«LE SECTEUR MERITE D’ETRE RESTRUCTURE»
MASSOURANG SOURANG, EXPERT JURIDIQUE EN AVIATION CIVILE, AGENT DE L’ANACIM
L'actualité est fortement marquée par le secteur aéronautique avec la menace de la compagnie Emirates d'arrêter ses vols à Dakar et la volonté de South African Airways de réduire ses vols hebdomadaires de 21 à 4. L'expert juridique en aviation civile massourang Sourang, explique les contours de ces affaires, non sans faire un diagnostic sans complaisance du secteur aéronautique sénégalais qui, à son avis, a besoin d'être restructuré pour être plus efficace. L'inspecteur en sûreté, vice-président du Comité juridique de l'Oaci à Montréal et expert juridique à la Commission africaine de l'aviation civile et par ailleurs agent de l'Anacim, est d'avis que les cadres du secteur prennent les devants.
"Ce qui m'étonne dans cette histoire, c'est que depuis 1997 j'ai géré les accords aériens au niveau de l'Anacs. Un accord aérien est un contrat entre l'Etat du Sénégal et l'Etat qui veut conclure un partenariat en matière d'aviation, dans lequel chaque partie prévoit la compagnie aérienne qui va desservir son pays. Avec mon expérience, je ne vois pas un problème qui devait intervenir entre l'Etat et une compagnie aérienne. Pour Emirates, je faisais partie de la délégation pour préparer les dossiers et aller négocier à Dubai avec les Emirats Arabes Unis. Le processus a été enclenché en 2005", a renseigné Massourang Sourang concernant le différend avec Emirates.
"L'ANACIM ne peut imposer a une compagnie un prestataire de service"
D'après son constat, il pense que c'est un problème commercial. "Nous avons en matière d'assistance en escale, qui est l'objet du différend, un texte, un décret et un arrêté et j'étais à la base même de ce projet de texte. Et il n'est fait mention nulle part dans ce texte que l'Anacim pouvait imposer à une compagnie un prestataire de service.
Tout ce que l'Anacim peut faire, c'est de voir si le prestataire dispose des agréments ou des permis d'exploitation aérienne nécessaires. Pour l'assistance en escale, il faut un agrément. Les textes disent qu'il faut deux sociétés qui sont autorisées à faire l'assistance en escale (c'est Shs et Ahs). Par contre, certaines compagnies peuvent faire de l'auto-assistance, comme Air France qui a l'agrément pour ça". Il poursuit que les autres compagnies qui n'ont pas le droit de faire une auto-assistance doivent systématiquement se référer aux deux sociétés d'assistance au Sénégal.
Pour South African Airways, il rappelle : "C'est nous qui étions partis pour leur permettre de desservir Dakar. En plus de Dakar, on leur a offert ce qu'on appelle la sixième liberté. En plus de l'accord aérien, on les a autorisés à desservir les aéroports américains parce que Dakar fait partie des 5 aérodromes en Afrique qui desservent les Etats Unis ; vous allez à Abidjan, vous ne pouvez pas quitter pour aller directement aux Etats Unis. Après South African qui avait sa base à Accra l'a déplacée à Dakar avec l'essentiel de ses activités au Sénégal".
"Quand on confie des responsabilités a des gens avec des compétences moindres, forcement ça se traduit.."
Compte tenu de toutes les opportunités que leur offre Dakar, Massourang Sourang dit ne pas comprendre la volonté de South African Airways de passer de 21 vols à 4 par semaine. "Il faut voir le problème et négocier. Le Directeur de l'aviation civile, dans le cadre de la gestion des compagnies aériennes, doit périodiquement appeler le Bar, l'association des compagnies aériennes pour discuter avec eux, même sans objet pour prévenir un certain nombre de problèmes. Mais quand on confie des responsabilités à des gens avec des compétences moindres, forcément ça se traduit. C'est de la diplomatie, c'est de la gestion, et aussi un peu de technique. Si la compagnie réduit ses vols, c'est sérieux quand même", peste M. Sourang.
Ce dernier est d'avis que l'aviation civile ne doit pas être gérée par n'importe qui. Sur la cherté des taxes qui rendrait moins attrayante la destination Sénégal, il explique : "On a libéralisé le tarif du billet. L'Etat a des taxes qui sont connues et qui sont figées. La question qui se pose c'est comment peut-on demander à un Etat d'enlever ses taxes alors que les compagnies ont le monopole de la conception et de la structuration de leurs prix qui bougent du jour au lendemain. La taxe de l'Etat c'est la Rdia (55 euros) instaurée en 2005 pour permettre le financement de l'aéroport de Diass, la redevance passagère (environ 30 000 francs Cfa) payée aux Ads, la redevance aviation civile et la redevance sûreté".
Objets similaires des ADS et de l'AIBD
Poursuivant son diagnostic de la situation, il analyse d'autres structures comme les Ads et Aibd qui se font un peu de l'ombre à son avis.
"Le secteur mérite d'être restructuré. Pourquoi un représentant de l'Aibd, qui est une société semi étatique privée, siège au Conseil d'administration de l'Anacim ? C'est une aberration parce que l'Anacim est le régulateur. Normalement, ne devaient être présents au Conseil d'administration de l'Anacim que des représentants des ministères parce que c'est l'Etat. L'Aibd a le même objet que les Ads, alors que l'agence des aéroports du Sénégal créée en 2008 a la vocation de gérer et d'exploiter tous les aéroports du Sénégal. En créant Aibd et en lui donnant le même objet que l'Ads, on crée des problèmes", analyse l'expert en aviation civile.
Pour lui, le régime de Wade avait un schéma très clair qui consistait à dissoudre les Ads, créer une agence régionale des aérodromes et ensuite confier la gestion de Aibd à des privés. "Macky Sall est venu et a ressuscité les Ads. On devait limiter l'objet de Aibd en lui donnant seulement comme objet la construction de l'aéroport et donner la gestion à l'agence. La conséquence c'est que si la gestion est confiée à une structure privée, le secteur n'aura plus de ressources pour vivre, et il y aura même des problèmes de financement de la compagnie Sénégal Airline. La conséquence sociale avec ces problèmes va être le licenciement de 50 % du personnel des Ads à l'ouverture de l'Aibd. Si cet aéroport est confié à un privé, c'est la mort programmée des Ads. Malheureusement, les schémas actuels nous mènent au chômage, même s'il n'en a jamais été question pour le président de la République", martèle M. Sourang.
Toutefois, malgré la concurrence des aéroports d'Abidjan et d'Accra, il estime que Dakar est un hub aérien naturel et que le Sénégal a la confiance des Américains. "C'est moi qui ai mis en place le système de sûreté de l'aéroport de Dakar et les Américains ont confiance en nous en matière de sûreté", confie-t-il. L'Anacim est une structure de fait Par ailleurs, il estime qu'en 2009 un décret fusionnant la météo avec l'Anacs a été pris pour créer l'Anacim, ce qui peut être considéré comme illégal. "Depuis quand un décret peut modifier une loi, l'Anacs a été créée par une loi ?
L'Anacim est une agence de fait. Ce sont les erreurs de l'ancien régime qu'on n'a pas corrigées jusqu'à présent. Une structure de régulation n'a pas à être fusionnée avec une structure opérationnelle. La météo qu'on a fusionnée avec l'Anacs n'a rien de météo aéronautique. Ce sont deux problèmes qui se posent sur le plan aéronautique ", indique M. Sourang.
Sur le contentieux entre Emirates et l'Etat du Sénégal, M. Sourang analyse :
"Ahs, pour le faire, doit avoir les agréments de l'aviation civile, parce que c'est une société d'assistance en escale reconnue mais c'est la maintenance en ligne qui pose problème. Dès l'instant qu'une compagnie arrive au Sénégal et sollicite une autre société qui a les compétences et les autorisations nécessaires pour faire cette activité, rien ne s'y oppose. D'autant plus qu'il n'est fait mention nulle part dans les textes que l'Anacim pouvait intervenir dans les questions commerciales. On dit qu'on a voulu imposer Ahs à Emirates mais ça m'étonnait parce qu'au regard des textes cela n'est pas mentionné. Je ne peux pas croire que l'Anacim puisse imposer à une compagnie aérienne d'aller vers telle compagnie pour faire de la maintenance en ligne. Par contre, il peut y avoir d'autres problèmes qui sont des non-dits".