‘’L’ENDETTEMENT NE DOIT PAS NOUS EFFRAYER S’IL SERT À RÉALISER DES INFRASTRUCTURES’’
CHEIKH HADJIBOU SOUMARE, PRESIDENT DE LA COMMISSION DE L’UEMOA
Faisant le bilan de la 18ème Conférence des chefs d’Etat et de gouvernement de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa) qui s’est tenue, lundi dernier, à Cotonou, le président de la Commission, Cheikh Hadjibou Soumaré, estime que la rencontre « a atteint toutes ses promesses ». Dans cet entretien exclusif, il déclare ne pas être effrayé par le niveau d’endettement de certains pays membres, pourvu que l’argent serve à réaliser des infrastructures pour tirer la croissance.
Quel bilan tirez-vous de cette 18ème session de la Conférence des chefs d’Etat et de gouvernement de l’Uemoa (qui s’est tenue le lundi dernier, à Cotonou ?
Cette 18ème Conférence s’est bien tenue, et surtout, elle a atteint toutes ses promesses, parce que les chefs d’Etat avaient ouvert quatre chantiers. Il y a un chantier sur l’énergie confié au président (du Bénin) Boni Yayi, un chantier sur la sécurité alimentaire confiée au président Mahamadou Issoufou (du Niger), un chantier sur le financement du développement de notre région confié au président Alassane Ouattara (de Côte d’Ivoire) et, enfin, un chantier paix et sécurité confié au président Macky Sall (du Sénégal).
Sur l’ensemble de ces chantiers, nous avons noté des avancées extraordinaires. Sur le dossier de l’énergie, les chefs d’Etat ont réaffirmé leur volonté de créer des pôles de production à partir desquels nous pourrons tirer l’énergie vers les autres pays. Un engagement ferme qui a été réaffirmé et qui a été l’un des objectifs majeurs de notre Initiative régionale sur l’énergie durable (Ired).
Ensuite, les chefs d’Etat avaient pensé que si nous voulons atteindre une résilience forte des populations face aux chocs, il est important que le volet agricole soit une composante importante de notre stratégie. Là également, ce dossier qui a été confié au président Issoufou, a été traité par la Commission sous la dictée du président nigérien.
Nous avons aussi tenu plusieurs réunions sectorielles avec les ministres, et nous avons abouti à la conclusion selon laquelle nous devons redynamiser toutes les composantes de cette stratégie. Sur cette question, les chefs d’Etat ont pris une décision forte consistant à redynamiser ce volet et à permettre à la Commission de faire des avancées beaucoup plus importantes.
En ce qui concerne le dossier relatif au financement de notre économie, les chefs d’Etat se sont réjouis des avancées que nous avons obtenues, pour ce qui est surtout du coût des services bancaires. Ils avaient beaucoup insisté sur le fait que les taux d’intérêt qui sont servis dans les banques ne peuvent pas propulser nos Pme-Pmi.
Alors, la Banque centrale a fait un travail extraordinaire avec les banques qui, elles aussi, ont compris qu’elles étaient une composante de notre économie et elles ont accepté de faire un effort. Mais les chefs d’Etat se sont aussi inquiétés du taux d’intérêt qui est servi aux Pme-Pmi. Si vous avez des taux de sortie de l’ordre de 10 %, c’est alors très difficile pour les Pme-Pmi.
Ce qui pose la problématique du développement de ces Pme-Pmi. Or, si vous regardez dans plusieurs pays du monde, comme l’Allemagne, ce sont les Pme-Pmi qui soutiennent l’économie. Nos Pme-Pmi ont donc leur place (dans l’économie), nous devons travailler à ce que ces taux de sortie soient supportables. Les chefs d’Etat nous ont demandé de travailler dans cette direction.
Mais nous ne pouvons pas faire tout cela si nous sommes dans un espace qui n’est pas sécurisé. C’est tout le sens qu’il faut donner au dossier paix et sécurité. Envisager le développement sur le moyen et long terme dans un espace qui est toujours dans des conflits, pose un certain nombre de problèmes.
Le président Macky Sall à qui ce dossier a été confié, a fait un travail extraordinaire pour avoir réuni tous les comités, et surtout le comité scientifique qui rassemble des experts, des universitaires qui viennent aussi de la société civile, des parlementaires, pour parler de cette question.
Ce sont donc des gens qui savent que le président Macky Sall avait réuni autour de lui. Sous la supervision du président Macky Sall, ils ont fait un excellent dossier qui a été présenté aux chefs d’Etat.
Les chefs d’Etat nous avaient aussi demandé, lors de la Conférence de Dakar, de travailler sous la dictée des Premiers ministres, sur un dossier appelé la Revue des projets et programmes politiques dans les différents pays. Nous avons fait la revue dans tous les huit pays membres et le président Boni Yayi a réuni, à Cotonou, le 15 janvier passé, l’ensemble des Premiers ministres pour la restitution des résultats de cette revue qui a été aussi présentée à la Conférence des chefs d’Etat.
Ces derniers nous ont demandé de poursuivre le travail important qui a été entamé. Cette revue a permis de faire le diagnostic, parce que 20 ans d’existence, c’est beaucoup. C’est un diagnostic de tout ce que nous avons fait jusqu’ici, pays par pays. Les résultats que nous avons obtenus montrent un taux de 59 % de transposition et 50 % de taux d’application.
Les chefs d’Etat n’étaient pas satisfaits de ces résultats, ils ont donc demandé aux Premiers ministres de travailler à renforcer le contrôle autour de ces questions. Mais cela se comprend, parce que, compte tenu des difficultés que nous avons connues dans notre région, il y a des dossiers qui n’avaient pas pu avancer.
Mais cela nous a donné l’occasion de faire un diagnostic qui nous permet d’envisager l’avenir et de faire des corrections.
Les chefs d’Etat ont pris aussi une décision concernant les critères de convergence, nous sommes une même économie de huit pays et nous avons une monnaie commune. Tout le monde sait que la contrepartie d’une monnaie, c’est une économie forte. Les chefs d’Etat ont pris un acte additionnel qui change les critères de convergence en les ramenant de huit à cinq pour plus de cohérence. C’est une avancée extraordinaire.
Compte tenu de la situation qui prévalait en France, un pays ami avec qui nous avons des liens séculaires, les chefs d’Etat ont réaffirmé leur condamnation de tout terrorisme. Ils ont clairement affirmé que leur présence à Paris s’inscrivait dans le cadre du soutien à un pays ami qui nous a beaucoup soutenus et qui était confronté à un problème de terrorisme. C’était une présence de soutien à la France contre le terrorisme.
Le président Yayi Boni a été également félicité par ses pairs pour le travail qu’il a eu à abattre durant cette année de son mandat et l’ont reconduit dans ses fonctions de président en exercice de la Conférence des chefs d’Etat. Aujourd’hui, je suis très satisfait de ce sommet. Nous sommes dans une Union depuis une vingtaine d’années et nous avons créé beaucoup de structures connexes à l’Uemoa.
Les chefs d’Etat nous ont demandé de faire une étude allant dans le sens de la rationalisation de l’intervention de la Commission. C’est important, il faut avoir le courage de faire ce diagnostic car nous n’avons pas des ressources extensibles. Nous devons donc gérer en bons pères de famille.
Qu’est-ce qui explique la faiblesse du taux de transposition des directives de l’Uemoa ? Et comment comptez-vous le relever davantage ?
On peut noter plusieurs facteurs. D’abord, il faut dire que la volonté politique est là, parce que la plus haute instance de notre Union, en l’occurrence la Conférence des chefs d’Etat, a donné des instructions claires et non équivoque dans plusieurs dossiers. Mais il y a certaines difficultés liées au fait que dans certains dossiers, les Etats ne sont pas les seuls partenaires.
Il y a des études à faire. Il y a des dossiers pour lesquels, même la transposition peut poser problème et qu’il faille faire une relecture des textes. Je pense notamment aux dossiers concernant les mines. Il y a aussi le Règlement 14 sur la libre circulation qui mérite une relecture, parce que certains pays l’ont transposé mais d’autres n’ont pas pu, compte tenu des contradictions qui sont notées dans le processus.
Nous avons aussi noté la faiblesse de nos administrations en transposition. Ce sont les Etats eux-mêmes qui ont soulevé ces problèmes. Ils nous ont demandé de les accompagner pour la transposition.
En Guinée-Bissau où c’est le portugais (la langue officielle), il faudrait faire l’effort de traduire certains textes et même, quand on devra les étudier, de traduire les premières moutures pour que les ressortissants bissau-guinéens puissent défendre la position de leur pays et apporter valablement un plus à ce que nous faisons.
J’accepte parfaitement cette observation de la Guinée-Bissau. La Commission va essayer de recruter des professionnels portugais qui sont des économistes pour nous aider dans la traduction.
L’Uemoa annonce beaucoup de chantiers pour 2015. Pensez-vous qu’elles sont réalisables à cette échéance ?
Très réalisable ! Je suis un homme très optimiste dans ma vie. J’ai côtoyé un grand homme qui m’a dit : « M. Soumaré, quand vous vous réveillez, vous pensez à une chose, ne vous dites jamais que ce n’est pas réalisable. Parce que c’est Dieu qui vous a fait penser à cela ».
Il faut être optimiste. Je crois beaucoup à la jeunesse de notre espace. C’est pourquoi, nous devons tout faire pour miser sur la jeunesse par la qualité des ressources humaines, en investissant dans l’éducation et en travaillant à ce que l’espace universitaire soit pacifié. Mais il ne s’agit pas seulement d’avoir des ressources humaines de qualité, il s’agit d’avoir aussi des programmes forts pour les insérer. Si vous regardez nos pays, nos projections de croissance sont parmi les plus élevées au monde.
Mais une croissance doit être inclusive, cela signifie qu’elle doit être tirée par des secteurs qui vont créer la richesse et également qui peuvent générer des emplois. Sans cela, il y aura toujours des problèmes.
Les chefs d’Etat sont en train d’investir massivement dans les infrastructures. Celles-ci vont soutenir notre croissance et permettre à notre secteur privé d’être plus compétitif, parce que c’est elle qui va créer de la richesse.
Les chefs d’Etat l’ont compris et ont pensé qu’il fallait faire des efforts sur les Pme-Pmi pour leur permettre de mieux s’exprimer. Mais le préalable, c’est créer un environnement des affaires propice à leur éclosion. Les chefs d’Etat ont insisté sur l’énergie, une composante importante de la production.
Or si vous regardez nos différents pays, ce qui est en train de se faire, je suis optimiste et je dis que nous pouvons faire plus, pourvu que nous puissions, avec nos partenaires, savoir comment capter les financements.
Plusieurs pays membres ont mis en marche des plans pour atteindre l’émergence en sollicitant le marché financier international. N’avez-vous pas de crainte par rapport à cet endettement ?
Nous n’avons aucune crainte. D’ailleurs, sur le taux d’endettement, les chefs d’Etat ont souligné clairement que le plafond d’endettement sera de 70 %. Tous les pays qui se sont développés, qui ont bâti des infrastructures, l’ont fait sur quelque chose. Je me rappelle les contraintes et les refus que nous avions rencontrés quand j’étais aux affaires pour faire l’autoroute Dakar-Thiès.
Aujourd’hui, tout le monde applaudit (à la réalisation de cette autoroute). La Côte d’Ivoire est en train d’ouvrir le corridor entre le Burkina Faso et Abidjan sur près de 1000 km. Si nous ne le faisons pas, comment voulez-vous que le producteur du Burkina puisse atteindre le marché. Notre marché naturel, c’est la Cedeao. La politique d’endettement ne doit pas nous effrayer.
La chose qui peut nous effrayer, c’est un endettement non pas pour faire de la croissance, mais pour soutenir un fonctionnement. L’endettement doit aller à la réalisation d’infrastructures solides qui soutiennent la croissance et que tout le monde puisse savoir que l’argent a été bien utilisé. On nous demande d’aller dans une compétition, nous ne la craignons pas.
Si vous ne maîtrisez pas l’énergie, qui est le facteur de production le plus important, comment voulez-vous participer à une compétition avec une entreprise qui a des coûts de sortie deux fois moins élevés. L’endettement ne peut pas créer toutes les infrastructures, il y a des partenariats public-privé que nous sommes en train de développer.