«MACKY ‘DU DEM’, C’EST DEVENU IMPROPRE, LA QUESTION, C’EST OU EST-CE QU’IL VA S’ARRETER DANS LE RECUL ?»
MAMADOU DIOP «DECROIX», COORDONNATEUR DU FRONT PATRIOTIQUE ET LEADER D'AJ/PADS
C'est un violent réquisitoire contre le régime en place que Mamadou Diop «Decroix» fait, dans l'entretien grand-format qu'il nous a accordé. Le coordonnateur du Front patriotique pour la défense de la République (Fpdr) et Secrétaire général d'And-jëf/Pads estime que la question, aujourd'hui, ce n'est pas «Macky 'du dem'», mais «où il va s'arrêter dans le recul ?»
Des partis de l'opposition, dont le vôtre, ont décidé de mettre en place un Front pour lutter contre la fraude électorale. Avez-vous de réelles preuves que le régime est en train de planifier une stratégie de fraude en vue des prochaines joutes électorales ?
Je crois que votre question est importante. Il faut que les Sénégalais comprennent très bien ce dont il s’agit, parce que ce n’est pas une affaire seulement des acteurs politiques. Quand on parle de transparence et de régularité des élections, quand on parle d’élections libres et honnêtes, ce ne sont pas seulement les acteurs politiques qui sont interpellés. Les acteurs politiques sont des concurrents sur le champ politique, mais vous avez également les électeurs, les citoyens qui votent, qui décident de qui doit diriger le pays et de qui va aller à l’Assemblée nationale ou même dans les instances de la gouvernance locale. Donc, c’est en fait tous les citoyens du pays qui sont concernés. Nous nous attendions à ce que le régime en place observa les règles que ses prédécesseurs ont observées, c’est-à-dire, s’assurer que les acteurs qui partagent cet exercice véritablement soient en contact permanent, comme le faisait le comité de veille de l’époque. Vous avez un comité, l’opposition est là, le gouvernement est là, la Cena est représentée, et peut-être des acteurs de la société civile. C’est ce qui fait que le processus est surveillé comme le lait sur le feu, et chaque fois qu’il y a des dysfonctionnements, on les corrige rapidement. Et ça, ça n’existe pas. Et donc, la question des cartes nationales d’identité devient, ici ,une question fondamentale. J’ai entendu les amis du Président Sall dire qu’on ne peut plus voler des élections au Sénégal. Théoriquement - je dis bien théoriquement -; parce que, même pour le jour des scrutins, nous, on sait des choses. Mais, c’est vrai que beaucoup de portes ont été fermées par rapport à ce que j’appellerai le processus en aval, c’est-à-dire le jour du scrutin, le décompte des voix, le transport des procès-verbaux, etc. Mais, là, les cartes nationales d’identité, vous avez des millions de cartes nationales d’identité qui vont arriver à expiration en 2016, et ces officines qui rassemblent les dossiers administratifs pour délivrer des cartes nationales d’identité, vous les faites fonctionner dans des officines de l’Apr. Et ça, ce n’est pas moi qui le dit, c’est l’arbitre des élections, la Commission électorale nationale autonome qui a dit que l’opposition a raison. Les récriminations qu’elle a formulées, ont été vérifiées sur le terrain. C’est très grave, et jusqu’ici, je n’ai pas entendu le gouvernement réagir de façon formelle sur ces questions-là, et donner des explications. Apparemment, c’est les chiens aboient, la caravane passe. Ça, c’est une question très importante. C’est pour ça que nous avons lancé un appel.
Quel est le sens de cet appel ?
Cet appel s’adresse à toutes les forces politiques et sociales qui pensent que le Sénégal doit rester stable et en paix, parce que les processus de dévolution du pouvoir sont protégés et sauvegardés, de façon que le suffrage et la volonté populaire, puissent être constamment respectés. Nous sommes au regret de dire que, si cette procédure n’est pas arrêtée, ça n’ira pas. Donc, un, nous avons dit que le ministre Abdoulaye Daouda Diallo ne puisse plus assurer la tutelle de l'organisation des élections. Le ministre de l’Intérieur, je ne parle pas d’Abdoulaye Diallo, en tant que tel. La presse a relayé que ces jours-ci, il est à Podor pour faire campagne, tout naturellement, pour son candidat, Macky Sall. C’est de bonne guerre. Mais, vous ne pouvez pas, samedi et dimanche, aller à Podor, s’occuper de l’élection de Macky Sall, et lundi et mardi, vous revenez à Dakar, pour dire que vous occupez des élections dans lesquelles Macky Sall est candidat. Nous avons dit qu’il faut une autre tutelle consensuelle. Et pour ça nous sommes prêts à aller trop loin. Très très loin. Je pense qu’il n’est pas nécessaire qu’on en arrive là. Le Président Diouf l’avait accepté. On a voté, et le pays est resté calme, en paix. Le Président Wade avait écouté son opposition qui est actuellement au pouvoir. Le Président Wade a désigné une personnalité non contestée pour gérer les élections. Alors, aujourd’hui, nous formulons la même revendication. Mais, nous n’avons pas encore entendu le Président Sall revenir sur cette question.
Pensez-vous qu'il est en train de vous snober ?
Peut-être qu’il considère que ça ne vaut pas la peine d'écouter l’opposition. Je ne veux pas avoir un mauvais esprit. Je pense que le Président va nous écouter et va installer cette commission, parce que là, nous demanderons, un, que le ministre de la tutelle n’exercera plus la fonction. Deuxièmement, nous demanderons que toute ces opérations soient auditées. Que tout ce qui a été fait en amont sur les cartes nationales d’identité soit audité, parce que vous avez même de fausses cartes d'identité. C’est-à-dire quelqu’un qui a 15 ans, vous lui donnez 20 ans. Donnez des cartes d'identité à des non-Sénégalais. Il faut auditer tout ça, et il faut annuler tout ce qui ne sera pas fait dans les règles de l’art. Sur cette question, c’est notre revendication fondamentale. Il faut ramener un espace, où les gens discutent du processus électoral et règlent les problèmes. Deux, une nouvelle tutelle qui soit consensuelle. Trois, audit des opérations déjà menées et annulation de tout ce qui ne marche pas. Et pour ça, c’est un vaste Front, genre coalition pour la régularité et pour la transparence des élections. Tous ceux qui pensent que les élections doivent être surveillées, contrôlées et encadrées, nous les appelons pour qu’on y travaille ensemble. C’est le sort de la stabilité et de la paix sociale qui est en jeu.
Le Front patriotique pour la défense de la République que vous coordonnez avait annoncé des séries de manifestations pour dénoncer les dérives de Macky Sall. Vous en êtes où ?
On avait dit après le Ramadan. Il faut nous laisser un peu boire de l’eau. Nous nous préparons. D’ailleurs, nous avons un séminaire dimanche (ndlr: hier). Nous allons passer toute la journée ensemble pour élaborer les questions de stratégies et de plan d’actions. Donc, nous allons nous faire entendre, très bientôt. Parce que, finalement, nous aurions préféré développer une opposition, plutôt soft, puisque que le Président Sall est en train de travailler, de se battre, pour respecter ses engagements, etc. Mais, en ce moment, on dira, c’est très bien. On critiquera ce qui ne marche pas. Malheureusement, ce n’est pas le cas. Là-dessus, on n’a pas besoin d’être un anti Macky Sall pour le dire. Même ses amis, théoriquement, devraient le reconnaître. Puisque, comment pouvez-vous promettre des centaines de milliers d’emplois, quand vous n’avez pas une économie qui tourne et qui soit capable de générer ces emplois ? Comment pouvez-vous avoir une économie qui tourne, qui génère des emplois, soit compétitive, si vous n’avez ni eau ni électricité ? L’électricité est fondamentale dans toute économie. Vous n’avez pas d’électricité, et quand vous l’avez aussi, c’est hors de portée. On dit que c’est la plus chère d’Afrique. Après, on vient vous dire, le Plan Sénégal émergent (Pse). Personne n’y croit. Maintenant, on organise même des «Lambs» émergents, des tours de thés émergents, tout est émergent. Plus on en parle, moins on émerge. La nation d’émergence est en train d’être tournée en dérision, et c’est ça qui est grave. L’un dans l’autre, nous sommes obligés de faire face. Les populations n’ont pas de courant, n’ont pas d’eau, l’école ne marche pas, l’hivernage qui a démarré a été mal préparé, les détenus politiques.
Vous êtes très dur avec Macky Sall et son régime...
Quand les Nations-unies ont donné une bouée de sauvetage au régime en place pour sortir de cette histoire de Karim Wade, de Crei, etc., grâce à l’avis du Groupe de travail des Nations-unies sur la détention arbitraire. Ils auraient pu s’appuyer sur ça pour s’en sortir, mais ils persistent et ils signent. On ne peut plus laisser des citoyens être mis en prison, parce qu’ils dérangent. Ça ne peut pas passer. Regardez les députés et quelques personnalités de l’ancien régime, on leur dit : «Vous ne sortez pas du pays», et aucune décision de justice ne leur notifie cela. C’est le fait du Prince. Vous ne devez pas sortir du territoire, vous êtes consignés. Vous ne pouvez pas faire de marche, vous ne pouvez pas faire de meeting, pendant qu’eux, ils font le tour du pays. Des maisons sont cassées, des milliards sont détruits, sans autorisation de justice, sans décision de justice, sans sommation. Maintenant, on est en train de sanctionner des fonctionnaires. Sanctionner des fonctionnaires, c’est admettre que l’Etat est fautif du fonctionnement. Alors, nul ne peut se prévaloir de ses propres turpitudes. L'Etat ne peut pas être responsable, et ensuite, venir démolir les maisons des gens. Il faut se mobiliser et se battre pour le retour de l’Etat de droit au Sénégal.
Est-ce à dire que vous avez été surpris par la position de Macky Sall par rapport à la décision rendue par le groupe de l’Onu sur l’affaire Karim Wade ?
C’est vraiment étonnant. Quand on parle du rapport de ce régime à la loi, je crois que c’est une question fondamentale sur laquelle il faut réfléchir, parce que le Sénégal a signé beaucoup d’accords et de conventions au plan international. Et ceux qui n’ont jamais fait de droit, eux-mêmes, comprennent que les conventions internationales auxquelles nous avons souscrites, ces conventions, l’emportent sur les lois nationales. La Cour de justice de la Cedeao s’était déjà prononcée sur l’interdiction de sortie du territoire de ces personnalités que j’ai évoquées. Non seulement, ça n’a pas été respecté, mais ils ont tourné la Cour en dérision. Ils se sont moqués publiquement de la Cour de justice de la Cedeao. Aujourd’hui, le Groupe de travail des Nations-unies sur la détention arbitraire a émis un avis, mais il faut écouter certains des porte-paroles du régime en place, ce qu’ils ont dit sur ce Groupe de travail. Je me garderais de répéter ces propos qui sont un manque de respect notoire. Ils disent qu’on n’a rien à leur apprendre, qu'ils font ce qui leur semble bon, qu’ils n’ont aucune décision à exécuter de la part de qui que ce soit. Après, ils disent que le Sénégal est membre de la Communauté internationale. Vous vous rendez compte ? Ce sont là des questions essentielles sur lesquelles les Sénégalais pourraient prêter une grande attention, parce que ce sont ces phénomènes qui s’accumulent et qui, demain, pourraient entraîner des difficultés graves.
La question de la réduction de la durée du mandat présidentiel pollue l'atmosphère politique. Et les propos de l'imam de la Grande Mosquée de Dakar sur ce sujet ont envenimé la situation. Que vous inspire tout cela ?
Moi, j’ai une position de principe sur cette affaire du mandat. Le candidat Macky Sall avait promis de réduire son mandat de 7 à 5 ans. Certains de ses amis ont dit que, ça, c’est une promesse électorale, la promesse du candidat électoral n’engage pas le président. Ok. Mais, quand il a été élu, il a dit et répété N fois qu’il va réduire son mandat de 7 ans à 5 ans. Personnellement, je ne réponds à aucune question sur cette affaire. Je prépare moi, les élections de 2017, Présidentielle et Législatives. Donc, comment le Président Sall va faire pour respecter son engagement. Franchement, ça ne me regarde pas. C’est lui que ça regarde. Moi, je prépare mes élections présidentielle et législatives de 2017. Point, tiré.
C’est parce que vous croyez qu’il ne va pas respecter sa parole ?
Non, non ! Il dit qu’il va le faire, donc, je me prépare. Je serai très imprudent, alors qu’il m’a dit qu’il va le faire, de considérer qu’il va aller en 2019. Je n’ai aucune raison de considérer que l’engagement ne sera pas respecté. C’est seulement, lorsqu’il sera avéré que l’engagement n’est pas respecté, que j’aviserai. Mais, pour l’instant, je ne réponds pas à ce type de préoccupations. Ce sont des modalités qui concernent le Président et qui ne me concernent pas.
Comment analysez-vous le procès de Hissein Habré qui a été ouvert à Dakar, le 20 juillet dernier, avant d'être suspendu pour 45 jours ?
Franchement, c’est un dossier que, personnellement, je n’ai pas suivi. Je vous le dis très honnêtement. Ce que je sais simplement, c’est que les Chambres africaines extraordinaires (Cae) me rappellent un peu la Crei. Je ne dis pas que c’est la Crei, mais ça me rappelle singulièrement la Crei. Moi, je suis très soucieux des procès équitables, mais toutes les informations dont je dispose, semblent indiquer que c’est le Tchad qui finance le procès. Quand c’est le Tchad qui finance le procès, je me pose des questions sur la fiabilité du procès, forcément.
Quid de la stratégie de défense adoptée par l'ancien Président tchadien ?
Hissein Habré est un éminent homme politique, c’est un stratège depuis les maquis. Lui, il n’est pas arrivé aux affaires comme ci, comme ça. Il s’est battu, l’arme à la main, pour être au pouvoir. C’est un stratège. C'est un politique très fin qui a une expérience. C’est un combattant. J’ai l’impression qu’il a un peu malmené les autres. On verra ce qui va suivre. Mais, j'ai beaucoup apprécié un point de vue. Je ne sais plus qui l'a défendu. Je l'ai vu dans la toile. Quelqu'un qui disait que les Tchadiens, nous sommes tous des Africains, ce sont nos frères. S’il y avait un conseil à leur donner, de façon très humble et fraternelle, ce serait de faire comme l’Afrique du Sud, de lancer une campagne vérité et réconciliation. Je pense que ce serait mieux que de s’engouffrer dans cette voie de la revanche. Je pense qu’en Afrique, on doit trouver des formules, parce que la revanche appelle la revanche qui déconstruit le tissu social et qui déstabilise de façon structurelle la nation.
Le Président Macky Sall a promis plus de 3000 milliards aux 13 régions qui ont déjà abrité un Conseil des ministres décentralisé. Quel commentaire en faites-vous ?
Je préfère ne pas répéter ce que tout le monde sait. Partout où il va, il promet. Parlons des promesses antérieures qui ne sont pas tenues au moins, plutôt que de continuer à parler, parce que sa stratégie est rentable. Il a passé tout son temps à promettre. C’est quand même un lénifiant. Dans nos sociétés pauvres, appauvries, sans perspectives, peut-être, que ça peut marcher. Au début, c’était pertinent d’en parler, mais, maintenant, ce n’est plus nécessaire de continuer à en parler. Donc, je n’en parle pas.
Cela veut-il dire que Macky «du dem», un slogan qui fait fureur?
Attention. Quand vous dites «du dem», vous insinuez la notion d’avancer, alors que là, on en train de reculer. Macky «du dem», c’est devenu impropre. La question, c’est où est-ce qu’il va s’arrêter dans le recul, mais pas «dina dem ou du dem». Et si on ne l’arrête pas... Il faut l'arrêter. La seule chose que je sais, c’est qu’on recule. Si on vote en 2017, je peux dire qu’on va s’arrêter en 2017, ça, c’est d'un point de vue temporel. Mais, du point de vue spatial, à quel niveau de descente, on va être, je ne le sais pas. La situation est très carabinée dans notre pays. On a une crise qui n’est pas spécifique au Sénégal, mais que partage la sous-région. Des pays qui, potentiellement, sont riches, mais qui ont été appauvris par des siècles d’esclavage, de colonialisme, de néocolonialisme. Au Sénégal, Wade a mis, quand même, des infrastructures très remarquables, mais globalement, on est dans cette situation. Macky a été bien élu, mais je crois qu’il aurait pu aller très loin, parce qu’il a été soutenu par toute l’opposition de l’époque et des forces de gauche qui menaient des combats de principe. Il connaissait également ceux qui ont perdu le pouvoir. Il n'est pas tombé du ciel. Ce tissu relationnel aurait pu lui permettre de rassembler l’essentiel des Sénégalais autour de son projet, qui lui aurait permis de faire le bilan de Wade, c'est-à-dire de voir, par exemple, toutes les batailles inachevées qui étaient menées sous Wade, par Wade, mais aussi par des adversaires de Wade. Toutes ces batailles pour le développement d’un Etat de droit, les batailles pour une citoyenneté, les batailles économiques, de réhabilitation culturelle. Toutes ces batailles, Macky aurait pu les mener avec le maximum de sénégalais. Malheureusement, il est tombé dans le travers de la revanche. La revanche, c’est plus facile, mais le facile, n’est jamais le chemin.
Qu'est-ce qu'il devait faire et qu'il n'a pas fait ?
Le chemin était, plutôt, qu’il se lança dans une stratégie de rassemblement. Le Pds qui est son parti se serait comporté différemment. Mais, il s’est lancé dans une politique de revanche, et depuis 3 ans, il n’a pas beaucoup de temps pour s’occuper du pays. Il s’occupe de ça. Beaucoup disent que Macky Sall les a déçus, les a surpris, les a trompés. Je ne crois pas tellement, parce qu’il avait dit que, s’il est élu, il va régler des comptes. On l’a élu, il règle des comptes. Il a mis Karim Wade, qui est le fils d’Abdoulaye Wade, en prison. Il est le seul. Il est le seul politicien, je veux parler des leaders. Comment il va convaincre les Sénégalais ? Il leur avait dit que c’était des milliers de milliards qui sont volés. Jusqu'à présent, il n’y a pas un seul franc Cfa aperçu, et je ne pense pas qu’il apercevra quelque chose de ce côté-là. C’est dommage pour lui, mais surtout dommage pour le pays. Nous sommes obligés de nous battre, parce que, dans un pays, il faut qu'il y ait des gens qui refusent l’injustice. Les gens doivent se battre, quoi qu’il puisse leur en coûter. Nous devons mener ce combat. Le Président Wade, combien de personnes, lui ont planté un couteau dans le dos, mais à chaque fois qu’il s'est relevé, il a passé l’éponge. Si le Président Sall avait eu cette approche stratégique, il aurait pu mener le pays correctement. Les audits, il faut le faire et épingler des gens qui ont détourné ou volé. Il n’y a aucun problème, s’il en existe. Dans l’arrêt de la Cour, concernant Karim, ils ont dit qu’il n’a pas volé, et il n’a pas détourné, et il n’a pas été corrompu. Allez comprendre.
La modification du règlement intérieur de l'Assemblée nationale fait l'objet d'un recours auprès du Conseil constitutionnel. Qu'est-ce qui vous gêne dans cette loi ?
Cette proposition de loi convoque la problématique de l’équilibre des pouvoirs au Sénégal. Au Sénégal, il n'y a plus d’institutions. Il y en a qu’une seule, c’est le président de la République. L’Assemblée nationale a été tellement déstabilisée. Tout a une histoire. C’est l’histoire de Senghor et de Mamadou Dia. Le Sénégal était un régime parlementaire, le pouvoir était à l’Assemblée. Quand Senghor a éliminé Mamadou Dia, il a concentré les pouvoirs qu’il avait, en tant que président de la République, et les pouvoirs que Mamadou Dia avait, en tant que président du Conseil du gouvernement. Et donc, il est devenu un monarque. Ça n’a pas beaucoup changé. Wade a essayé de faire ce qu’il a appelé un régime parlementaire allégé, mais globalement, la Constitution du Sénégal donne au président de la République des pouvoirs aux allures de monarchie. La seule différence, c'est dans les monarchies, le monarque, tant qu'il est bonne santé, il est là, mais, ici, c’est tous les 5 ans, 7 ans, c'est selon, qu'on désigne le monarque. Et d’ailleurs, c’est tellement répandu dans les formes de consciences, que la notion de démettre quelqu’un de son mandat n’existe pas. Alors, que partout, ça existe. Quand on vous élit, on doit pouvoir vous démettre avant terme, si vous ne remplissez pas les conditions. Mais, ici, on dit : «Il est élu, attendons la fin de son mandat». C’est très grave. Cela veut dire que si je suis élu, je peux faire tout ce que je veux. Nous devons penser autrement la démocratie et la République. Nous devons réformer notre système de penser. Dans nos pays, on dit ‘Nguur’. Le Président, ça n’existe pas. C’est un problème. Et vous avez entendu le Président Sall, lui-même, dire que les Sénégalais n’aiment pas qu’on les commande. Donc, lui, il considère qu’il doit les commander. Ce sont des conceptions que nous avons et qui ne riment pas avec une République moderne, digne de ce nom. C’est pour cela, il y a des choses, ici, en Afrique, qui se passent, qui sont inimaginables dans des démocraties européennes ou en Amérique. Mais, nous, au lieu de nous élever, en considérant qu’il faut rompre avec ça, nous cohabitons, nous vivons avec ça, et apparemment nous nous plaisons dans cela. C’est tout le problème.
Peut-on s'attendre, un jour, à la réunification de la grande famille d'Aj/Pads ?
La politique, c’est une matière très particulière, très complexe. Je ne cite pas des noms, mais vous avez connu au Sénégal de grandes adversités entre des leaders politiques. Mais, vous avez pu constater que ces leaders se sont retrouvés du même bord, du jour au lendemain, à partir des péripéties. Les militaires disent que c’est le terrain qui commande le déplacement. Moi, je ne peux pas dire de quoi demain sera fait. Mais, par contre, ce qui est important et qui fait qu'on puisse garder le cap, quelle que soit la tempête sur cet océan qui est la politique, c’est d’avoir un certain nombre de principes et de s’y tenir. Pour moi, la politique est un humanisme. C’est pour constamment élever l’homme de sa dimension, de sa posture d’animalité, vers le haut. Je n’ai pas de problèmes avec les personnes. C’est la raison pour laquelle, d’ailleurs, je suis allé à la cérémonie de dédicace de Landing Savané. Parce que, trois décennies et plus, vous ne pouvez pas l'effacer. c’est plus fort que des divergences politiques. Il faut assumer ces divergences, mais il faut aller au-delà. Et moi, c'est ce que je m'efforce de faire dans ma vie.
Qu'est-ce qui vous lie véritablement à Me Abdoulaye Wade avec qui vous êtes très complice ?
Avant qu’il ne soit Président, on était des amis. Mais, les Sénégalais ne le savaient pas, parce qu’il n’était pas le Président. Quand il est devenu Président, on est resté amis, mais les gens venaient, peut-être, de découvrir cette relation. Et comme le Roi n’a pas d’amis, les gens ne comprenaient pas. Mais, après qu’il a perdu le pouvoir, les gens découvrent que nous sommes hyper amis. C'est-à-dire que c’est, d’abord, au plan politique que nous sommes amis. Il a la fierté d’être un Noir. Ce n’est pas un homme complexé. Il n’a pas le complexe de l’autre. Ça, c’est fondamental dans la vie. Si vous n’avez pas la notion de «Gëm sa bopp», vous n’avez rien. Ça, c’est quelque chose de très important que j’ai identifié chez lui. Je l’ai vu parler à des sommités mondiales, et ce n’était pas un monsieur agneau. Il a des points de vue, il les exprime de manière claire, intelligible et avec autorité. Et ça, ça inspire le respect. Deuxième élément, c’est un panafricaniste. On n’a pas besoin de faire un dessin pour comprendre que, depuis les Nkrumah, Cheikh Anta Diop et autres, et aujourd’hui, plus qu’hier, nous avons besoin d’unir notre continent, pour, au fond, acquérir de nouveau, notre dignité, notre fierté. C’est un stratège, et je l'ai vu se battre pour l’Afrique. Si après l'Alternance 2000, j’avais constaté, en étant proche de lui, que ce n’était pas ça, je l’aurais quitté. Il se battait pour le Sénégal et pour l’Afrique, et c’est quelqu'un de très agréable. Il a des qualités humaines qui sont rares.