UNE VIE DE COMBATS
MAWADE WADE, 1928-2005
"Nos mains crispées dans l’étreinte du combat
Montrent à ceux qui pleurent des éclats d’avenir"
David Diop, L’agonie des chaînes (in Coups de pilon, Présence africaine 1961)
Le patriote David Diop s’est imposé à nous, au moment de la célébration du rappel à Dieu (le 13 septembre 2004) de notre très cher ami Maa. Nous ne pouvons oublier cet être digne et sincère, qui a consacré sa vie au combat multiforme engendré par ses solides convictions et ses choix généreux qui ont jalonné les péripéties de son riche parcours.
Mawade, le pédagogue
C’est d’abord le pédagogue formaté par le cadre enrichissant de William Ponty, pépinière des libérateurs de l’Afrique occidentale française qui prirent en main les luttes syndicales et politiques, à une période où celles-ci étaient sévèrement réprimées.
La méthode la plus usitée contre les intellectuels consistait à les disséminer vers la périphérie, à les éloigner du centre (Dakar, Rufisque, Gorée et Saint-Louis). C’est ainsi que Maa sillonna le pays et démontra ses merveilleuses qualités de pédagogue à Kaolack, à Ziguinchor, à Sindone et à Kolda.
Il réalisa des merveilles au concours d’entrée en 6e, où ses élèves occupèrent souvent les premières places sur le plan national. Car, en dehors de la classe, il se transformait en répétiteur, mais aussi en initiateur dans le domaine du sport et surtout du football.
A ce propos, le témoignage délivré par l’honorable député Serigne Mansour Sy Djamil, au cours d’une émission, mérite d’être cité. Elève de Mawade, il va devenir banquier grâce à cette relation, en raison de l’amour des mathématiques inculqué par son maître.
Celui-ci refusait systématiquement d’enseigner à ses élèves l’histoire de France inscrite au programme officiel pour leur éviter d’avoir pour ancêtres des Gaulois et, à la place, les initier… au calcul.
Pape Dione dit "Vieux Balle", condisciple du député, précise :
"Dans notre classe, à l’école Brière, il y avait Serigne Mansour Sy Djamil, footballeur doué et excellent handballeur, Benjelloun, guitariste du Baobab, très grand gardien et handballeur, Seydou Diaw, spécialiste du 400 m et footballeur." L’un de ses anciens élèves, renvoyé de l’école par son prédécesseur, pour "insuffisances de résultats", fut repris et accompagné par Mawade et sera l’un des plus brillants élèves du Sénégal : l’amiral Gassama Faye.
Mawade Wade et la lutte syndicale et patriotique
La lutte constante pour l’indépendance des peuples d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine permit à Maa de participer au Congrès de la Fédération mondiale de la jeunesse démocratique, au siège de cette organisation, à Budapest.
Au sein du Syndicat unique de l’enseignement laïc (Suel) en compagnie de Souleymane Ndiaye, de Madické Wade et d’Amadou Guèye Gabin, il prit une part prépondérante à la lutte des enseignants, mais aussi à celle des travailleurs d’autres secteurs, au niveau de l’Union générale des travailleurs d’Afrique noire (Ugtan).
Ce grand débatteur, lucide, éloquent et cultivé, avait toutes les prédispositions du porte-parole qu’il était devenu. Ce qui lui permit de tisser de solides liens avec les dirigeants de la "révolution africaine" comme Sékou Touré, Ben Bella, Kwamé Nkrumah et d’autres militants anglophones en Afrique australe.
C’est cette dimension qui lui permit d’ailleurs d’avoir des entrées faciles dans beaucoup de capitales africaines et d’être souvent un émissaire discret pour rapprocher des positions jugées irréconciliables. Ces postures nobles lui engendrèrent souvent des inimitiés solides et sordides.
A tous ses censeurs, il répondit :
"Quant à moi, on déclare sereinement que je ne connais rien. C’est absolument faux ! Je veux démystifier. C’est pour des raisons plus ou moins antinationales parfois que l’on prône de telles idées. C’est assez souvent d’ailleurs pour des raisons antinationales."
Le football : intelligence en mouvement
Pour en revenir à sa passion le football, les dons de pédagogue firent de Maa un grand découvrir de talents. Surtout au Réveil et au Brack de Saint-Louis, avec Abdou Dia "Douglas", Alioune Fall, Petit Guèye, Yérim Diagne, Germain Faye, Yatma Diouck, Mamour Sène, Petit Ousmane, Médoune Fall, Balla Diakhaté, Boubacar Diallo dit "Poulho", Anoun Ndiaye, Mansour Ciss, Léopold Diop Salam, Blek Ciss.
En équipe nationale, il nous parlait avec extase de cette génération de joueurs talentueux : Louis Camara, Moustapha Dieng, Loulou Gomis, Fadel Fall, Yatma Diop, Matar Niang, Doudou Diongue, Diémé, Saliou Cissé "Chita", Mamadou Diop "Boy Dakar", Alpha Touré, Camou, Assane Mboup, Demba Mbaye, Oumar Guèye Samb, Bamba Diarra, El Hadj Sarr, Samassa, Laye Sène, Assane Paye, Locotte, Mame Touty…
Pendant des heures, il pouvait se transformer en consultant et rappeler la technique de Louis Camara, le placement de Malick Diallo, la clairvoyance de Chita Cissé, le culot de Demba Thioye et de Doudou Diongue, mais aussi la frappe lourde de "Takac" Baye Moussé Woré Paye.
Auparavant, Maa s’était perfectionné sur le plan technique en Hongrie, à l’invitation de Gustav Sebès, entraîneur de la grande équipe de Hongrie finaliste de la Coupe du monde en 1954 et incontestablement l’une des meilleures équipes de l’histoire du football. Il fréquenta le camp d’entraînement de Tatabanya et fut accueilli ensuite, avec Jo Diop, à l’Institut supérieur des sports, centre de formation des entraîneurs de haut niveau.
Cette quête permanente de perfectionnement lui permit, au Sénégal et dans le monde, d’apporter une contribution inestimable débouchant sur une conception "humaniste" du football. Il s’orienta, avec ses amis du Miroir du football de François Thébaud, d’Afrique Asie de Mahjoub Faouzi, mais aussi avec ses collègues Lamine Diack, Jo Diop, Francky de Ouakam, etc., vers une organisation du jeu libérant les énormes ressources dans la création, la coopération et la solidarité.
Notre pays put ainsi détenir un patrimoine historique et sportif propre dans l’analyse et la réflexion, pour une répartition judicieuse des tâches distribuées à des êtres qui réfléchissent ensemble, agissent collectivement et s’épanouissent. Car, comme le disait Mawade, "le football, c’est de l’intelligence en mouvement".
Sur le plan international, Maa sera membre du Comité exécutif de la Confédération africaine de football (Caf), premier responsable de la structure technique de la Caf, instructeur de la Caf et de la Fifa. L’Afrique du football, avec à sa tête le président Issa Hayatou, lui a rendu l’hommage qu’exigeait son combat pour le développement du football de notre continent.
Beaucoup de pays africains ont envoyé d’imposantes délégations pour partager avec ses compatriotes cette immense perte survenue le 13 septembre 2004.
Il reste aux pouvoirs politiques et sportifs l’obligation d’honorer ce tribun qui s’est battu toute sa vie pour l’émergence de notre pays, comme il le précisait lui-même en 1976 :
"En ce moment (…) difficile, nous pouvons puiser dans les vertus profondes de notre peuple une force qui nous permettrait, quels que soient les aléas de la vie, d’être parmi les forces émergentes de l’humanité."
Oui, Mawade, c’est toute une existence consacrée à la lutte politique, syndicale, sportive, au service du Sénégal et des peuples opprimés. Il mérite bien une reconnaissance éternelle par les institutions étatiques et la ville de Ndar.
Jo Diop, président de l’Association des entraîneurs de football du Sénégal, Membre de la Commission de développement technique de la Caf
Badara Mamaya Sène, Instructeur Caf et Fifa en arbitrage)
Doudou Sène, entraîneur, Inspecteur de la Jeunesse et des Sports)