SURPRENANT, PRÉVISIBLE... NORMAL
LES LIONS QUITTENT LA CAN EN PHASE DE POULES
Sortir de la Coupe des Nations de football en phase de poules ; est-ce vraiment surprenant pour le Sénégal ? La question ne mérite même pas d’être posée au moment où depuis la demi-finale face à l’Egypte en 2006, l’équipe n’a jamais semblé au mieux de sa forme dans une compétition de longue durée. Depuis 2008, c’est la troisième Can à laquelle prennent part les Lions sans pouvoir sortir des phases de poules. Si les choses ne bougent pas dans l’organisation de l’équipe et le management total du football, ça -risque de durer encore pour longtemps. Et, les raisons ne sont pas simples à déchiffrer.
Une belle série rouge qui dure. Le football n’en sombre pas moins à chaque fois, dans des travers bien désagréables pour tous les sportifs et amateurs de sensations autour des stades. Pourtant sur l’échiquier continental, le football sénégalais n’est ni le plus démuni ni le moins doté en talents. Mais, il souffre encore de beaucoup de précipitations dans les actes, et d’erreurs non corrigées depuis la déroute du Caire, encore en Egypte en 1986. Des générations d’entraineurs et de joueurs sacrifiés, notre football en a l’habitude. De Mawade à Abdoulaye Sarr, et de Locotte à Pape Bouba Diop, la légion peut s’honorer d’avoir tout le temps été poussé à l’échec au moment de conclure une action dans la durée. La faute à une absence de perspectives, de politique sportive, de managers pour tout dire…
Tout commence dès 2004, quand l’équipe sous la houlette d’une génération dite dorée, revenant d’une belle coupe du monde, tombe en quart de finale à Tunis. Si 2005 est une année tranquille qui devrait normalement reconduire la belle équipe des Diouf, Diao, Niang, Camara, Malick Diop en Allemagne pour la coupe du monde 2006. Le Togo d’Adébayor et de Olufadé, est passé par là. La victime de cet échec, sera Guy Stéphan. Comme d’habitude, c’est lui le bouc émissaire. 2008 avec sa Can au Ghana est encore une grosse désillusion pour la bande à Diouf et Henry Camara, On ne passera pas le premier tour. Là c’est l’Angola qui bouche le trou des 8ème de finale.
La génération 2002 et du mondial asiatique sera obligée, à défaut de passer le relais, de composer avec de nouvelles arrivées dans le club. 2010 est une année blanche pour le Sénégal. Pas de Can, ni coupe du monde. Et pourtant que n’a-t-on pas fait pour y être cette première compétition mondiale en Afrique. 2011-2012, c’est l’arrivée d’une nouvelle génération de joueurs, avec une qualification pour la Can de co-organisée par le Gabon et la Guinée équatoriale. Là aussi, alors qu’on a fait sauter le verrou camerounais (une belle revanche à l’élimination en quart de finale par ce même pays à la seule Can organisée ici en 1992), le Sénégal «s’embourbe» dans la boue équato-guinéenne. Le premier tour ne sera pas franchi cette fois encore. Cet échec emporte l’entraineur Amara Traoré et son staff. L’erreur parce qu’on veut aller plus vite que la musique encore.
Toujours un même coupable : l’entraineur
Mardi, cependant, il n’y avait ni la boue, ni les trombes d’eau de 2012, mais l’élimination viendra du Sénégal lui-même quoi que veulent en dire les supporters qui s’en prennent à leur entraineur. Alain Giresse. Encore trop facile. Le problème de cette équipe, n’est pas seulement celui d’un homme, mais de tout un staff. Quand on gagne, ces gens de la rue sur qui tombent souvent facilement des reporters paresseux et peu imaginatifs, racontent tout et n’importe quoi parce que ne connaissant pas grand-chose au sport en général. Alors, allez les voir qu’ils vous raconteront demain le contraire de ce qu’ils vous ont dit hier si on a gagné.
La défaite du Sénégal sinon son élimination est à la fois une surprise et une chose prévisible. La raison est que l’équipe manque surtout de leader. Un leader de vestiaire, comme pouvaient l’être Daf et Pape Malick Diop à une certaine époque, mais surtout un leader technique au milieu, en défense ou au sein de l’attaque. En 1974, l’une des plus grandes équipes de football de tous les temps, avait ces deux leaders en son sein : Johan Neeskens et Rinus Michel dans les vestiaires, Johan Cruijff, sur le terrain. Ici au Sénégal, l’équipe de l’Asfa des années 1970, championne du Sénégal du 1972, avait un leader technique dans le vestiaire, son entraineur et ses homme de base au milieu, c’est-à-dire Mamadou Samassa, Yamagor Seck, et un leader technique sur le terrain, à savoir Oumar Diop alors capitaine de l’équipe de Sénégal.
L’équipe du Jaraaf du début des années 1980, comptait sur quelques hommes de base dans le vestiaires, mais surtout sur le terrain. Dans vestiaires, Yatma Diop et un homme comme Diass, étaient très écoutés. Sur le terrain, deux hommes sortaient du lot : Ndoffène et Birame Ngom, que l’équipe avait arraché à la Police. En attaque, deux génies et artistes en même temps : Mbaye Fall et Laye Camara.
Mais cette équipe des Lions version 2014-2015, ne dispose d’aucun leader à aucune ligne que ce soit. Demba Ba fort de son expérience dans un grand club comme Chelsea aurait nul doute fait l’affaire, mais son pénalty manqué de Conakry, il y a quelques années, l’a fait sortir groupe. Grave erreur. Dame Ndoye également pour se belle lecture du jeu. Mardi, on aurait pu jouer pendant deux jours que l’équipe ne saurait marquer un seul but aux Algériens. On aura beau expliquer, ce n’est pas tout le temps, un problème d’entraineur, mais de lucidité et de culture tactique qui dépasse les joueurs dans les moments où il faut réagir. Nos joueurs fussent-ils parmi les meilleurs semblent rebelles aux schémas tactiques. Certains n’ont appris qu’à jouer au football, d’autres n’ont jamais mis les pieds à l’école. Leur demander alors de lire et de comprendre les schémas pose problème. Le sport, c’est beaucoup de mouvements collectifs et individuels, mais aussi de la géométrie. De la psychologie disait le lumineux Serigne Aly Cissé de retour du Mali avant le Mondial 2002 en Corée du Sud et au Japon.
Une sélection en mal d’étoiles
L’équipe du Sénégal, manque surtout ce qui est devenu un atout majeur du football mondial, un artiste et un allumeur. En 1975, quand le Sénégal est parti arracher sa qualification à Kinshasa (ex. Zaïre), le leader et grand artiste de l’équipe était un jeune garçon de 20 ans qui s’appelait, Christophe Sagna.
Le Zaïre de retour de la Coupe du Monde allemande, était l’équipe la plus forte d’Afrique avec les Kakoko, Ndaye, Ndoumé, Lobilo et Bwanga, avait vu plus forte qu’elle : le Sénégal de Ibou Ba, le père, dit «Eusébio», Oumar Ndiaye «Bosquier», Yamagor Seck, Samba Camara, Badou Gaye etc. L’équipe de 1963 des jeux de l’amitié qui gagne sa finale contre la France était aussi structurée autour de joueurs brillants mais intelligents d’abord, Yatma Diop, El Hadji Malick Sy Souris, Demba Thioye etc. Ces joueurs, chacun dans son domaine, était poète et un artiste.
Manier le ballon et s’adapter aux circonstances de jeu étaient naturel chez eux. Il n’y a pas de hasard dans le sport, dit-on souvent. Ceux qui ont suivi le vrai football savent que si les stades se sont vidés de leurs supporters et des grands connaisseurs, on le doit à la disparition de ces artistes. A commencer par la talentueux Roger Mendy des années 1980 jusqu’à Fadiga, Oumar Daff, El Hadji Diouf, Tony Sylva, Ferdinand Coly, Henry Camara, Diomansy Camara de la décennie 2000-2010. Ces gens étaient aussi des artistes. Dans le genre, El Hadji Diouf quoi qu’on n’ait pu dire sur lui, était un homme de gala et de spectacle. Ça fait partir des charmes du football.
On l’a d’ailleurs perçu dans le dernier mondial au Brésil, si vous prenez une équipe comme le Costa Rica, Brian Ruiz était un artiste dans l’âme capable de complexer les plus grands défenseurs. Pour descendre un peu plus bas, à Mbour dans l’équipe du stade des années 1980, tous les trois attaquants qui jouaient étaient chacun dans son domaine, un joueur de gala : Idrissa Fofana, Malang Koté et Cheikh Tidiane Niasse. Mais, le maître, c’était Cheikh Tidiane Niass. Son premier contrôle, ses premiers gestes étaient des moments de régal pour l’équipe et le public et étaient la preuve pour l’adversaire que l’équipe allait marcher sur lui. Ce football-là ne meurt jamais. Et, on ne peut pas gagner en fumant la pipe dans un canapé de salon.
Jérome Diouf a eu raison de le signaler à la fin du match pour une équipe sénégalaise qui n’a presque pas eu d’occasions. Avant eux, d’ailleurs qui ne se rappelle pas de Bamba Diarra au Jaraaf des années 1970 à coté de Louis Gomis, jusqu’à Badou Gaye avec sa chainette en or toujours au coup quoiqu’il lui arrive dans la surface de jeu. Le talent était aussi de savoir être élégant dans le jeu avant d’être efficace. Voir du spectacle et du jeu, ne semble plus faire partie du football.
Si une chose est de jouer dans des clubs huppés, la technique et la lecture du jeu s’apprennent dans la durée et au prix d’une intelligence hors norme. Nos joueurs actuels n’ont ni la maestria d’un Seydou Ba, ni le sens du placement d’un Tassirou Diallo ou le coup d’œil d’un Moussa Ndao. Ils ne ressemblent ni à Séga Sakho dans sa technique hors pair au poste d’ailier gauche, ni à Léopold Diop pour sa belle lecture du jeu, encore moins, à Amadou Mbodj dit Grand, tout petit comme Christophe, mais avec une technique d’un pur gaucher. On peut encore citer la pointe de vitesse d’un Diène Diouf. Ces maîtres du jeu devraient aussi dire leur mot aux jeunes millionnaires d’aujourd’hui, (ce n’est pas de leur faute s’ils le sont devenus), qui jouent au football, un point, un trait.
Dans ces conditions, l’élimination est donc normale si vous ajoutez à tout cela, le manque de rage. Mardi, en jouant, l’impression que donnaient ces garçons, pourtant pleins de volonté, mais limités, était qu’ils ne savaient pas que même en cas de match nul, ils étaient qualifiés.
Incapables de bousculer les Algériens et de gagner des duels, de passer à un contre un. On aurait pensé qu’éliminer une équipe d’Algérie, bon mondialiste, gênait aux entournures, pour certains parmi eux. On a trop respecté l’adversaire dans ce match. On les a trop regardés ces Algériens qui n’ont eu, eux aussi, qu’un plus sur leur adversaire, celui d’avoir su manquer un but.
Cherchez l’erreur
Toutes les défaites ont une cause en sport, entend-t-on souvent. Et, à chaque fois, il faut chercher, les responsables sinon les victimes. Entre le ministère des sports, la Fédération sénégalaise de football, la ligue, la direction nationale, l’entraineur le débat va nul doute se poser. Mais, le problème de ce football est plus dans son manque d’imagination et d’ambition que dans le jeu et tous ces débats qui devraient avoir lieu.
Le premier problème vient surtout depuis des années de la manière dont les campagnes sont financées au détriment du vrai football au niveau local. Beaucoup d’improvisation au sommet qui fait que, à commencer par le président de la République et tous tant qu’ils sont, on ne met la main à la poche que pour accompagner une sortie des sélections nationales. Or au même moment, le sport de club se meurt. Dans un pays où un club de navétane est plus riche qu’une équipe de ville, qu’on nous dise comment ce football pourrait aller plus qu’à un quart de finale de Can. Le Sénégal a fini par tuer sa politique d’élite à tous les niveaux pour des logiques de mandats politiques au sein de la tête de l’Etat comme dans les communes et les régions.
Partout et à tous les échelons, le navétane et son organisation à l’improviste, est entrain de déteindre sur le reste. Et l’essentiel. Dans la folie des résultats immédiats, la formation en a pris un coup et même avec les écoles de football qui foisonnent un peu partout, nos joueurs sont formatés pour n’être que des produits du navétane. Là, c’est la responsabilité du ministère et de la Fédération qui sont engagés. Parce que des footballeurs, comme des basketteurs de génie, on n’en produit plus dans le football et dans le jeu. Et, ce n’est pas le petit génie de Sadio Mané, quoi qu’on ait pu dire, qui fera la différence.
Dans un petit match oui ! Mais, devant des équipes bien organisées comme l’Algérie et même l’Afrique du Sud, cela ne passe pas à tous les coups. La responsabilité du ministère et de la fédération aussi, est engagée dans le choix des hommes qui doivent diriger. Le choix de Giresse, les missions qui lui ont été assignées comme le salaire qu’on lui a donné, petit ou gros, sont aussi dans les incohérences de notre football. Même avec un salaire de 10 millions, notre économie et notre sport ne permettent ni ne justifient un tel salaire pour un entraineur. On va expliquer, que gagner une Can, c’est aussi quelque chose. Mais combien de Can, de coupe des clubs, le Sénégal a-t-il gagné avec le Basket depuis les années 1960 ? Le basket, une des disciplines les plus pauvres et les plus mal dotées en budgets, en équipements sportifs, en moyens pour les clubs ?
Alain Giresse, à lui seul, pourrait payer avec ses millions tous les entraineurs de basket sénégalais. Et peut-être même ses homologues du foot. Pour quels objectifs finalement l’avait–on nommé ? Après cette défaite, comme Karim Séga Diouf, Bocandé, Amsatta Fall, Lamine Dieng, Abdoulaye Sarr, Koto, Amara ou avant eux encore Claude Leroy, il sera un problème quoi qu’il arrive. Mais, pourtant, il n’a été ni le messie, encore moins le problème. La vérité est que l’homme ne connaît ni le Sénégal, ni son football. Il lui fallait encore du temps ; or, dans ce genre de logique à résultat immédiat, ceux qui donnent les moyens feignent de ne pouvoir attendre. Le résultat est que, conséquence, les générations d’enfants, de jeunes footballeurs, sont sacrifiés sur les terrains d’Afrique.
Au final, le Sénégal « sabote » son football au nom du prestige des politiques au lieu de bâtir quelque chose autour d’une génération de jeunes bien formés ici dans son championnat ; mais encore en mettant à la tête de la direction technique et du staff des équipes nationales, des hommes d’expérience capables de communiquer la science du football à tous ces amateurs qui s’agitent autour du football. Notre football a besoin surtout d’un homme de communication qui sait parler aux joueurs. Dans le genre, une personne comme Claude Leroy qui a ramené le Congo à la Can, a le profil idéal pour aider notre pays à rebâtir. Les joueurs sénégalais ont besoin de temps et de théorie avant d’aller affronter le monde.
L’autre faiblesse est aussi dans le fait qu’on n’a plus de détecteur de talents comme Joe Diop, Koya, Mawade, Laye Sow, Lamine Ndiaye (le grand), Padre, Madiabel, Douzaine Sèye autour de nos équipes et en club. Certains entraineurs ont fait leur classe à partir d’un navétane qui a plus de public, mais qui a baissé de niveau, comparé à ce qui faisait avant. Alors, si chaque fois qu’on sort d’une Can, les seus responsables et coupables restent l’entraineur et les joueurs (dont un tel devait sortir ou entrer à la place d’un autre), on ne fera qu’esquiver les problèmes. Le football sénégalais, et c’est normal, ne peut pas aller dans un tel contexte, au-delà des quarts de finale d’une Can.
Depuis près d’une décennie, il n’y est pas. Et, on ne peut pas rebâtir éternellement. Les hommes sont là pour former ; donc, il faut les intégrer dans les clubs pour sortir de nouveaux joueurs qui jouent d’abord, en Sénégalais avant d’être «vendus» à d’autres clubs. Le meilleur footballeur du monde, a besoin de base et d’un ancrage culturel. Pelé est un exemple type ; lui a qui a gagné tous ces trophées en étant chez lui à Santos et au Brésil. Le joueur typique sénégalais ne fait pas exception. Il est né ici, il y a grandi, il a la pulsion et l’inspiration du milieu. Après, il peut aller ailleurs. Quand d’autres arrivent, ils apprennent avec lui. Pour dire qu’on ne peut et ne doit pas tout bâtir de l’extérieur.
A une autre époque, nos meilleurs joueurs n’ont pas été formés à l’étranger. Ni Mbaye Fall, ni Christophe, ni Grand Mbodj, encore moins Séga Sakho, Assane Mboup, Bosquier, Ablaye Sène. Certains l’ont été au lycée, au collège et même pour d’autres, depuis les petites catégories (chez les benjamins ou les minimes au primaire). On ne réécrira pas l’histoire, en changeant constamment la culture du football sénégalais. Il faudrait revoir comment les critères de sélection des joueurs dans l’élite, devraient être organisés. A mon avis, un simple passeport rempli ne devrait pas être un critère de sélection pour un joueur. Or aujourd’hui, c’est le cas.
Tous ces préalables semblent s’accrocher les uns sur les autres. Si ce n’est pas fait, on regardera toujours des matchs fades, tendus assis, comme sur un œuf, jusqu’à la fin. ça malheureusement, ce n’est pas un entraineur qui va le régler, mais bien, un ministère avec une politique réaliste, une fédération inspirée qui doit apprendre à grandir et à sortir de l’amateurisme et de l’improvisation que lui imposent les politiques.