UN PIED DE NEZ À ÉBOLA
La Sierra Leone vaut le détour. Ce n’est pas le slogan d’une campagne publicitaire célébrant une destination exotique, mais une invite à la méditation devant une réalité authentique. Avec 600 morts, un système de santé en faillite et une économie au fond du trou, on croyait ce pays condamné à rendre les armes face à Ébola. Les fantômes de la guerre civile de 1991-2002, qui avait décimé la population en causant 100 mille à 200 mille morts et plus de deux millions de déplacés, commençaient à pointer le nez.
Mais au moment où même la communauté internationale commençait à perdre confiance, surgit une lueur d’espoir. La Sierra-Leone n’a pas trouvé le vaccin contre le virus mortel ; elle vient de le titiller en lançant des programmes d’enseignement qui seront diffusés à la radio et à la télévision. Cherchant par ce biais à remédier à la fermeture des écoles, à cause de l’épidémie, depuis le mois de juillet et l’instauration de l’état d’urgence.
"Le plan consiste à fournir une alternative viable à notre population en âge scolaire face à la perturbation de l'ensemble du système scolaire depuis le début de l'épidémie d'Ébola", a expliqué à l’Afp le ministre de l'Éducation, Minkailu Bah. Les cours porteront sur une série de matières. Ils seront retransmis à raison de quatre heures par jour, six jours sur sept. Quarante et une (41) radios et l'unique chaîne de télévision nationale, seront mobilisées.
D’ici, on imagine les potaches accrochés à leurs postes et répétant, après les décibels et/ou grâce à la magie de la lucarne, syllabes et tables de multiplication.
Victoire capitale
Certes, rien ne pourra remplacer le contact direct entre l’enseignant et l’élève. Certes, il manquera toujours l’ambiance des classes bondées où la promiscuité fouette la méritocratie et favorise l’esprit de camaraderie. Certes, les apprenants regretteront sûrement la fièvre des cours de récréation où les moins brillants devant le tableau noir tentent souvent de prendre leur revanche sur un système élitiste en démontrant, dans des registres moins conventionnels, l’étendue de leur talent. Certes, le Plan sera confronté aux "limites de la couverture radio et télévision du pays" et à l’incertitude quant à la pertinence d’une pédagogie à réinventer. La liste des obstacles n’est pas exhaustive.
Mais malgré ces écueils, il fallait y aller. Et ce n’est pas Sam Mbayo qui dira le contraire. Interrogé par l’Afp, ce fonctionnaire à la retraite de Kailahun, une province sous quarantaine dans l'est du pays, juge "tout moyen d'instruire (leurs) enfants préférable à les laisser inactifs".
Cette initiative constitue donc une petite victoire sur Ébola, mais une victoire capitale. Elle permet de sauver des millions d’enfants de l’oisiveté, mère de tous les vices. Elle maintient ainsi sous perfusion un système éducatif en péril. Et plus généralement, elle démontre que l’épidémie qui frappe l’Afrique de l’Ouest, comme tous les autres fléaux mondiaux, n’est pas une fatalité. Que face aux épreuves les plus douloureuses, il ne sert à rien de s’apitoyer sur son sort. Qu’il suffit d’une bonne dose de volonté (politique, en l’occurrence), d’une poignée de détermination, d’une constance dans l’effort et d’une pincée de créativité pour surmonter tous les handicaps.
Exemple d’engagement
Cette initiative, appuyée par certaines institutions internationales spécialisées, est la preuve que les enfants sont une véritable priorité pour le gouvernement sierra-léonais. Et pour le prouver, celui-ci ne s'est pas limité à se vanter d’allouer l’essentiel de son budget à l’Éducation. Il a brandi un fait éloquent. Ce n'est pas suffisant, mais il est révélateur.
Cependant, ce Plan ne serait pas possible si les enseignants du pays n’avaient pas manifesté le même engagement en acceptant de jouer à fond leur incontournable partition. C’est à saluer car, lorsqu’enseignants et gouvernement se considèrent comme des partenaires mus par le même objectif- dispenser une formation de qualité aux citoyens de demain-, un pays peut se tricoter un grand dessein.
En ces temps de rentrée des classes, cette leçon d'engagement venue de Sierra Leone est à méditer par les enseignants sénégalais. Face aux épreuves que s’apprêtent à affronter leurs collègues sierra-léonais, sans moufter, leurs innombrables revendications frisent les petits caprices d’enfants gâtés. Notre propos n’est pas de dénier à ces braves fonctionnaires le droit de se battre pour de meilleures conditions de travail. Loin de là. Plutôt, il s’agit de les inviter à développer leur sens du sacrifice au nom de l’école sénégalaise. De penser davantage à leur rôle dans la construction du Sénégal qu’à leur strict devenir.
Mais si le système éducatif sénégalais piétine, ce n’est certainement pas uniquement la faute aux enseignants. Le gouvernement est tout autant responsable. Il désacralise sa signature en violant ses engagements pris lors des négociations avec les syndicats de la profession. Il entretient la gabegie en continuant de consacrer une bonne part des ressources de l’éducation aux charges de fonctionnement. Il sème le désordre parmi les enseignants en instrumentalisant certains syndicats. Sans compter son manque de vision claire et cohérente pour bâtir une École de qualité.
Il est temps que les pouvoirs publics revoient leur copie dans la prise en charge des problèmes, structurels et conjoncturels, qui minent le secteur. Sinon, l’éducation nationale restera un simple gouffre à milliards avec une révoltante asymétrie entre ses performances médiocres et les immenses ressources, publiques (plus de 40% du budget) et privées, qui lui sont consacrées.