UNE FAVÉLA AU CŒUR DU QUARTIER CHIC DE FANN HOCK
BARAQUES "MARCHE BOU NDAW"
Une habitation à double visage. C’est ce que dégage Fann Hock. Ce quartier chic de Dakar abrite à la fois des cités résidentielles et des bidonvilles. Cette tache noire gangrène la localité depuis des décennies. Et ce quartier ne semble pas prêt à se départir de ce mal. L’ex "Marché bou ndaw", un véritable bidonville au cœur de Fann Hock, longeant le mur de la cité Claudel, à la rue 63X70, ne rime pas avec le décor de ce quartier dans lequel, cette favéla est implantée. Et pourtant une partie de la population semble s’en accommoder.
En plein milieu du quartier résidentiel Fann Hock, tout autour de l’ex-camp Claudel, devenu aujourd’hui cité universitaire Aline Sitoë Diatta, des kiosques à usage commercial sont installés. Au temps, ce fut un petit marché dénommé par les riverains "Marché bou ndaw". Il ceinturait ce camp situé non loin de la corniche ouest.
Selon certains, l’objectit était d’éviter que les alentours de ce camp ne soient un dépotoir d’ordures. On y apprenait le Coran auprès d’Oustaz installés sur place et on y vendait du foin pour le bétail. Et progressivement l’endroit devient "Marché bou ndaw". Son installation a réussi, selon des riverains, à protéger les alentours du camp de l’insalubrité qui découle de la démographie galopante.
Evoquant les mutations qui ont traversé ce lieu unique de la commune, le vieux Mody Faye, qui habite en face de la floraison de baraques, donne plus de détails sur l’historique de ce site. "Le marché était important à l’époque où des soldats guinéens se réfugiaient dans le camp pour éviter l’exécution du Président Ahmed Sékou Touré. Ces soldats bénéficiaient du soutien du Président Senghor qui s’opposait à leur exécution", raconte le vieux.
Mais, d’après le boutiquier Boubacar Diallo, "c’est la création du marché de Gueule Tapée qui a fait perdre à "Marché bou ndaw" son ampleur. Et du coup, les habitats spontanés ont commencé à s’implanter sur les lieux".
Deux mondes diamétralement opposés qui cohabitent
Seulement, ce type d’habitat est conçu à base de matériels de récupération. Ces baraques sont situées à la rue 63X70 de Fann Hock. Elles présentent une image qui renvoie aux favélas du Brésil. Ce qui fait que le quartier chic de Fann Hock offre deux visages. D’un côté, des résidences et des immeubles chics. De l'autre, des baraques étroites et surpeuplées de cette favéla. Deux mondes différents qui cohabitent. Deux modes de vie diamétralement opposés.
Sur une partie de la rue, pointent des immeubles avec toutes les commodités de la vie moderne. Et sur l’autre, ce sont des baraques, avec des conditions de vie parfois en dessous de celles qu’offre le monde rural. Ces habitats où résident des personnes démunies sont noyés en effet dans un environnement de belles maisons en étages.
Des familles entières vivent dans ces taudis
Et pourtant, ces baraques très exiguës, sous forme de kiosques, font usage de boutiques et de lieu d’habitation. C’est dans ces commerces que se ravitaillent les riverains. En dehors des boutiques, il y a aussi des ateliers de couture et de menuiserie, mais aussi des espaces de coiffure et également des lavandières. Ces installations précaires continuent de cohabiter avec l’ancien camp qui fait aujourd’hui partie de la cité universitaire Aline Sitoë Diatta occupée par les étudiantes.
Dans ces baraques vivent des familles entières. Elles s’entassent dans des chambrettes dans des conditions de promiscuité extrême. Et il faut dire que les conditions d’hygiène ne semblent pas être réunies, puisque dans ces habitats des toilettes qui ne le sont que de nom sont aménagées. D’après les témoignages recueillis sur place, les premiers habitants de ces taudis ont commencé à s’y installer vers les années 1970.
Le site était prédestiné à abriter un hôtel
Selon Fatou Djité, membre de la famille du chef de quartier de Fann Hock, il n'y avait que des activités commerciales sur cette ruelle vers les années 1978. Par la suite, les autorités avaient décidé d’y construire un hôtel. Mais cette infrastructure ne verra jamais le jour. Et, selon elle, c’est cette décision avortée qui a entraîné la disparition du marché.
Dès lors, la zone était devenue un dépôt d’ordures. C’est ce qui fait que, par la suite, il a fait l’objet de beaucoup de sollicitations. Elle explique que vers les années 2000, la situation deviendra tout autre, car des individus viendront nettoyer et occuper les lieux en y installant des boutiques et des ateliers. Et comme pour guérir le mal par le mal, cette zone peu décente deviendra une zone d’habitation.
En effet, d’autres arrivants iront encore plus loin en s’adonnant à la location de chambrette en baraque à des hommes et des femmes venant des villages de l’intérieur du Sénégal ou de pays voisins comme la Guinée. Certains y habitent d’ailleurs avec toute leur famille dans cet environnement malsain. L’insécurité et l’insalubrité se disputent la place dans ces habitations faites en contre-plaqué et en tôles.
Les habitants de ces baraques sont essentiellement des Peulhs (de Guinée), des Sérères et des Walo-Walo. Ils s'y entassent dans des conditions misérables, avec pourtant des titres d’occupation provisoires révocables à tout moment, délivrés par les autorités municipales.
DÉTENTEURS DE TITRES D’OCCUPATIONS PROVISOIRES
les habitants de ses baraques sous la hantise d'un déguerpissement
Les habitants des baraques du quartier flottant de Fann Hock sont sous la menace d’une expulsion de la part de la mairie. Et ce, même s’ils s’acquittent régulièrement de leurs taxes municipales. Ils vivent certes dans des conditions difficiles, mais certains occupants de ces taudis qui ceinturent l’excamp Claudel contribuent largement à la bonne marche de la commune de Fann Hock. Les propriétaires de boutiques et ceux qui y exercent d’autres activités génératrices de revenus s’acquittent, en effet, régulièrement des taxes municipales.
Et pourtant, ces habitants sont sous la menace d’une expulsion, donc d’un déguerpissement du site qu’ils occupent. Selon Pathé Djité, la mairie peut déguerpir ces habitants à tout moment. "Quant la mairie donne des titres d’occupations, elle signale explicitement que c’est à titre provisoire et c’est révocable à tout moment", a précisé le fils du chef de quartier.
Aussi, Pathé Djité de préconiser pour ce cas précis de ce taudis, la sensibilisation pour faire comprendre aux populations conscience que les baraques ne sont pas à usage d’habitation. Il reste néanmoins très sensible aux conditions de vie de ces habitants. Ainsi, il indique qu’"il y a des cas sociaux dans cet environnement puisque des habitants vendent de la bouillie pour vivre".
"Il y a des malades et même des cancéreux"
A cela s’ajoutent, d’après M. Djité, des cas de maladies liées aux difficiles conditions de vie misérable et à la promiscuité. Il explique qu’il y a des malades et même des cancéreux, tout en concluant que la situation est difficile pour les habitants des baraques. Le tailleur Yoro Diouma dit payer ses taxes comme il le faut. "Je paye régulièrement les taxes municipales", confie cet homme qui a installé son atelier dans ces baraques depuis 1978 et y gagne sa vie.
Il en est de même pour Boubacar Diallo, un boutiquier visiblement du troisième âge, qui a fait 18 ans dans sa baraque. "Nous payons chaque jour 150 francs Cfa de taxe à la mairie", informe le boutiquier. Et malgré le fait qu’ils se conforment aux exigences réglementaires de la mairie, ils ont toujours le sentiment de rejet de la part de certains riverains qui, disent-ils, veulent les chasser de cette localité. "Il y a des gens qui ne veulent pas que nous restons ici", a déploré le boutiquier Boubacar Diallo qui, comme Yoro Diouma et d’autres hommes de métiers qui ont installé leurs ateliers sur cet espace, s’acquittent convenablement des taxes municipales.
Par contre, la plupart de ceux qui ont transformé ce lieu en espace d’habitation sont très réticents à toute interrogation concernant leurs modes de vie. Comme s’ils se sont passés des consignes, ces personnes ont tout bonnement esquivé nos questions. Elles ne veulent faire aucune déclaration et le font savoir très clairement. Tout juste ont-elles consenti à battre en brèche les informations faisant état de location de certaines baraques.
Ainsi, malgré l’évidence du fait que les boutiquiers qui y sont, habitent sur place, ces derniers font croire le contraire. Mais pour le fils du chef de quartier et nombre d’autres personnes que nous avons approchées sur le site, il y a bel et bien location de baraques.
DEGUERPISSEMENT DES BARAQUES DE FANN HOCK
l’éternelle patate chaude qu’esquivent les autorités municipales
Le déguerpissement du bidonville qui longe le mur de la cité Claudel n’est pas à l’ordre du jour. La plupart des habitants de la commune de Fann sont pourtant conscients que ce bidonville ternit l’image du quartier. "C’est un cas très critique, car très délicat", a reconnu Pathé Djité, le fils du chef de quartier.
Il ne pense pas si bien dire. Car c’est même l’éternelle patate chaude que toutes les équipes municipales qui se sont succédé à la tête de la commune ont toujours esquivée. D’après le fils du chef de quartier, l’équipe municipale sortante était sensible à la complexité de ces habitats. "Quand Malick Diop était maire de la commune de Fann, Point E, il a clairement dit : "là je ne vais pas y toucher, je vais laisser les Fannois en décider"", se rappelle M. Djité.
Selon ce jeune qui est membre d’un comité monté pour la défense des intérêts de Fann Hock, le nouveau maire, Palla Samb, est au courant de cette question qui est d’une grande complexité, avec la précarité qui prévaut dans ce quartier flottant. Et même s’il reconnaît que "ce n’est pas l’espace idéal pour habiter", Pathé Djité trouve que la meilleure formule est de laisser les habitants de Fann qui est un quartier melting-pot, composé de Sénégalais, de Maliens, de Marocains et de ressortissants de bien d’autres pays, décider de ce qu’il faut faire de cet espace.
L’autre aspect de la complexité de cet espace noté par le fils du chef de quartier reste la paternité de ce titre foncier. "Nous nous demandons souvent si ce titre foncier appartient à l’université de Dakar ou à la commune de Fann", s’est-il interrogé en notant qu’en dehors des ateliers que l’endroit abrite depuis 1983, il s’y trouve aussi un "daara" qui forme beaucoup d’enfants à la lecture du Coran. Et aujourd’hui, depuis plus d’une décennie, il y a aussi des habitats flottants, dignes d’une favéla brésilienne.