«IL A ETE TELLEMENT MEURTRI PAR SA DEFAITE QU’IL S’EST BARRICADE DANS LE DENI DE SON NOUVEAU STATUT D’EX-PRESIDENT»
MAMADOU MBODJI, PSYCHOLOGUE-UCAD SUR LES SORTIES DE WADE
Cette interview du psychologue clinicien-psychothérapeute Mamadou Mbodji est parue dans les colonnes de « l’As » le 16 juin 2012, c’est-à-dire trois mois seulement après le départ du pouvoir de Me Abdoulaye Wade. A cette époque, beaucoup de Sénégalais étaient restés interloqués devant le comportement particulièrement singulier de l’ancien Président qui multipliait les attaques contre son tout nouveau successeur au Palais de la République. A l’époque, la traque des biens mal acquis qui vaut aujourd’hui à son fils Karim Wade ses déboires judiciaires n’était pas encore déclenchée. Presque trois ans après sa publication, cette interview demeure plus que d’actualité. Et l’analyse faite par le Pr Mbodji défie le temps et ne prend aucune ride. «L’As» reproduit in extenso cet entretien qui avait fait la Une de son édition du Samedi 16 Juin 2012
L’As : En tant que spécialiste des comportements humains, comment analysez-vous l’attitude de l’ancien chef de l’Etat qui, depuis quelque temps, s’illustre par des sorties fracassantes et intempestives. ?
MAMAdoU MBODJ : Abdoulaye Wade a perdu le pouvoir alors qu’il ne s’y attendait absolument pas ! Ce qui donne une idée du bonhomme qui se prenait depuis son élection en 2000 pour un demi-dieu sur terre et du coup, considérait le Sénégal comme sa propriété et tous les Sénégalais comme ses valets, tout juste bons pour le servir et subir ses folies, ses caprices et ses incongruités avec le sourire ! Il a été particulièrement surpris et meurtri par sa défaite et s’est senti profondément humilié ! Sa douleur, son désarroi et son amertume sont tels qu’il s’est enfermé voire barricadé dans le déni de sa nouvelle situation et de son nouveau statut d’ex-Président. Il a du mal à intégrer le fait qu’il n’est plus au pouvoir et n’a donc plus le pouvoir ! Alors il recrée autour de lui, dans des schémas très réduits, un univers «miniaturisé » de pouvoir qui lui donne l’illusion qu’il a encore du pouvoir, à défaut d’avoir le pouvoir ! Il est dans un petit palais, avec un personnel réduit, reçoit en audience, «décrète», profère des menaces, interpelle, enjoint, s’agite, sermonne, planifie, organise, donne des conférences de presse, occupe le devant de l’actualité, fait tout pour que les Sénégalais ne restent pas un jour sans entendre parler de lui! Tout cela est fait de telle sorte qu’aujourd’hui, si l’on recensait l’intégralité de la presse sénégalaise, l’on verrait que l’on y parle plus d’Abdoulaye Wade -pourtant ex- Président, éjecté à jamais du pouvoir, un homme fini, un homme dont les Sénégalais en majorité ne veulent plus- que de Macky Sall le nouveau président de la République !
L’ex-Président est dans le déni ! Acte par lequel il semble parvenir à ne pas prendre en considération sa mise à l’écart du pouvoir et une bonne partie de toute la réalité nouvelle et amère que cela engendre ! C’est, me semble-t-il, cela qui est à la base de toute cette agitation si typique des gens qui ont perdu la raison et donc tout contrôle d’euxmêmes, toute forme de décence et de retenue. Tout cela constitue un rempart, une protection psychique contre l’angoisse générée par la situation nouvelle et si brutale à laquelle il ne s’attendait guère. Mais tout cela n’en trahit pas moins un manque de hauteur de vue et de décence, du mépris pour ses concitoyens et pour cette poignée d’inconditionnels béni-oui-oui qui s’agitent autour de lui et contribuent à lui donner l’illusion qu’il a encore, à défaut de pouvoir, beaucoup d’influence et une capacité de nuisance. Est-ce véritablement de cela dont le pays a besoin en ce moment ? Doiton laisser cette poignée d’excités et d’exaltés, qui ont conduit le pays dans la situation actuelle, continuer leurs manoeuvres visant à vouloir compromettre, ralentir ou freiner le processus actuel d’amorce de ce tournant décisif pour notre pays ? J’ai déjà eu à dire ailleurs que cette agitation indécente et fort étonnante chez un homme de bientôt 90 ans, toute cette énergie débordante et ce sentiment de puissance et d’invincibilité qu’il affiche, devraient interpeller sérieusement son entourage et inciter les journalistes à faire preuve de plus de discernement dans le traitement qu’ils font quotidiennement de la conduite foncièrement activiste et indécente de l’ancien Président sénégalais. Les échos qui nous parviennent des invectives, mises en demeure et menaces de l’ex-Président saturent l’atmosphère et nous polluent l’air. Y en a marre ! Si malgré son âge et son statut il ne respecte pas les Sénégalais, je ne me sens pas le devoir de lui témoigner du respect !
Quel objectif vise-t-il en agissant ainsi ?
Tout ce qui pourrait lui permettre de rester illusoirement suspendu au-dessus du commun des mortels et de continuer de croire qu’il peut frayer avec les anges et les dieux –et les tutoyer à volonté- persuadé depuis son élection en 2000 qu’il échappe au sort commun réservé aux simples mortels que sont les humains, car lui Wade se considère comme un demi-dieu ! Il a manifestement oublié que ce sont ces hommes et ces femmes, pour qui il semble manifester si peu d’estime et de respect, qui l’avaient élu en 2000 et l’ont éjecté du pouvoir en 2012. Quel pouvoir peut-il avoir au Sénégal, une fois que les Sénégalais ont décidé de lui enlever proprement celui qu’ils lui avaient confié en 2000 et 2007 ? AUCUN ! Tout le reste n’est que vanité ! Et ce serait une erreur de penser que toute cette agitation de l’ex-Président n’est mue que par son souci de servir de bouclier à sa famille et à ses fidèles ouailles menacées de poursuites judiciaires. Au vu de tout son comportement et de ses manières de faire, aussi bien dans l’opposition politique pendant un quart de siècle que durant les douze ans qu’il a passé au pouvoir, nous estimons que personne d’autre n’intéresse l’ex-Président que lui-même ! Rien ne le préoccupe d’autre que le pouvoir et l’ivresse que lui procure son exercice.Et aujourd’hui qu’il est définitivement hors du pouvoir, son agitation, son hyperactivité, ses gesticulations et ses invectives à l’endroit des nouveaux tenants du pouvoir sont dues au traumatisme lié à sa perte du pouvoir, à l’amertume subséquente qu’il a du mal à contenir, à dissimuler et à l’angoisse de ne pas survivre au fait de ne plus être au devant de la scène et de ne plus faire l’actualité. Il s’était tellement identifié au pouvoir qu’il aura beaucoup de mal à s’accommoder de sa perte.
Toute cette étonnante dépense d’énergie pourrait certes constituer un sérieux rempart contre la dépression si courante à cet âge. Mais quels que soient ses mobiles et/ou ses motivations dans ses menées subversives -le mot me semble approprié- à l’encontre du nouveau pouvoir, j’estime que les Sénégalais devraient s’ériger en bouclier de ce nouveau régime, en disant STOP à Wade et à ses lieutenants exaltés. Personne aujourd’hui dans notre pays ne gagnerait quoi que ce soit à ce que Macky Sall et son équipe échouent ou soient déstabilisés ! Selon un ami sociologue sénégalais, «notre jeune Président tente quand même de faire ce que Diouf et Wade n’ont pas osé faire. Certes il n’est pas parfait, mais en le poussant et en l’encourageant à effectuer des réformes véritables et en le soutenant dans cette phase cruciale (ce qu’un ami appelle l’alliance conflictuelle) on arrivera à quelque chose (...). Si le pays rate ce tournant décisif, ce sera dur pour la suite et on le payera cher.» Conscients de l’importance des enjeux actuels et des urgences auxquels est confronté le pays, nous ne devons pas laisser Wade le déstabiliser.
En s’illustrant de la sorte, contrairement à ses prédécesseurs (Senghor et diouf) qui se sont astreints à un devoir de réserve, Wade ne prouve-t-il pas qu’il ne s’était pas préparé à une vie en dehors du pouvoir ?
Dès novembre 2009, lors d’une interview avec un de vos confrères, j’avais dit que «sa déclaration de candidature à la présidentielle trahissait une volonté manifeste de mourir au pouvoir et que malgré ses masques, c’était cela son projet ». Wade ne se voyant pas hors du pouvoir, ne pouvait donc pas se préparer à une vie en dehors du pouvoir. Cette défaite aura été un traumatisme qui l’a rendu amer et a brouillé ses repères. Dieu seul sait comment il s’en tirera !