TIRAILLEURS SÉNÉGALAIS, L’HÉRITAGE AMNÉSIQUE EN FRANCE
CENTENAIRE DE LA 1ÈRE GUERRE MONDIALE
Heure française, il est 11h11 en ce 11 novembre 2011, jour de commémoration de l’armistice de la Grande guerre. François Hollande boucle le cycle consacré aux commémorations du centenaire à la Première guerre sur la place de l’Etoile, à Paris. Sous l’Arc de Triomphe, le président Hollande se fige pour la minute de silence après le ravivage de la flamme du soldat inconnu. Les Tirailleurs sénégalais morts à la Guerre 14 – 18 sont les soldats inconnus par la mémoire collective en France.
« On fleurit les tombes, on réchauffe le soldat inconnu. Vous, mes frères obscurs, personne ne vous nomme », regrettait, en vers, Léopold Sédar Senghor pour évoquer le destin des Tirailleurs sénégalais engagés dans la Première guerre mondiale 1914 – 1918. Le président poète sénégalais était prophète dans le sens où, en cette année de centenaire, le destin des Tirailleurs sénégalais engagés sur tous les fronts en Europe est presque passé sous silence.
« Créés en juillet 1857 par décret de l’empereur Napoléon III, sous le Second empire, sur demande de Faidherbe, gouverneur de Saint- Louis », selon l’historien français Eric Deroo. « L’enrôlement des Tirailleurs sénégalais pour la Première guerre fut contraint. Mais, en général, l’engagement des troupes militaires et des Tirailleurs se faisaient en fonction des besoins ».
Des sources montrent que Blaise Diagne, chargé du recrutement en Afrique de l’Ouest, avait réussi à en enrôler 78.000. Certains chiffres font état de 200.000 Tirailleurs sénégalais mobilisés lors de la Grande guerre dont environ 30. 000 morts. Ce sont des estimations largement en-dessous des réelles pertes africaines si on se réfère aux erreurs du passé dans ce sens.
Dans les années 1930, on comptait « seulement » 900.000 morts lors de la guerre de 1914 – 1918 pour toute la France. Des historiens et spécialistes se sont, depuis, intéressés à la question pour en donner, aujourd’hui, près 1,5 million de morts. Il ne serait pas exagéré de penser à la même chose sur les chiffres exacts de disparus de soldats africains appelés « Tirailleurs sénégalais ».
Est-ce que la sous-estimation de leur poids dans la première boucherie mondiale en a fait, aujourd’hui, des acteurs de seconde zone dans les manuels scolaires français. A la fin du collège, les élèves doivent pouvoir mieux comprendre le monde dans lequel ils vivent. C’est le souhait formulé par le ministère de l’Education nationale français.
Dans l’enseignement, les manuels scolaires ont une grande importance. Et ils sont déterminés par les instructions des Bulletins officiels du ministère de l’Education, lesquelles orientent les programmes. La Grande guerre est abordée en collège par les manuels scolaires de 3ème. Le Hatier, édition 2012, l’un des éditeurs de manuels les plus prisés, consacre pas moins de 14 pages à la « Première guerre mondiale ».
« Les Sénégalais au front (juillet 1916) »
Le sujet sur les Tirailleurs sénégalais est quasi absent, mis à part une photo montrant trois soldats noirs avec pour seul commentaire une légende : « Les Sénégalais au front (juillet 1916) ». En dessous, il y a un tableau récapitulatif intitulé « La mobilisation des colonies » sur laquelle on peut lire Aof : 171.000 soldats mobilisés. Aef : 18.000 soldats mobilisés.
Des évocations synonymes de silence. Les programmes et instructions officiels à travers les Bo du ministère de l’Education nationale n’ont pas la teneur d’injonction pour les manuels scolaires encore moins pour les enseignants. Ces lignes non éclaircies font que des pans entiers de l’histoire commune entre l’Afrique et la France sont trop souvent occultés.
En visite à la médiathèque de Puteaux (ban- lieue proche de Paris), des élèves d’origine africaine d’un collège de la ville découvrent sur une exposition consacrée aux sujets que les Africains ont fait partie des combats et étaient même « héroïques car bravant l’hostilité du climat et les armées adverses » pendant la Première guerre mondiale.
« Nous ne l’avons pas appris et pourtant, avec notre prof d’histoire, nous venons de finir le chapitre sur la Première guerre mondiale », constate un jeune pré adolescent d’origine sénégalaise. C’est un net recul comparé au traitement du sujet il y a une quinzaine d’années. En 1989, de nouvelles éditions de manuels scolaires évoquaient la présence africaine dans les tranchées de 1914-1918. En guise d’exemple, le Nathan de troisième de 1989, dans sa partie titrée « Les colonies sont entrées dans la guerre », note dans un texte que
« La durée de la guerre, la nécessité de trouver des soldats pour le front et des ouvriers pour les usines d’armement amenèrent les métropoles à utiliser les hommes et les ressources de leurs colonies...
La France recrute 700.000 hommes : soldats d’Indochine, Tirailleurs sénégalais, volontaires venus de toute l’Afrique française : 80.000 d’entre eux seront tués ». Le même manuel évoquait « l’épopée sénégalaise sur l’Yser » et il revient sur les péripéties qui ont accompagné les soldats africains dans la grande guerre.
Le long document évoque le « courage » de ces soldats (Tirailleurs sénégalais) aux « âmes de soleil », « ivres de grands espaces », qui « étaient condamnés dans ces silos de glaise fondante que, malgré les puisards, l’eau s’obstinaient à remplir ».
Souvent en manque de repère et en crise d’identité dans une France où les effets de la crise financière puis économique font rejaillir les fantômes de l’extrémisme, nombre de jeunes dits « d’origine africaine » retrouve une fierté sur la double appartenance à la France et à un pays d’Afrique.
François Hollande a inauguré à « Notre Dame-de-Lorette, dans le nord de la France, un monument intitulé l’Anneau de la mémoire où sont inscrits 580.000 noms de personnes, sans distinction de couleur de peau, d’origine ni de religion, tombées pour la France. Un pas pour reconnaître et surtout nommer les « frères » de Léopold Sédar Senghor.