ÊTRE ET NAÎTRE
Le chef de l’Etat n’est pas l’Etat. Il ne peut ni juger ni condamner, même s’il a le droit de faire grâce. De même, il ne peut faire aucune loi même s'il peut dire de quelle manière elles doivent être appliquées
Malraux avait commencé, son si retentissant discours à l’ouverture du premier Festival mondial des Arts nègres de 1966, par ces mots : «Nous voici donc dans l’Histoire». Je voudrais le paraphraser en disant ceci : Nous voici donc pris en otages ! Otages d’Abdoulaye Wade certes, mais bien plus encore de nous-mêmes ! Il ne faut pas s’y tromper, en effet, Abdoulaye Wade, c’est nous mais en ce que, quelque part, nous avons de moins bon, sinon de pire.
Je ne connais aucun Sénégalais qui, d’une manière ou d’une autre ou un jour de sa vie ou un autre, n’ait pas été tenté par lui, soit en le suivant, les yeux ouverts ou fermés, soit en le comprenant, tout bien considéré soit en lui tolérant tout ou partie de ce qu’il faisait en feignant de regarder ailleurs pour pouvoir dire qu’il ne savait pas, parce qu’il n’avait rien voulu voir. Moi-même, qui ai tant et tant écrit sur lui et je vais le redire ici, Dieu seul m’a permis de sortir sans trop de plaies et de bosses de la relation que j’ai eu à entretenir avec lui.
Je l’ai connu au début des années 70 et nous avons même eu à fêter Noël ensemble avec Fara Ndiaye, Mireille et Youssou Ndiaye, tous plus tard, grands consulaires s’il en fut ! Mieux, après son arrivée au pouvoir, je suis allé le rencontrer, cornaqué par personne d’autre que Macky Sall lui-même et en compagnie d’Aïda Ndiongue. Ce n’était pas, à proprement parler, pour faire amende honorable mais, puisqu’il avait été élu, me mettre à sa disposition si son propos était de faire avancer le pays. Là, où Dieu m’a aidé, c’est que Wade avait voulu me faire accroire que c’était du fait de la manipulation de certains que j’avais eu à écrire telle ou telle autre chose désagréable à son endroit.
Je lui ai donc rétorqué que non et que je les pensais vraiment ces choses mais que, puisqu’il avait, quand même, été élu et très bien élu et que, selon les latins, «Vox populi dei est» (la voix du peuple est la voix de Dieu) j’avais probablement tort. Il s’est trouvé que ce qui, à mes yeux, était une concession déjà énorme que j’avais faite à mes convictions, n’était que pipi de chat à ses yeux. Et nous en sommes sortis frustrés tous les deux, moi d’avoir été incompris et lui d’avoir été déprécié. Ainsi n’avons-nous jamais pu nous ajuster pour de bon et aujourd’hui, je ne m’en enorgueillis nullement, j’en remercie le bon Dieu qui m’aura ainsi évité d’avoir à défendre l’indéfendable tous les jours que Dieu fait.
Mercenaire
Dernièrement, l’un de ses affidés et supporters anonymes s’en est pris à moi sur le Net en me traitant de «mercenaire de la plume» et en me demandant de penser à ma famille. Mais, qui, dans ce pays, a été aussi généreux, magnanime et prodigue que Wade envers qui acceptait de renier publiquement qu’il avait adoré ? J’ai certes manqué de me faire des c... en or et ma famille en a souffert, mais c’est parce que j’avais justement refusé de céder aux Sirènes d’Abdoulaye Wade, cracher sur Diouf, Habib Thiam, et autres.
Une question ne cesse, dans cette affaire, de me tarauder l’esprit : à quoi donc servent les fusibles s’ils ne peuvent sauter lorsque la tension est trop forte ? A rien assurément !
Le Garde des sceaux est un homme pour lequel j’ai une très grande affection, même si en certains points, je ne partage pas sa manière de faire. Ainsi croit-il bien faire et servir son maître en louant la magnanimité et la grandeur d’âme de celui-ci lesquelles lui feraient refuser que des poursuites fussent engagées contre Wade. Or, ce faisant c’est Macky Sall qui est desservi au lieu que d’être loué.
Car c’est vouloir entretenir et enfoncer dans l’esprit des gens que Macky Sall se prendrait et se penserait comme une sorte de Louis XIV ou je ne sais quel roi de droit divin et de monarque absolu en se disant que «l’Etat c'est Lui» alors qu’il n’en est rien. Dans une République réglée, le chef de l’Etat n’est pas l’Etat. Il ne peut ni juger ni condamner, même s’il a le droit de faire grâce. De même, il ne peut faire aucune loi même s'il peut dire de quelle manière elles doivent être appliquées.
Le pas de clerc du garde des Sceaux dans cette affaire procède des questions de saisine en général et de flagrance en particulier. S’il n’y a pas de plainte de particuliers les parquets peuvent poursuivre de leur propre chef, de leur propre autorité. Or «ils peuvent» ne signifie pas qu’ils «doivent» obligatoirement : l’opportunité des poursuites c’est le fait du Prince, une survivance du droit régalien. Autant dire que c’est le Garde qui doit poursuivre et derrière le Garde c’est le Président qui n’a aucune envie et on peut le comprendre fort bien, de toucher à ce bâton brenneux, pour dire ça de manière un peu polie. On en est là.
Au loup, au loup !
Or, mettons qu’il nous arrive ceci et que, comme dans l’histoire de cet individu, ce mauvais plaisantin qui avait accoutumé d’ameuter toutes les nuits les habitants de son village aux cris de «Au loup ! Au loup !» et qui pour la seule et unique fois où il avait dit le vrai a vu tout un chacun continuer à dormir de tout son saoûl, si bien qu’au matin il n’y eût plus âme qui vive ni homme ni bestiau en pauvre hameau. Et si donc Wade, dont certains disent qu’il aurait déjà rédigé et déposé son testament, d’escalade en escalade arrivait au bout de son projet et se faisait «suicider» par la force publique ? Qu’arriverait-il alors à ce pays ?
Ce serait mal le connaître comme mal connaître ses habitants que de penser que tous penseraient enfin que c’est un bon débarras. Bien au contraire ! Les plus courageux des contempteurs actuels de Wade iront, se terrer tout navrés et désolés de la tournure prise par les évènements cependant tous les autres se confondront en pleurs en panégyriques et en ndeysaan en clamant haut et fort quel homme exceptionnel, quel père magnifique, quel bâtisseur infatigable, quel noble racé il était avant de s’en aller, vite fait, hurler avec les loups et réclamer la plus sanglante vengeance contre ses «assassins». Car, bien sûr, il aura été assassiné. Et alors ? C’est comme ça que nous sommes et notre devoir c’est de nous en échapper, de sortir de nous-mêmes et de nous réinventer ! Mais, en avons-nous les ressources ? Je ne sais pas, mais il nous faudra trouver.
Abdou Salam Kane
P.S. Je m’aperçois que je n’ai rien dit de l’objet du délit c’est-à-dire des propos honteux tenus par Wade à l’endroit du Président et de sa famille. Ces propos, en dehors du fait qu’ils sont criminels et dégradants pour qui les tient, en disent un peu aussi sur leur auteur qui peut se rassurer ainsi et au compte d’autrui sur sa propre- ou prétendue- noblesse, je dirais. C’est un fait connu que, souvent, les homonymies chez des personnes de noms de famille différents procèdent de la «clientèle» comme le disent les Romains.
Ainsi, une des tantes paternelles de Wade portait-elle le beau prénom de Hind. Prénom fort peu fréquent et un brin «précieux» et prestigieux du fait qu'il marquait une érudition islamique et arabe forte. Car, Hind était l’épouse d’Abou Soffiane, l’instigatrice du meurtre de Hamza, certes, mais surtout mère de Moawiya qui fonda la dynastie des Ommeyades à Damas et l’Islam sunnite auquel nous appartenons ici. Cette Hind Wade-là donc n’a été prénommée ainsi que parce qu’elle vivait Rue Boufflers à Saint Louis chez son homonyme Hind, nièce et épouse, comme cela se faisait souvent de Doudou Seck Bou El Moghdad.
Si je parle de tout ça c’est que cette Hind I là avait pour nom de famille Kane et qu’elle était la grande sœur d’un certain Abdoul Salam qui se trouve être mon propre grand-père.
A quel titre Hind Wade habitait-elle chez Hind Kane au point d’être sa filleule, je ne le sais pas et peut-être n’ai-je pas à le savoir. Mais jamais, s’il me l’était demandé je ne nierais ma parenté avec elle et, par conséquent avec Abdoulaye Wade. Car c’est cela notre culture, c’est comme cela que nous avons été éduqués. L’Homme, le vrai je veux dire celui dont on peut dire qu’il est un «noble» n’est pas le fruit du hasard des batailles ou de celui des naissances mais celui de ce qu’il peut et sait faire et qu’il a fait vraiment !
Que l’on doive, à chaque pas, convoquer ses ancêtres ou ceux d’autrui pour convaincre les gens de ses propres supériorités, est la preuve que l’on doit soi-même, singulièrement en manquer. A tout le moins ! Car le temps est passé depuis où il ne suffisait que de naître pour être.
ASAK