SÉNÉGAL, AUX FRONTIÈRES DE LA FRAUDE
DROGUE, CONTREBANDE, ALCOOL...
Déconcertant, alarmant, mirobolant, inquiétant, effrayant… On pourra user de tous les adjectifs, utiliser tous les superlatifs, mais on ne trouvera jamais le juste qualificatif. On ne connaîtra jamais ses insondables conséquences sur notre économie nationale. Malgré l’opiniâtreté des douaniers qui se battent matin-midi-soir, sur tous les terrains, parfois au péril de leur vie, la fraude reste encore un fléau au Sénégal. Pratiquée en bande organisée ou seule, mais très souvent à main armée avec un blindage mystique, elle rythme le quotidien de nos frontières. Où passent drogue, contrebande, alcool, etc. Des produits périmés ou simplement nocifs dont les valeurs marchandes sont estimées à coût de milliards. L’Observateur vous propose une enquête aux frontières de la fraude. Stupéfiant !
ZIGUINCHOR
Fraude à main armée
La région sud, avec ses frontières poreuses, occupe une position géographique qui fait qu’elle fait partie des zones de passage obligé des marchandises frauduleuses comme le sucre, l’huile, la tomate, le lait en poudre, le bois, le vin industriel, les véhicules et les médicaments qui quittent des pays comme la Guinée, la Guinée-Bissau et la Gambie pour être acheminés en particulier à Ziguinchor et en général à l’intérieur du pays.
A côté de ces marchandises, il y a les produits prohibés comme la drogue.
Avec une superficie de 7 339 Km2, le maillage de la région par la subdivision chargée de la surveillance douanière n’est pas facile. Une activité de la fraude qui s’est surtout accentuée dans le département de Bignona et sur le long des frontières sénégalo-gambiennes et sénégalo-bissau-guinéennes où les fraudeurs, pour acheminer leurs marchandises, sont souvent aidés par des bandes armées qui leur ouvrent des corridors.
Une activité illicite accentuée surtout par la crise armée qui sévit en Casamance.
FRONTIERES SENEGALO-GAMBIENNES
«Nous consommons des produits provenant de la Gambie»
Le choix du département de Bignona qui abrite les villages du Narang n’est pas gratuit. «Notre choix sur ces zones rentre dans une logique de stratégie de fraude et dans lequel je tiens à vous dire que ces frontières qui séparent cette partie du Sénégal (la Casamance) et les villages du Narang sont l’épicentre de la fraude», explique, sous le couvert de l’anonymat, ce jeune homme qui habite dans le village de Mahmouda et qui s’adonne au trafic du sucre depuis plus de 15 ans.
Et le jeune homme de poursuivre : «Nous avons des astuces pour dribbler les soldats de l’économie afin d’écouler nos marchandises. Nous nous sommes lancés dans cette activité parce que nous n’avons aucune activité génératrice de revenus dans nos villages. L’Etat du Sénégal ne nous a pas aidés.
Pis, dans nos foyers, nous consommons, essentiellement et pendant toute l’année, de la marchandise en provenance de la Gambie.» Ce trafic intense sur cette frontière entraîne une perte énorme pour l’Etat du Sénégal.
A côté de ses denrées de premières nécessités, il y a un important trafic de médicaments introduits par des contrebandes et qui entraîne un réel problème de santé publique dans la mesure où, ces médicaments sont importés par des circuits officieux avant d’être commercialisés par des non professionnels.
Les médicaments fréquemment introduits sont les paracétamols, les aspirines, les comprimés effervescents, les comprimés barbituriques, les antalgiques, les comprimés contre les vers et les aphrodisiaques. «Rien que pour ces médicaments, nous avons saisi 70 lots d’une valeur estimée à 125 000 000 de FCfa sur le long de la frontière», explique le Lieutenant Abdoulaye Guèye.
Les Chinois dans le bois
Dans cette partie de la capitale du Fogny, la fraude du bois bat également son plein. Les trafiquants sont aidés dans leur entreprise par des bandes armées qui leur forment des corridors pour l’acheminement de leurs marchandises.
«Une fois sur place, le bois est livré à des Chinois qui les transportent dans leurs navires avant de l’acheminer dans leur pays d’origine. Je ne peux pas vous dire le prix, mais je peux vous assurer que nous gagnons bien notre vie dans cette activité frauduleuse», nous a confié Lamarana Diallo, un trafiquant de bois.
Le marché du trafic des produits alimentaires, comme l’huile, est juteux dans ces zones, au point qu’il attire aussi les fraudeurs. «Nous avons réussi grâce à des filières de fraude bien huilées. C’est pourquoi, nous exportons des quantités importantes d’huile en provenance de la Gambie», renseigne un de nos interlocuteurs que nous avons rencontré dans le village de Kataba 1.
La fraude de l’huile, une vraie spécialité des Sénégalais
Selon nos gorges profondes, de toutes les fraudes les plus connues, figure en bonne place celle de l’huile. Ceux qui s’adonnent le plus à cette activité sont les commerçants sénégalais. «Concrètement, cette fraude commence par des étiquettes fabriquées par ces fraudeurs qui précisent même le contenu des bouteilles.
Cette huile, une fois introduite dans le marché sénégalais, fait souvent son chemin jusque dans les boutiques. De quoi faire peur, car, selon des sources médicales, cette huile peut même poser des problèmes de santé non négligeables. Ces huiles importées concurrencent aujourd’hui, dans la région sud, les huiles des entreprises sénégalaises spécialisées dans le domaine.
L’utilisation du renseignement est aujourd’hui obligatoire pour les douaniers afin de lutter efficacement contre la fraude de l’huile, qui a fini d’atteindre des proportions inquiétantes à Ziguinchor. «Au-delà des moyens qui sont utilisés par la Douane pour gagner la lutte aussi bien contre cette fraude des denrées alimentaires, nous travaillons beaucoup avec les renseignements», renseigne le Lieutenant Abdoulaye Guèye, chef du Bureau administratif et financier de la Direction régionale sud. Des douaniers, dans la région sud, qui préconisent une coopération avec la gendarmerie, la police, l’administration et les populations, pour permettre à leur corps de mieux jouer son rôle de protection de l’économie sénégalaise et de barrer la route aux fraudeurs et aux contrebandiers.
FRONTIERES SENEGALO-BISSAU-GUINEENNES
Le point de passage du vin et de la drogue
Les forces de sécurité sur le long de cette frontière sénégalo-bissau-guinéenne, malgré leurs moyens très limités, livrent une bataille sans merci contre les fraudeurs de vin industriel et les trafiquants de drogue. Ils sont souvent aidés par l’Armée dans l’exercice de leur profession.
Un vin industriel qui a fini d’inonder le marché ziguinchorois, causant du coup des dégâts incommensurables aux boissons alcoolisées qui respectent la loi du marché et qui sont introduites dans la région.
Pour la drogue, cette zone est le domaine de prédilection des trafiquants. Et rien que pour l’année 2013, les autorités administratives ont procédé à l’incinération de plus de 227,786 Kg de chanvre indien, 129 boulettes de cocaïne et des tablettes de comprimés barbituriques.
Cette importante quantité de drogue avait été saisie par les forces de l’ordre lors des opérations de sécurisation qu’elles ont eu à mener sur tout le long de la frontière qui sépare le Sénégal à la Guinée-Bissau et plus précisément dans le village de Mpack, situé à près de 20 Km de Ziguinchor. Du coup, la capitale sud était devenue un point de transit et un terreau fertile pour les narcotrafiquants.
Une situation qui est surtout favorisée par le fait que la région sud est entourée par des pays de la sous-région où la situation politique favorise le développement de la drogue. Les autorités régionales, conscientes de la situation, ont aujourd’hui pour ambition de renforcer les Brigades spéciales de lutte contre la drogue pour mieux lutter contre le trafic illicite en Casamance. Des forces de l’ordre qui ont mis aux arrêts, durant les trois dernières années, 25 Sénégalais, 04 Bissau-guinéens, 02 Italiens, 01 Français, 01 Nigérian et 01 Guinéen de Conakry.
Ils s’adonnaient tous à cette activité illicite, c’est-à-dire à la commercialisation de la drogue dure. Dans sa mission de protection des populations, la Douane, au niveau de ces frontières, lutte contre l’importation des cuisses de poulets qui inondent souvent le marché de Ziguinchor et les morceaux de défense des éléphants. «Pour ce cas précis, et dans le courant du mois de janvier 2014, 35 morceaux de défenses d’éléphants ont été saisis à Mpack par nos agents. Le tout a été estimé à une valeur de plus de 51 000 000 de FCfa», a ajouté le Lieutenant Abdoulaye Guèye.
Mission délicate
Même épaulés par l’Armée, la police et la gendarmerie, ces soldats de l’économie rencontrent d’énormes difficultés dans l’exercice de leur mission dans cette partie sud du pays. A Kolda par exemple, des agents de la Douane sont souvent agressés par des populations qui n’ont pas encore compris leur devoir. «C’est une insécurité qui plane sur la tête de nos collègues dans cette contrée du sud et plus particulièrement dans le village de Médina Yoro Foula.
La dernière agression sur nos frères d’armes remonte au mois de février dernier. C’est pourquoi, nous demandons à nos autorités d’organiser des journées portes ouvertes dans ces régions pour mieux faire passer le message en faveur de ces populations», explique, sous le couvert de l’anonymat, un soldat de l’économie.
Pour relever le défi, les douaniers de la région sud ont mis en place le système «Gaïndé» qui est bien établi à Ziguinchor pour le contrôle nécessaire des Cartes grises des véhicules. «Pour le mois de janvier 2014, la valeur totale des marchandises frauduleuses saisies dans la région s’élève à plus de 106 millions de FCfa pour les régions de Ziguinchor et de Kolda», renseigne toujours le Lieutenant Abdoulaye Guèye.
La réglementation devenue plus corsée, les fraudeurs risquent aujourd’hui la prison, une peine lourde et une amende sévère. Tirant le bilan de l’année 2013, il explique : «La valeur totale des marchandises frauduleuses saisies dans la région est de 1 354 572 241 FCfa. Toute cette fraude provient essentiellement des pays limitrophes.»
Ainsi, les recettes à l’importation des marchandises qui passent par les voies légales et qui ont été liquidées, à en croire toujours le Lieutenant Guèye, s’élèvent à plus de 1 52 000 000 de FCfa. Cette introduction des marchandises frauduleuses dans la région est surtout favorisée par les «deux roues» et des charrettes à travers des pistes illégales.
A côté de la fraude terrestre, il y a la fraude fluviomaritime qui est très développée grâce à des voies de pénétration très variées. Un combat que les soldats de l’économie entendent bien gagner. Ceci, en collaboration avec la police, la gendarmerie, les transporteurs, les commerçants, la société civile et les populations.
KARANG
Sucre la vie !
Karang, localité située à quelque 80 Km de Kaolack, est l’une des frontières par lesquelles, passe la fraude pour entrer au Sénégal. Des routes impraticables, un climat apaisé, des camions stationnés au bord de la route, voilà le décor qu’offre la dernière ville qui sépare le Sénégal et la Gambie. Peuplée de Mandingues, Sérères, Peuls et wolof, Karang est aussi un grand carrefour commercial.
Ce jour-là, l’horloge affiche 09H du matin quand on franchit l’entrée du village. Les véhicules passent les uns pour aller en Gambie, les autres pour entrer au Sénégal. Les conducteurs de motos Jakarta, constituant le principal moyen de transport à l’intérieur de la ville, se précipitent à la recherche d’un potentiel client. La vie semble être normale. Chacun vaque à ses occupations.
A l’intérieur du garage de la ville, une image attire. Tous les passagers tiennent entre leurs mains un sachet rempli de sucre. Un fait qui renseigne sur la disponibilité de cette denrée dans la localité. Pour ouvrir le débat, un «bonjour» devient une nécessité. Seulement, après les salutations, la première phrase qui sort de la bouche du premier vendeur, c’est : «Lo beug, soucar (qu’est-ce que tu veux du sucre) ?» Et pas n’importe quel sucre. Celui proposé à Karang provient de la fraude et est monnayé 350 FCfa/Kilo et le sac de 50 Kg à 16 000 FCfa.
Marché Karang, il est 10 heures passées. Des femmes s’activent pour remplir leurs paniers ménagers enfin de préparer le repas de midi. Difficile de trouver un interlocuteur. Après quelques minutes de va-et-vient, une vendeuse accepte de se confier. Devant son magasin rempli de produits divers, Astou s’active dans le commerce. Vêtu d’un grand boubou bleu, casque aux oreilles, la jeune dame accepte de lever un coin du voile de mystère qui entoure la vente des produits interdits. «Ici la fraude passe comme lettre à la poste, seulement on en parle pas, on la vie», explique-t-elle. Sous le feu roulant des questions, Astou, très volubile au début, panique et clôt le débat.
De l’autre côté de la rue, une gargote attire l’attention. Fréquentée en majorité par des hommes, une jeune dame s’y active pleinement pour satisfaire sa clientèle. Autour de la table, le débat tourne autour de la «pêche». Un terme qui signifie dans la localité : la fraude. Les uns se glorifient de leurs exploits, tandis que d’autres mûrissent leurs plans d’attaque. Moulé dans une tenue de couleur bleue, Moustapha est soudeur métallique le jour et fraudeur la nuit.
Agé d’une cinquantaine d’années, il raconte son dernier exploit. «La semaine dernière, j’ai emmené des centaines de kilogrammes de sucre sur Karang. Après avoir acheté la marchandise, j’ai pris une pirogue pour aller dans une des îles du Saloum. J’y suis resté pendant 48H. Le surlendemain, j’ai donné quelques billets à mon ami indicateur pour qu’il se taise et la nuit, je suis rentré avec le butin sur Karang pour le revendre», se réjouit-il.
Comme une victoire sur la Douane, il lance quelques sourires triomphaux. Dans cette ambiance où chacun veut montrer qu’il est plus fort, un autre liste ses secrets. Habillé d’un jean assorti d’un Lacoste, ce hors-la-loi tonne à qui veut l’entendre la fiabilité des pouvoirs mystiques dont il se sert pour circuler librement avec ses produits.
Sûr de son pouvoir mystique, il raconte : «L’huile et le sucre, ce sont mes produits préférés. Je suis dans ce métier depuis 6 ans. Je connais les coins et recoins de cette ville. Avant d’aller à la «pêche», je prends d’abord un bain mystique. Tout douanier qui met la main sur mes affaires aura les mains enflées jusqu’à la fin de sa vie.»
ROSSO SENEGAL
Rosso, grosso mafiosi
Bouche édentée, cheveux poivre-sel négligemment entretenus, paire de lunettes bien ajustée, Mamadou Lamine Thioub, chauffeur malmené par les coups de volant, squatte les abords de l’embarcadère de Rosso Sénégal. L’homme n’a pas effectué le déplacement dans ce haut lieu d’interlopes pour contempler le grand bleu docile, ni pour compter les interminables rotations du ferry «Traza» sur lequel flotte le drapeau mauritanien.
«Le clandestin», comme l’appellent péjorativement ses camarades piroguiers, est de mèche avec les fraudeurs. Il travaille en parfaite intelligence avec eux pour les aider à importer des marchandises, au nez et à la barbe des douaniers et de leurs indicateurs, qui veillent au grain. «Le Sénégal vend cher ses produits», sert-il sans gêne, pour justifier son métier.
Certes, Mamadou Lamine Thioub a pris son courage à deux mains pour assumer «son gagne pain», mais il n’est pas le seul piroguier à investir ce créneau. «Une dizaine de piroguiers clandestins transportent les marchandises des fraudeurs au vu et au su de tout le monde. Nous les connaissons tous. Ils ne passent jamais par la voie normale. Ils accostent à des points de chute différents. D’ailleurs, ils nous arrivent de les cueillir et en pareils cas, ils payent une amende de 3000 FCfa», explique Bocar Bâ, membre de l’Association des piroguiers de l’embarcadère de Rosso Sénégal.
Le jeune piroguier «légaliste» accuse ses collègues de faire de la concurrence déloyale. Des accusations que ne réfutent guère les mis en cause. L’un d’entre eux explique dans le détail leur stratégie. Il raconte : «Après être entrés en contact avec les fraudeurs, nous traversons ensemble la rive. Une fois en Mauritanie, nous les aidons à faire des achats.» Puis, le piroguier retourne avec les marchandises et le commerçant à bord du ferry. «Contrairement à la Mauritanie où il y a une seule porte d’entrée par laquelle tous les pirogues et les voyageurs passent, poursuit le piroguier clandestin, au Sénégal on a plusieurs entrées.»
De ce fait, le fraudeur qui a déjà pris toutes les dispositions peut facilement transporter sa marchandise, constituée le plus souvent de sucre et d’huile, vers les autres villes du pays. Malgré les patrouilles des soldats de l’économie et des gendarmes le long du fleuve, les fraudeurs, très bien organisés, parviennent toujours à tromper leur vigilance. Les «pirogues clandestins» opèrent également la nuit. Même si la rotation du ferry doit officiellement s’arrêter à 18 heures. Des sources renseignent que «jusqu’à des heures indues de la nuit, des mouvements de pirogue sont notés sur le fleuve».
Les « Thiep-thiep» contournent les Douaniers
La pirogue «Goor Fiit» accoste et une meute de jeunes garçons se rue vers elle. En une fraction de seconde, les dockers, muscles saillants, vident son contenu. Les marchandises sont ainsi superposées à un jet de pierre du fleuve. Des sacs de biscuits, du Thé, du savon, des produits alimentaires (macaroni, vermicelle etc.) constituent l’essentiel des produits. Une dame au teint dépigmenté, très méfiante, approche et contrôle au détail près les denrées. Le compte est bon ! Elle presse le pas, tout en discutant à haute voix avec un jeune.
El Haji Kane, un « Thiep-Thiep, «businessman ou rabatteur en langue maure)», tente de convaincre la commerçante. Après un échange d’une bonne dizaine de minutes, la Dakaroise accepte. Ainsi, elle charge le rabatteur de faire une déclaration de la marchandise au bureau de la douane. Les 2 600 FCfa empochés (somme exigée pour la déclaration), M. Kane, qui a pris le soin de tout noter sur la paume de sa main gauche avec un stylo, se faufile au milieu de la foule.
Quelques minutes plus tard, il revient tout dégoulinant de sueur et file vers sa complice, lui tend un papier de couleur blanche. Une quittance sur la quelle on peut lire : «Bulletin d’écore», avec la mention «Vu et toléré par le chef de visite» sous le numéro : 0032660 / 2013/ G34. Subitement, la commerçante affiche un large sourire.
Puis s’extasie : «Oh, je devais payer 15 000 FCfa, mais avec l’intervention de ce jeune, je n’ai pas tout payé.» A la question de savoir comment il a pu contourner la douane, le rabatteur, qui vient juste d’empocher sa paie, repart sans ouvrir la bouche. Plusieurs commerçants approchés sont passés par cette voie, qu’ils jugent moins coûteuse et plus rapide. Après, ils peuvent facilement introduire les produits «importés» sur le marché, au grand dam de notre économie.
Pour mieux avoir une idée sur la quantité de marchandises qui débarquent à l’embarcadère de Rosso Sénégal, nous avons approché le chef du bureau des douanes de cette localité. L’inspecteur Commandant Pape Amadou Gamby Diop, d’un ton courtois, affirme qu’il ne peut pas parler sans une autorisation préalable de ses supérieurs : «Je suis tenu à une obligation de réserve», sert-il très poli. Et pendant ce temps là….
TRUCS ET ASTUCES D’UN METIER
«Si une femme voit ce gris-gris, elle ne pourra plus jamais donner naissance»
Métier à risque, la pratique de la fraude est aussi pleine de mysticisme, de trucs et astuces inconnus du grand public.
«Tacktil» et «Koumte», les gris-gris des fraudeurs
Beaucoup ne le savent pas, mais les conducteurs de véhicule de fraude sont soumis avant l’entame de leur voyage à de rudes pratiques mystiques. C’est chez eux que ça commence. Les enfants sont invités à une charité qui frise souvent la sorcellerie sur le plan du déroulement et de la distribution.
Une pratique qui indispose certains parents voisins des conducteurs de véhicule de fraude instruisant leurs enfants à ne jamais répondre à cette invite. Un refus somme toute normale, nous confie un conducteur. Selon lui, l’arsenal de gris-gris qui les accompagne pour se prémunir des mauvais esprits et des risques est redoutable. Il cite dans le désordre le «Koumté», un gris-gris noué autour des reins juste avant le départ. «Si une femme le voit, elle ne pourra plus jamais donner naissance.
Ce gris-gris protège le conducteur qui, à l’aller comme au retour, ne rencontrera le moindre obstacle», explique-t-il. Le «Tacktill», lui, anéantit les coups de feu. On le noue tout au tour du volant du véhicule après en avoir attaché un sur une partie du corps. «Même le tireur d’élite le plus adroit au monde ne pourra atteindre votre véhicule fut-il en face de vous», renseigne le convoyeur. Il ajoute, mystérieux : «Si le ‘’Koumté’’ reste dangereux pour les femmes, le ‘’Tacktill’’, lui, expose son porteur à une pauvreté extrême s’il ne s’en débarrasse pas aussitôt après le boulot.» Seulement, quand on traverse une étendue d’eau avec, ces deux gris-gris perdent leur efficacité et ne sont donc plus opérationnels.
Pas de phares et surtout pas un mercredi
A l’aller comme au retour, le véhicule de fraude bien que roulant en pleine nuit allume accidentellement ses lumières de peur d’être reconnu et poursuivi par les douaniers. Sauf recommandation de leur marabout, le mercredi est banni pour effectuer les voyages. Ne prend pas place qui veut à bord des véhicules de fraude.
Le conducteur de véhicule doit être une sorte de guerrier rompu à la tâche, un as du volant ayant beaucoup de notions dans les métiers de la mécanique. Tous les véhicules de fraudeur, ou presque, disposent d’une valise où sont minutieusement rangés plusieurs outils pour parer à tous les soucis. Chaque conducteur est enturbanné pour, dit-on, se préserver de la poussière, mais surtout pour ne pas être identifié.
Peugeot 504 et 505, belles de route
Tous les véhicules de transport ne sont pas adaptés au tronçon sinueux par lesquels passent les fraudeurs pour convoyer leurs marchandises. Bien que toutes les voitures peuvent êtres utilisées, ce sont celles de la marque Peugeot à source d’énergie essence qui sont les mieux prisées. Parmi ces véhicules de la marque française frappée du lion, il y a les types 504 et 505. La flexibilité de leurs amortisseurs et leur aptitude à modifier leur châssis sont autant d’atouts que les autres véhicules ne présentent pas. Cependant, les Mercédès de type 190 étaient dans le passé testées, mais elles n’ont pas tenu.
Chacun pour soi, Dieu pour tous
Si au cours d’un voyage par convoi, un véhicule chargé de marchandises a le malheur de tomber en panne, il est abandonné à l’endroit. Un convoi de fraude ne s’arrête jamais. En tout cas, pas pour le dépannage de l’un des véhicules qui le composent. Il revient uniquement au chauffeur de la voiture en panne et à son compagnon de tout faire pour la redémarrer. S’ils ne parviennent pas à la remettre en marche, ils doivent la décharger et cacher la marchandise quelque part.
RAPPORT DES OPERATIONS DE 2013
La douane saisit 41,1 Kg d’amphétamine, 6, 83 Kg de cocaïne et 4485,6 Kg de chanvre indien, soit une valeur de 3 milliards 858 millions 936 mille FCfa
Si le rapport 2013 des opérations douanières du Sénégal était un livre Guinness, la drogue (le chanvre indien, l’amphétamine et la cocaïne) battrait tous les records. Un trafic important au coût mirobolant. En un an, 41,1 Kg d’amphétamine, soit 3 170 000 000 FCfa ; 6, 83 Kg de cocaïne, soit 419 800 000 FCfa ; 4485,6 Kg de chanvre indien, soit 269 136 000 FCfa, ont été saisis par les soldats de l’économie.
Des chiffres qui renforcent la réputation de plaque tournante de la drogue que traîne le Sénégal. «Les plus grandes saisies ont été réalisées respectivement par la Direction régionale de l’ouest (Subdivision de Dakar-Yoff), celle du Sud est (Bureau de Kidira, Brigade mobile de Saraya) et du centre (subdivision de Kaffrine)», lit-on dans le document officiel. A cela s’ajoute la saisie de 332 véhicules (toutes catégories), soit 974 914 500 FCfa ; de 172 304 Kg de sucre, soit 82 61 280 FCfa, entre autres.
Pour les 6,8 Kg de cocaïne, la Direction Sud-est a saisi 3 kg et les 3,8 autres par la Direction Ouest. C’est par voie terrestre que les saisies ont été effectuées. C’est également la Direction Sud-est qui a réalisé la saisie des 41,1 Kg d’amphétamine.
Pour le bilan des infractions en 2013, du 31 décembre 2012 au 30 décembre 2013, la Direction régionale de Dakar-Port (Bureaux de Dakar-Port Nord et Dakar-Port Sud, Subdivision de Dakar-Port) a constaté quatre cent soixante quatre (464) manquements, constitués essentiellement de 404 fausses déclarations sur les valeurs, de 31 fausses déclarations sur l'espèce, de 6 fausses déclarations sur l’origine et de 33 fausses déclarations sur la quantité. Pour ces infractions, les droits compromis ou éludés s’élèvent à 3 050 000 589 FCfa et les amendes à 2 709 449 975 FCfa.