UNE RUINE TOUJOURS BIEN PROTÉGÉE
TRIBUNAL DU CAP MANUEL
L’ancien tribunal du cap manuel, un lieu qui ne renait plus de ses cendres. Il n’y a plus presque rien le bâtiment ne vit pas. Cette très vielle bâtisse qui menace ruine semble garder bien des secrets, parce qu’elle reste sous la haute surveillance par des gendarmes. Pas besoin de chercher loin, il regorge d’archives de procès de taille. Certains n’hésitent pas à dire que le lieu est hanté parce qu’aucun projet n’y est ficelé et rien n’y est construit depuis sa fermeture.
Il est 13h43mn. Tout est calme. Les quelques personnes assises devant le bâtiment sont les agents de Dakar Dem Dikk (Ddd) qui font leurs ablutions pour se préparer à la prière de 14h (Tisbar).
Un léger vent emporte quelques détritus jetés par terre par des passants qui ignorent encore le civisme, car des poubelles sont visibles aux alentours. On n’entend que le bruit des voitures et des bus qui roulent a vive allure, répandant dans l’air la fumée de leurs pots d’échappement.
Les rares personnes que l’on peut rencontrer circulant à pied, sont les usagers des bus Dakar Dem Dikk (Ddd), qui a un terminus près de la prison du Cap manuel.
Pourtant, on est bien à l’ancien Palais de Justice du Cap Manuel, et qui date de l’époque coloniale. Ce tribunal a été inauguré le 26 décembre 1958 par le Haut commissaire général de la République en Afrique occidentale française, Pierre Messmer. Cela après que l’ancien Palais de justice, qui datait du 20 aout 1906 ne soit plus en mesure de répondre aux nécessités de l’heure.
Cet imposant bâtiment de couleur beige et verte, défraichi et empoussiéré du fait d’un long abandon, s’élève sur quatre étages. En son sous-sol, sur une vaste surface, une abondante paperasse jonche de façon éparse, l’espace souterrain. La façade principale de l’édifice comporte trois grandes portes dont l’une, en l’air, peut encore s’ouvrir ; les deux autres étant hermétiquement fermées depuis fort longtemps.
La porte ouverte est étroitement surveillée par des éléments de la Gendarmerie nationale. Une cinquantaine de vitres sont cassées et recouvertes par le feuillage touffu des arbres qui colonisent les lieux. A l’intérieur, de grandes colonnes soutiennent l’édifice. L’ancien tribunal est un lieu chargé d’histoire et de montagnes de dossiers qui occupent la salle d’audiences numéro 1 située à droite, en partant de l’entrée.
Même décor dans les deux salles qui se trouvent au rez-de-chaussée. Ces anciennes salles 2 et 3 jusqu’à 8, théâtres de grands procès dans le passé, ont perdu aujourd’hui toute leur charge symbolique, parce que carrément désertées maintenant. Il en est de même de la Cour suprême qui se trouve en face de l’entrée principale. Là, des documents sont un peu mieux rangés même si le désordre règne en toute souveraineté.
Le temps a fait son œuvre, associé à l’abandon, et d’écritures sont encore à peine lisibles. Cependant, un groupe de lettres (DUICF), saute à l’œil. C’est tout ce qui reste de l’ancienne devanture du tribunal du Cap Manuel.
Il y encore, juste à l’entrée de la bâtisse, d’autres tas de papiers qu’on n’évite qu’avec peine de piétiner et qui confèrent à l’endroit une ambiance presque lugubre. On se croirait dans l’un de ces lieux hantés qui peuplent les scènes de film d’horreur.
Les murs tapissés de toiles d’araignée, renvoient en écho, le moindre son émis. Les faisceaux de lumière mêlés à la poussière éclairent par endroits, l’intérieur de la bâtisse. Avec la multitude de documents, de débris de verre des vitres cassées et la mince couche de poussière qui recouvre le sol, rien ne montre le caractère majestueux d’antan de ces lieux. Mais, à la vérité, l’ancien bâtiment du Palais de justice, ne laisse pas indifférent.
Cet ancien joyau qui date de l’époque coloniale a perdu aujourd’hui de sa superbe. Déserté sous prétexte qu’il commençait à fissurer et menaçait de s’écrouler, il est néanmoins, deux décennies après, toujours surveillé par des éléments du Gign (Groupement d’intervention de la gendarmerie nationale). Ce qui fait qu’il n’a pas été squatté par des Sans domicile fixe (sdf) comme beaucoup de gens le pensent.
«Il y a des gendarmes qui se relaient sur ce lieu presque chaque semaine. Ils viennent avec leur chien pour fouiller l’intérieur comme les parages extérieur du bâtiment», informe, un agent de Ddd.
«Ce bâtiment regorge d’archives très importantes, voire des dossiers confidentiels. Il y a également des dossiers de personnes détenues qui sont dispersés dans les tas de paperasse qui git sur le sol. Des gens qui n’ont jamais été jugés jusque là, peut-être même que certains sont toujours en prison qui sait ! Peut- être même qu’ils ne vont jamais être jugés, car leurs PV sont encore ici», poursuit ce familier des lieux.
Dans ce lieu, c’est la discrétion totale. Les agents ne parlent presque pas ou n’osent même pas parler, par prudence. Les rares qui acceptent de répondre aux interrogations, préfèrent le faire dans l’anonymat. Même pour y accéder il faut une autorisation administrative du Ministère de la justice.
«Depuis son abandon, c’est nous qui gérons ce bâtiment. Personne n’a le droit de mettre les pieds à l’intérieur sans l’autorisation du tribunal ou du ministère de la justice», confie cet agent du Gign. Ce dernier de poursuivre : «parfois, des agents du tribunal viennent ici pour chercher des archives mais c’est hyper compliqué pour eux de retrouver ce qu’ils cherchent. Tout est dispersé et mélangé, ce qui rend la recherche compliquée».
SAMBA LAOBÉ FALL, LE GARDIEN DU TEMPLE
Par contre, le vieux Samba Laobé Fall, tête toute blanche et très pleine de souvenirs, archiviste au Tribunal régional de Dakar, a passé toute sa jeunesse au Cap Manuel et a assisté à tous les grands procès du Sénégal. Il est le seul à avoir reçu l’autorisation d’accéder au Palais de justice, depuis le 4 aout 2006.
«Je me rappelle que c’est le ministre de la Justice de l’époque, Cheikh Tidiane Sy, qui avait besoin d’un papier administratif de sa grand-mère. C’est pour cette raison qu’il m’avait donné cette autorisation que depuis lors, j’utilise» se rappelle-t-il comme si c’était hier. Et depuis lors, il a accès aux archives du palais tous les mardis et vendredis de 8h à 12h. Malgré l’ancienneté, le désordre et la ruine qui menace le bâtiment, le vieux Fall semble être le seul à pouvoir s’y retrouver. «J’y vais très souvent pour récupérer des dossiers et je m’y retrouve, car j’ai travaillé ici durant des années. Tout ce dont j’ai besoin, je sais où le retrouver, malgré l’état du bâtiment», explique t- il.
Selon lui, ce lieu demeure solennel. «Ce bâtiment est loin d’être hanté comme le disent certains. Certes, ça fait peur à voir de l’intérieur et ce n’est pas donné à n’importe qui d’y accéder ou d’avoir le courage de s’y rendre. Mais rien de ce qui se raconte sur le bâtiment n’est vrai ».
LES RAISONS D’UNE ÉVACUATION
Il poursuit : «On a déguerpi le bâtiment parce que qu’une partie était fissurée et menacée de ruine, et le plus prudent était de quitter les lieux même, si personnellement j’y suis resté deux ans de plus». Le vieux Samba Laobé, nostalgique se souvient encore des procès d’Abdoulaye Wade et de Mamadou Dia, qui restent gravés à jamais dans sa mémoire déjà bien pleine.
Cependant, d’autres versions indiquent que ce lieu était banni par Thierno Seydou Nourou Tall. D’autres expliquent que ce serait par un Cherif dont le nom s’est perdu avec le temps.
Selon cette dame, «Thierno Seydou Nourou Tall avait bien dit que ce lieu n’était pas un bon endroit pour construire un tribunal. C’était un lieu banni et qu’il allait finir par être abandonné tôt ou tard. Et c’est ce qui est arrivé, car depuis son abandon vous voyez que rien n’y est fait et personne n’en parle» lance-t-elle avec une grande assurance.
Une histoire que le vieux Samba Laobé Fall rejette avec fermeté et méfiance. «Non», s’empresse-t-il de répondre. «Je ne crois pas à cette histoire» s’est-il contenté de dire. Un autre agent de sécurité qui s’est confié sous le sceau de l’anonymat soutient la thèse selon laquelle un Cherif avait interdit toute construction sur le site. Car, « jamais ce lieu ne vas connaître des lendemains agréables» soutient-il.
Une histoire que ce vigile croit fort car pour lui, ce lieu n’est pas ordinaire et parfois il se pose la question à savoir pourquoi il est surveillé à ce point et pourquoi depuis lors rien n’a été touché. Il change de sujet rapidement comme s’il ne voulait aller plus loin, et dévie : «Il y a même un genre de tremblement de terre qui s’est passé ici une fois». « Même les agents de Ddd, au début, on leur interdisait de s’asseoir devant le bâtiment mais vu que 7 jours sur 7 ils sont là, on a fini par les tolérer et leur laisser passé leur journée ici » explique t-il.
D’autres explications ont à un moment, invoqué des raisons de sécurité pour interdire l’approche du bâtiment. Surtout lorsqu’il a été évacué, les motifs étaient que le sol était mouvant, et qu’il n’était pas sûr de s’asseoir à proximité, de peur d’être surpris par un éboulement ou un effondrement de terrain.
C’est les mouvements du terrain qui menaçaient le bâtiment et créaient les fissures qui l’ont défiguré, au point de créer parfois de la panique parmi les personnels qui y travaillaient, ainsi que les justiciables qui s’y rendaient pour leurs affaires.
Mais il faut croire qu’avec le temps, le souvenir de ces événements s’est un peu estompé. Au point qu’à un moment, au vu du blocage du chantier du nouveau Palais de Justice de Lat Dior, le président Abdoulaye Wade aurait même demandé à la famille des magistrats, s’il ne valait pas mieux, selon eux, de réhabiliter le Palais de Cap Manuel plutôt que d’achever Lat Dior. C’est l’opinion de ces derniers qui aurait fait pencher la balance.
CONDITIONS DE SURVEILLANCE
Le spleen des agents
Les gendarmes et agents de sécurité qui surveillent l’ancien Palais de Justice du Cap Manuel souhaitent une meilleure considération. Car, ils estiment être loin de bonnes conditions de travail. Même pour se nourrir ou pour payer quelque chose, ils soulignent qu’il n’y a qu’une seule boutique aux alentours et qui est ouverte en fonction des horaires des bus Dakar Dem Dikk. A partir de 21h, plus rien ne fonctionne et tout est désert.
Ces agents ajoutent que, pire, ils ne disposent même pas de toilette pour leurs besoins. Bref, résument- ils, «nous manquons de tout pour mener une vie saine ». Pour leurs besoins explique un de leurs, «nous sommes obligés de nous rendre jusqu’aux toilettes des agents de Ddd. Malheureusement, ces toilettes ne sont ouvertes que quand les bus de la compagnie sont au rendez-vous».
L’endroit reste isolé et enclavé, n’étant entouré que de villas cossues comme le Petit Palais, villa de fonction du Premier ministre, la résidence de l’ambassadeur de France ou celle du Délégué de la Commission européenne, ainsi que des bâtiments de rapport, comme deux cliniques pour Dakarois riches. Des endroits où ils pourraient difficilement solliciter de pouvoir se soulager ou se sustenter.
De la Place Protêt au Cap Manuel
Le premier Palais de justice de Dakar avait été construit sur la Place Protêt, aujourd’hui Place de l’indépendance. En 1904, de- venu exigu et délabré, et ne correspondant plus à la majesté que l’on se plait à donner à la justice, un magnifique bâtiment de quatre étages est construit pour le remplacer. Bâtiment qui dresse son architecture moderne au sommet du Cap-Vert, à l’extrémité de l’avenue Pasteur.
Le nouveau Palais de justice entre en fonction dans le cadre de cette reformulation partielle de la signalétique architecturale du pouvoir de l’Aof, selon ce que disent les archives de l’époque.
Lors de sa construction, la ville de Dakar comptait 300.000 habitants, et l’on a estimé que le nouvel édifice pouvait prendre en charge les besoins de la portion des justiciables dans cette population. Quoi qu’il en soit, l’ancien palais de justice de la Place Protêt tombait en décrépitude et revenait, par l’entretient qu’il nécessitait, trop cher aux autorités.
Pour faire face encore à d’autres besoins, à la fin de 1954, Me Boissier Palun posait la première pierre du palais de justice du Cap Manuel, inauguré le 20 décembre 1958 par M. Pierre Messmer, alors haut fonctionnaire de la République en Afo,.
Le palais dont les lignes ont été conçues par l’architecte Robert Boy, comprenait, outre les bureaux et la bibliothèque des avocats, huit salles d’audience. Sa Salle des Pas Perdus avec son patio central, est une véritable «foret de colonnades» rappelant les mosquées d’Afrique du nord, comme le décrivent alors les publications de l’époque. A l’époque de son inauguration, 36 avocats étaient inscrits au barreau de Dakar.