ce néologisme lui fait peur. Son discours est celui de l’union française.
Face à lui, il y a un groupe de chefs d’Etat déterminés à mettre sur pied une institution forte. Certains, comme Senghor et Habib Bourguiba, alors président de la Tunisie, ne se voient pas pour autant compromettre le bilinguisme dans leur pays. De Gaulle, et la France avec lui, craint que l’Algérie par exemple l’accuse de néocolonialisme. Il explique qu’il serait plus à l’aise dans avec un système fédéral où chaque Etat jouerait son rôle.
La pièce se poursuit et se construit sur plusieurs va-et-vient, faits de rencontres quasi secrètes entre Senghor, De Gaulle, Hamani Diori (ancien président du Niger) et Bourguiba. Le théâtre se déplace ainsi entre Paris, Dakar…Entre-temps, on apprend très vite que De Gaulle « a compris », une allusion sans doute au fameux «Je vous ai compris» du Général. Il donne son aval : Dakar peut organiser son premier Sommet de la Francophonie. C’était il y a 25 ans.
Mais ce qu’il faut comprendre, c’est que le théâtre fait ainsi quelques infidélités à l’histoire, il la réécrit. De Gaulle, mort en 1970, ne pouvait matériellement pas être présent à une rencontre qui se tenait en 1989. Sur scène, les acteurs ont ainsi créé un lien forcé entre les origines de la Francophonie et le premier Sommet de Dakar, mais l’allusion à celui qui se tiendra au même endroit, dans un peu plus d’un mois, est assez évidente. Lorsque tombent les rideaux, nous sommes toujours au Sénégal, dans le bureau de Senghor où l’ont rejoint les autres. Le Sommet, lui dit-on, est une réussite. Prophétique ?
TOTOK OU L’HISTOIRE DE LA FRANCOPHONIE - Le scénariste, les acteurs et le public
Lorsque Daman Cissokho découvre en 2008, un livre qui parle de ceux qui sont à l’origine de la Francophonie, il en fait une note de lecture, puis une pièce de théâtre qui sera jouée par Totok. Lui qui écrivait pour un public virtuel qu’il se contentait d’imaginer, s’est rendu compte que les spectateurs, eux aussi, se faisaient une certaine idée de sa mise en scène. La représentation théâtrale a permis de poser le débat sur ce qu’est la Francophonie à l’heure actuelle et sur ce qu’elle représente pour les jeunes et les femmes auxquels est dédié ce 15e Sommet qui se tient à Dakar les 29 et 30 novembre.
Totok, c’est le nom d’un petit groupe de jeunes gens qui fait du théâtre depuis 2004. Tout commence alors qu’ils sont élèves au Lycée Djignabo de Ziguinchor. Ils ne jouent pas vraiment pour jouer. Leur souhait, c’est que la paix revienne en Casamance. Cette prière, ils la portent jusqu’à Dakar où ils se produisent de temps en temps. Pour cette pièce sur les premiers balbutiements de la Francophonie, l’idée leur est venue d’un certain Daman Cissokho. L’auteur, c’est lui. Il raconte que c’est en 2008 qu’il découvre un livre qui paraît la même année : La francophonie des «Pères fondateurs». L’ouvrage porte la signature de Papa Alioune Ndao. Le professeur de Lettres qu’il est en fait aussitôt une note de lecture. Mais il va plus loin. Il veut «mettre en scène les convergences des présidents qui portaient à l’époque le projet de la Francophonie», il veut aussi parler de toutes «les réticences de De Gaulle».
De Ziguinchor où il est, il envoie son travail à Dakar, pour la troupe « Totok ». Les acteurs pensent à un format de 15 minutes. Avec leur manager Mohamed Fall, De Gaulle sur scène, ils définissent les rôles. Ils décident par exemple que Bruno Adolphe Djiba sera un Senghor au phrasé chantonnant-un exercice plutôt réussi-un peu donneur de leçons sur les bords, et habillé aux couleurs de la France. Rokhaya Mbodj, devra, à elle seule, jouer le rôle de plusieurs messieurs.
Pour le public qui assistait à cette représentation, il y avait parfois quelques lenteurs dans le jeu et dans le rythme, et quelques raccourcis historiques. Par exemple, on ne cite pas le Cambodgien Norodom Sihanouk, encore moins Félix Houphouët-Boigny, ancien président de la Côte d’Ivoire. Nombreux sont aussi ceux qui s’attendaient à une lecture plus critique de la Francophonie ou du moins plus actuelle, en relation avec le 15e Sommet de la Francophonie. L’un d’entre eux dira par exemple que la Francophonie n’est pas juste une question de langues, parce qu’elle est porteuse de valeurs telles que la démocratie et la liberté d’expression.
Dans la soirée d’hier, la pièce de théâtre a aussi posé le débat autour de l’utilité d’une institution telle que la Francophonie : à quoi sert-elle aujourd’hui ? Que représente-t-elle concrètement pour le citoyen, pour les jeunes et les femmes qui seront à l’honneur les 29 et 30 novembre ? Se l’approprient-ils vraiment et qu’en savent-ils d’ailleurs ? Et qu’apprend-on de certains médias sinon que le bâtiment qui accueillera le prochain Sommet est « tout simplement magnifique » ?
Pour le scénariste, Daman Cissokho, son projet littéraire consistait surtout, sans plus, à raconter les pères fondateurs, « pour qu’on ne les oublie pas, pour qu’ils gagnent leur part d’éternité ». En tant qu’auteur, il raconte qu’il a parfois eu du mal à traduire en français ce qu’il ressentait. Il s’est aussi senti seul lorsqu’il a dû écrire pour un public dont il imaginait la moindre des réactions, un public virtuel jusque-là. Puis hier, le scénariste, les acteurs et le public se sont enfin rencontrés.