MULTIPLE PHOTOSUN ART AUX MAINS D’UNE COLONIE DE BISSAU-GUINÉENS
LE MÉTIER DE TISSAGE
Le métier de tisserand est très ancien dans les sociétés africaines. Dans la capitale sénégalaise, cet art multiséculaire est aux mains d’une colonie de ressortissants bissau-guinéens qui l’exercent avec enthousiasme et maitrise SenePlus.Com est parti à leur rencontre.
Dans la fraicheur de cette matinée, le trottoir de l’allée gauche de l’échangeur situé après du CODESRIA s’anime sous les pas des étudiants. Ils convergent vers le campus pédagogique de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar en passant devant le Centre de Formation Artisanal Gallo Boury Thiam du complexe scolaire De La Fosse. En suivant leur direction, il suffit d’un regard pour apercevoir ces artisans de fil et de fibre : les tisserands.
Il est 10h. Et, déjà l’ambiance timide de l’air matinal est loin de l’être dans cet atelier. Les sueurs qui perlent sur le front de Vasco Diu ne lui feront pas dire le contraire. « Nous, on viens vite pour commencer le travail. Il faut placer le dispositif, mettre les fils, choisir le dessin qu’on veut faire, former les équipes» explique t-il.
Etablis au Sénégal depuis 1993, Vasco Diu est l’un des doyens d'âge et d'expérience. De corpulence moyenne et taille élancée, du haut de sa quarantaine, il dit avoir appris le métier de tisserand très jeune. Un savoir-faire familial qui lui a été transmis et qu'il devra, à son tour, transmettre aux autres générations. « J’ai commencé ce travail depuis mon enfance. Ce sont mes parents qui m’ont initiés », a-t-il expliqué.
Habillés d’un débardeur juste-au-corps, Vasco est assis sous une tente de fortune. C’est le seul abri de ces artistes. Exempt de tout confort, ils s’en accommodent. Les yeux rivés sur ses mains qui, agilement balancent l’une à l’autre la quenouille à fil, Vasco supervise en même temps le travail de l’équipe.
Ici, c’est lui le maître. Il donne les directives même si apparemment chacun connaît son rôle. A côté, le mélange de plusieurs couleurs de fil (noir, bleu, rouge, blanc) est arrangé par des enfants accroupis. Le travail proprement dit se fait à deux. Des binômes sont formés pour accomplir la tâche. Des adolescents tors nus sont également à la roue.
LA MINUTIE D’UN ART
Trois ateliers de tisserands se regroupent pour occuper l’espace. Ils sont près d’une vingtaine, uniquement des hommes, à s’affairer. Concentrés, ils sont justes préoccupés de finir les étoffes. Le travail consiste à entremêler les fils de manière ingénieuse et méthodique.
De différentes couleurs, ces fils sont tissés de façon créative. Avec dextérité, leurs mains et leurs pieds permettent à la chaine de fabrication de toujours tourner. Les orteils sont très utiles. C’est un véritable travail artisanal dans lequel l’homme est machine.
L’odeur nauséabonde que dégage le canal en face d’eux, ne semble nullement entamer l’ardeur au travail de ces artisans qui occupent l’espace. Le gain mensuel en dépend. « Au total, on peut gagner entre 60.000 et 80.000 francs Cfa », confie Vasco.
Les tisserands bissau-guinéens sont aussi de bons voisins. C’est du moins ce qu’avance le vieux Mamadou Barry, réparateur de vélos et voisin immédiat des tisserands, « Depuis des années, je travaille ici. J’ai de bonnes relations avec les tisserands. Il n’y a jamais eu de problèmes entre nous.»
Ils sont toujours en règle par rapport aux taxes que la mairie perçoit pour occupation de l’espace public. « Nous ne payons pas d’impôt mais les services de la mairie viennent chaque mois pour collecter des frais. On donne 3.000 francs Cfa par atelier », informe Augusto Pina, collègue de Vasco.
Oncle, frère, cousin ou neveux, ces tisserands sont tous unis par des liens familiaux. Ils sont tous venus de Biombo, une région située à l’ouest de la Guinée-Bissau.
Le coordinateur de toutes leurs activités se nomme Antonio Indi. Il travaille à quelques centaines de mètres de là. Sur la voie qui mène à la pouponnière de Médina, derrière le commissariat de Police de la commune d’arrondissement du même nom, on retrouve son siège.
INDUSTRIE ARTISANALE
Ici, c’est toute une industrie... artisanale qui est en branle. Par groupe de trois, les ateliers sont situés de part et d’autre de la voie. Les enfants sont de la partie. Ils sont initiés au maniement de cet art. C’est un transfert de compétence générationnelle.
L’ambiance est conviviale, ça crie et ça chante. La seule différence, c’est qu’il y a des étoffes qui sont étalées et d’autres alignées sous formes de rouleaux. Ce qui impressionne les passants.
A l’image des autres métiers, les difficultés ne manquent pas. L’écoulement des étoffes ne se fait pas comme les artisans auraient souhaité. Parfois, ils sont acheminés dans les marchés de Dakar pour vente mais surtout ils sont plus vendus sur place. Cependant, aucun attroupement n’est visible.
A quel prix sont vendues les étoffes ? Antonio Indi : « Il n’y pas un prix fixe. Les prix varient par rapport à la qualité des pagnes.»
La qualité repose sur les différents types de fils utilisés pour réaliser le pagne. A cela, il convient d’ajouter un critère important : le fond et le dessin utilisés dans le pagne. C’est le facteur capital pour la fixation du prix des pagnes. « Si le fond est en coton et le dessin en soie, on peut vendre le pagne 15.000 francs CFA. Par contre, quand tout est tissé avec de la soie, le prix est un peu élevé. Il varie entre 35.000 et 25.000 francs CFA », détaille Indi.
Les étoffes sont souvent considérées comme des pagnes de premier choix réservés aux nantis.
Un véhicule taxi se gare non loin devant le deuxième atelier de la rangée d’Antonio. Tout à coup, un tisserand se redresse et vient accueillir le passager. C’est une dame de troisième âge, habillée en boubou bazin blanc visiblement pressée. Soutenue par sa canne, elle arrive à s’installer sous la tente qui sert d’ombre à l’artisan.
Aussitôt, celui-ci avec empressement lui tend un sachet contenant quelques rouleaux d’étoffes. Cette dernière vérifie le contenu et paie au comptant. Puis, elle retourne sur ses pas. Le tisserand compte d’un geste de doigt et empoche.
La barrière linguistique n’est pas un frein à l’insertion de ces tisserands bissau-guinéens. Ils ne s’expriment qu’en Portugais et très peu parmi eux s’essaient laborieusement au wolof.
Le métier de tisserand demeure un travail fastidieux pour lequel aucune méthode de modernisation n’est encore expérimentée. Mais Vasco, Antonio et compagnie ne s’en plaignent pas.