UNE "APPRENTIE" À LA RTS
Ma femme et moi regardions avec une grande attention le journal de 20h de la RTS l'autre jour, quand tout d'un coup le journaliste proposa un "faux" reportage mais plutôt "vrai publireportage" de la première femme apprenti(e) au Sénégal. L'héroïne de ce feuilleton, la dame F. Diallo, gagne sa vie debout du matin au soir sur le marchepied d'une guimbarde utilisée clandestinement comme véhicule de transport de tout-venant.
Un vrai bazar roulant : l'on a vu embarquer dans ce tacot tout en surcharge, hommes, femmes, chèvres, moutons, poissons dans un pêle-mêle alarmant. J'ai demandé à mon épouse à la fin du reportage, comment elle voyait, en tant que femme, ce message de la RTS. Elle m'a répondu tout simplement que «les images en tout cas renvoient à ‘l'arche de Noé’». Vous rendez-vous compte ?
Les plus pessimistes d'entre nous évalueraient notre retard envers les civilisations les plus avancées de notre planète à quatre cents, voire six cents ans, et dans le même temps, plutôt que de pointer le sens dans lequel on doit travailler pour se rattraper ; notre télévision nationale nous vend à l'heure où son audience atteint le pic, des images qui renvoient à ce déluge datant de plus de quatre mille ans.
Ainsi donc, d'un coté l'on s'endette pour financer un plan économique qui se propose à long terme de réduire le gap et de l'autre des "responsables" prennent un malin plaisir à utiliser les infrastructures publiques capitales à la promotion de ce plan, pour nous indiquer la direction opposée. C'est là un indicateur notoire d'une sérieuse confusion de sens et d'objectifs, qui fait que dans ce pays tout converge vers le comble : l'inertie.
On ne peut avancer ensemble sans que chacun de nous sache où on veut exactement aller, sinon on tourne continuellement en rond. Entendons-nous bien, je ne suis pas en train de critiquer le fait que la dame F. Diallo gagne sa vie en ce faisant. L'on dit bien «c'est en faisant n'importe quoi que l'on devient n'importe qui». C'est donc bien qu'elle tente quelque chose au lieu de croiser les bras.
Je relève juste pour la pertinence, le fait qu'un tacot qui pollue abondamment l'atmosphère de gaz toxique n'est pas l'idéal mode de transport en commun, qu'une activité qui consiste à se tenir dangereusement debout sur le marchepied d'une voiture qui roule n'est pas légale, elle fut interdite et par conséquent une personne qui recourt à ces expédients pour sortir de sa misère ne peut être montrée comme modèle à la télévision. Pour cause, ce qui fait le plus désordre chez nous c'est le lot exubérant "d'informels" dans la rue, qui vivent en marge des lois, dépourvus du moindre sens civique.
Saviez-vous que dans certains quartiers de la ville, il y a des gens qui pour quelques sous profitent des pluies pour vider à l'aide d'un sceau des fosses d'immeubles de propriétaires irresponsables et en déverser le contenu sur la chaussée ?
La RTS n'en est pas à son coup d’essai
Que personne ne soit surpris que la RTS nous offre demain ces videurs de fosses comme modèle, puisqu'au mois de Ramadan dernier je les avais dénoncé à travers les média pour apologie de tapage nocturne suite à un reportage importun et voilà qu'aujourd'hui c'est pour une importunité similaire que je suis obligé de les confondre de nouveau. C'est cela qui est diabolique, le fait de persévérer dans la promotion d'absurdités. Où est-ce qu'ils veulent nous mener avec ça ? Est-ce qu'ils agissent par incompétence ou résilience à toute idée de progrès vers la modernité ?
Le minimum à savoir quand on travaille dans un organe de communication audiovisuel est combien l'impact de l'environnement visuel est prépondérant, car se propulsant bien au-delà de la cible. Les anglophones qui du Ghana, par exemple, ont visionné ce reportage n'ont rien perçu des commentaires, seules les images leur ont communiqué ce qu'elles portaient de respectable ou de dépréciant. Un attribut de la compétence est de savoir accorder aux rappels à l'ordre et critiques d'où qu'ils viennent, une attention bienveillante.
On ne peut pas continuer à vivre dans une société où les seules critiques, dénonciations ou condamnations admises sont celles qui ont pour cibles le chef de l'Etat de qui l'on attend tout gratuitement et son régime. A défaut l'on est réprouvé pour intolérance, jalousie, despotisme et je ne sais quoi d'autres. La construction du pays ne peut pas être attendu d'un président ou d'un régime, toute personne par ailleurs œuvrant à son encontre ou s'en désintéressant totalement.
Notre indifférence envers les aberrations flagrantes et souvent choquantes qui polluent l'espace public, notre tolérance excessive pour les incriminés et aversion pathologique du châtiment, nous ont conduits à une tétanisation de tous les organes de répression des délits et une propagation de l'incivisme, donnant lieu à l'exode international de miséreux vers notre capitale.
Le message implicite qui les attire ici se résume en «la démocratie et la Téranga sénégalaise conjuguées au Masla, autorisent à venir se loger dans les parcs et voies publiques, s'adonner à toutes sortes d'activité sans souci à se faire». A l'heure actuelle, l'ampleur du phénomène aidant, ils ont tous conscience, et en abuse, de l'impuissance des autorités à lever le plus petit doigt à l'encontre des délinquants invétérés qui orchestrent la pagaille au prétexte de "da may daan sa ma doolé" ou "da niouy diamou Yalla".
Il n'y a que l'efficacité dans ce que l'on fait et à tous les niveaux qui peut nous aider à nous tirer d'affaire.
La dame F. Diallo a fait montre des qualités de leader. C'est très important dans une société d'avoir des leaders et il y en a beaucoup dans tous les quartiers de Dakar et sa banlieue, sans doute dans tous les villages du Sénégal. Il y en a qui se sont révélés dans l'artisanat, la musique ou la danse, mais on en trouve parmi les bureaucrates, les mécaniciens, les tailleurs-stylistes, les militaires, les policiers, les politiciens et les civils. A tous ceux là, il faut juste donner l'ambition, les opportunités et les moyens d'exceller dans leurs talents et créer de la richesse avec. Il ne faut pas nous les mettre en vedette à un stade ou c'est du brut et du grossier dont on dispose.
Il est nécessaire de créer dans les quartiers les connections entre jeunes, hommes et femmes d'un certain âge qualifiés dans un domaine d'activité et leur faciliter l'accès à des "TechShop" (Atelier public où l'on dispose des outils et équipements adéquats pour aider les citoyens membres à matérialiser leurs idées). C'est par ce biais que l'on arrivera à produire des œuvres parfaitement achevés et des génies modèles à présenter au journal de 20 heures. Parce que nous avons un lien historique avec ce journal ; c'est l'heure où l'on allumait la télévision au tout début et le moment du silence dans les familles pour écouter tout ce qu'il y avait de sérieux et de juste comme information.