«AIDER ALIOU CISSE, MAIS NE PAS L’ENCOMBRER»
LAMINE DIACK, PRESIDENT DE L’IAAF
Plus connu dans la sphère de l’athlétisme, Lamine Diack n’en est pas moins un acteur de premier plan de l’histoire du football sénégalais. Auteur de la fameuse réforme de 1969 qui porte d’ailleurs son nom, l’’actuel président de l’IAAF a également coaché les Lions à la CAN 1968 en compagnie de Mawade Wade et Joe Diop. Lamine Diack se prononce, dans cet entretien exclusif avec Stades, sur l’équipe de football du Sénégal.
Nomination d’Aliou Cissé comme sélectionneur de l’équipe du Sénégal de football ?
j’ai eu à le rencontrer quand il était à Birmingham. Aliou Cissé, c’est un garçon qui a du caractère. je pense que si nous voulons qu’il fasse des résultats, il faut qu’on le laisse travailler, l’épauler surtout et ne pas l’encombrer. On n’a pas besoin d’aller chercher un entraîneur étranger. Si, à l’heure actuelle, il n’y a pas un Sénégalais pour diriger l’équipe nationale, ce serait une vraie catastrophe. Il faut qu’il soit encadré. Mais, il y a des tâches que d’autres doivent faire pour l’aider. Cependant, le problème au Sénégal, c’est que tout le monde pense connaître le football.
Vous avez l’expérience de la CaN pour avoir déjà dirigé techniquement les Lions, notamment à Asmara 1968…
Oui j’étais avec Mawade Wade et joe Diop. Mawade était un instituteur qui était un bon théoricien du football, Joe était lui maître d’éducation physique et a été un bon footballeur. En France, moi j’ai joué au niveau le plus élevé. inspecteur de la jeunesse, on m’appelait directeur technique. C’est ce trio qui faisait l’équipe d’Asmara. Il y avait des choses qui relevaient de moi. Les problèmes de discipline ce n’était pas moi, mais Mawade. je leur disais : vous travaillez sur le terrain c’est vous qui choisissez les joueurs à faire jouer. je ne me mêle pas de cela, mais je peux vous dire que celui-là n’est pas bon parce que j’en sais autant que vous, mais c’est vous qui entraînez. Mais on était un bon trio ensemble. Quand il fallait sanctionner quelqu’un, c’est eux qui prenaient la mesure.
Ne pensez-vous pas qu’Aliou Cissé, jeune technicien porté à la tête de la sélection, devrait bénéficier de la même assistance ?
Effectivement, Aliou doit avoir autour de lui des gens qui l’aident dans sa mission. Mais, aujourd’hui, quand l’équipe nationale se déplace, il y a tellement de monde autour qui ne font rien. le drame du football, c’est que tout le monde pense qu’il s’y connaît ; alors chacun se dit qu’il doit y être. Or, une équipe, on la laisse travailler, mais on ne doit pas l’encombrer. Si on le laisse travailler avec ses collaborateurs, il a suffisamment de caractère pour faire de bons résultats. Maintenant, vous savez, faire une équipe avec des joueurs qui sont nés en France, qui y ont grandi et qui ont décidé de venir jouer au Sénégal avec d’autres qui ont grandi ici pour que la mayonnaise prenne forme, ce n’est pas simple. Il faudra donc de l’humilité, mais aussi que les collaborateurs sachent que c’est une équipe qui gagne et une équipe c’est des gens qui se complètent. Ce n’est pas des gens qui soulignent les insuffisances de l’autre, c’est des gens qui se complètent. Au Sénégal on échoue toujours, parce que si on gagne tout le monde dit c’est moi. Quand ça ne marche pas tout le monde dit c’est lui. On dit jamais nous. Il faut dire nous quand ça ne marche pas, et nous si on gagne.
On sait que vous avez coaché le Foyer France Sénégal et que vous avez remporté plusieurs titres. Fonctionniez-vous dans cette formule ?
Quand j’ai pris le Foyer, j’avais conscience que j’avais des moyens et tout. j’étais l’entraîneur, il y avait le président, il y avait tout une organisation. je ne me mettais pas devant parce que tout le monde apportait et nous avons tout gagné à l’époque. Alors qu’on n’avait pas gagné une Coupe depuis 1948 et on a tout raflé. Parce que nous étions ensemble, et nous disons nous. Voilà comment on travaillait, chacun donnait selon ses possibilités. Vous avez des moyens, vous les apportez pour la collectivité.
Quelle est la part des joueurs dans une réussite d’Aliou Cissé sur le banc de l’équipe du Sénégal ?
Il faut que les joueurs se lancent dans la même mentalité que lui. Un joueur qui vient d’un club où il touche par mois 200 000 euros (130 millions FCFA) ne vient pas au Sénégal pour des primes. Si avec les primes on commence à dire qu’on va leur donner tant ou tant, ce n’est pas la peine ils ne gagneront rien. À un moment donné, au liberia, c’est george Weah qui payait les billets d’avion, les regroupements, les déplacements et tout. Il prenait en charge son pays parce qu’il en avait les moyens. Ici, quand les joueurs arrivent, on commence à dire qu’on va leur donner 5 millions ou 10 millions. Un jour, j’ai dit à feu jules François Bocandé que j’avais entendu rouspéter que dans son club il touchait 25 millions par mois. C’est-à-dire plus que tout le Conseil des ministres le président de la République y compris. je lui ai dit qu’il n’avait rien à faire avec une prime sénégalaise, qu’il devait amener des équipements pour des équipes de jeunes, se contenter d’un billet d’avion de classe économique. je lui dis que c’était ça son rôle, c’est ce qu’il doit faire. Très poli, patriote et respectueux, il me répond : «doyen, vous avez raison». je pense que les rapports entre le Sénégal et ses joueurs ne doit pas se bâtir sur des primes.
Est-ce que l’actuelle génération ne souffre pas du manque d’un leader technique comme l’ont pu être feu Jules Bocandé ou El Hadji Diouf ?
C’est une équipe qui gagne, ce n’est pas un individu ou un ensemble d’individualités. Une équipe, c’est des gens qui se complètent. Un jour, aux émirats Arabes Unis, j’ai discuté avec feu Metsu. je lui ai dit : j’aurais été à tes côtés à la Coupe du monde tu serais allé en demifinale.Il fallait simplement dire qu’il y avait certains joueurs comme El Hadji Diouf et autres qui avaient pris des coups pendant longtemps. Il fallait les préparer, leur dire que ce match-là (quart de finale perdu 0-1 contre la Turquie, ndlr) tu joues 50 minutes et tu sors et tel te remplace. je lui ai dit que l’équipe avait besoin de sang neuf mais il (Metsu) n’osait faire sortir personne. Parce qu’il ne s’y était pas préparé. le cas échéant, El Hadji saurait qu’il jouerait 60 minutes, et un tel prendrait le relais pour les 30 dernières minutes et là on gagne. Il (Metsu) me dit : c’est vrai. Il n’avait pas de complément pour lui dire : attention, les gosses ont pris pas mal de coups jusqu’ici et certains risquent de ne pas terminer le match contre la Turquie et que d’autres devaient se préparer pour faire la différence et on gagne. En 2002, On avait une équipe extraordinaire.